[Poitiers] Quand la justice bourgeoise condamne la misère

NdPN : faut-il encore émettre des commentaires sur la « justice » bourgeoise ? à chaque chronique judiciaire, la même banalité du mépris de classe, la même rage devant ce système judiciaire d’Etat fait pour protéger les riches et les puissants, et écraser toujours plus les pauvres.

On comparera surtout, à titre d’exemple « qui confine au grotesque », le traitement et le réquisitoire du parquet dans cette affaire (six mois de prison ferme pour un « vol » de quelques centaines d’euros… contre une personne vivant dans la misère avec 200 euros par trimestre), avec la demande du parquet concernant, il y a quelques jours à peine, l’ex-notable De Bony (18 mois de prison… avec sursis, pour un « détournement » de 440.000 euros, de la part d’un notable ayant déjà un salaire de base de 10.000 euros mensuels).

On passera aussi sur le vocabulaire employé dans un cas et dans l’autre par les journalistes… Il y a de quoi vomir mais à force, on s’habituerait presque à la nausée : les pauvres apprennent à serrer les dents.

justiceFinalement, l’histoire se termine avec du « TIG ». En l’occurrence, cent vingt euros de travail obligatoire non rémunéré (ni plus ni moins que la définition de l’esclavage) au prétexte hypocrite d’un « intérêt général » défini par les pouvoirs ; et avec une amende pour « dommages et intérêts », versée à des policiers au motif bien connu de l' »outrage », en guise de bonus banalisé de fin de mois. Il faudrait peut-être songer à créer une rubrique supplémentaire à la fin des fiches de paye, concernant la rémunération des prolétaires en uniforme bleu marine.

Le jour où capitalisme et Etat s’effondreront, souhaitons seulement aux législateurs, aux juges, aux policiers et aux directeurs de prisons de courir vite, très vite : les anciens opprimés ont une mémoire, et ne manifesteront pas forcément, en rendant leur justice, la même civilité hypocrite que les notables en costumes, robes et uniformes… ils ne partageront peut-être pas non plus notre idéal anarchiste d’une justice débarrassée de la punition.

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 » Je vole juste pour manger « 

Poitiers. Confronté à des conditions d’existence précaires après trente ans d’errance et quinze années de galère, un pauvre hère vit de rapine.

Le temps est lourd et le silence pesant dans la salle d’audience désertée. A la barre, un homme éclate en sanglots alors que le président du tribunal évoque sa misérable vie. « Voulez-vous qu’on arrête là ce récit s’il est trop difficile à entendre ? » « Non monsieur, continuez. ». « Vous êtes donc arrivé en France en 1999 alors que vous aviez 15 ans. Votre père est décédé, vous avez été élevé par votre grand-mère. Vous n’avez pas revu votre mère depuis très longtemps. » « Oui, trop longtemps. » Maître Émilie Hay rajoute une touche de gris à ce sombre tableau. « Mon client ne peut plus payer le loyer du studio insalubre qui lui sert de logement. » La situation administrative du Guinéen confine au grotesque. Son conseil rappelle que depuis qu’il a « malencontreusement passé son passeport à la machine à laver » il n’arrive plus à obtenir le titre de séjour indispensable pour travailler. Il n’a pas accès aux droits sociaux et doit (sur) vivre avec moins de 200 euros… Par trimestre. « Si je vole, ce n’est par plaisir. C’est pour manger. »

C’est un bon père d’un jeune garçon de nationalité française. Il ne peut donc être contraint de quitter le territoire.. « Si vous le condamnez à de la prison ferme, ce sera fini pour lui, plaide Maître Hay. Il n’obtiendra pas de titre séjour. N’en faites pas un ni-ni (ni expulsable, ni régularisable). »
Le pauvre hère est accusé d’avoir volé 280 € et des tickets restaurants dans un camion de chantier. C’était le 8 juillet dans le quartier de Chilvert. Surpris par sa victime, il avait fui en dérobant un vélo. Les policiers l’avaient retrouvé caché derrière un arbre dans un jardin de la rue Saint-Jacqaues. L’interpellation s’était mal passée. En sus des vols reconnus, il doit répondre menaces de mort et outrages à personnes dépositaires de l’autorité publique. « J’étais paniqué. Je me suis énervé. Je m’excuse sincèrement auprès des policiers que j’ai insultés et des gens que j’ai volés. » Les trois policiers, constitués partie civile, réclament chacun 500 €. Le ministère public demande six mois de prison. Ferme. Le tribunal donne une dernière chance à celui qui n’en a jamais eu : il est condamné à 140 heures de travail d’intérêt général. Les policiers recevront 100 € de dommages et intérêts.

L.L., Nouvelle République, 9 septembre 2014