Quand les tondeurs se font appeler « tondus »

Après les « pigeons » et les « poussins », ces mouvements de petits patrons défendant la micro-exploitation, voilà que des patrons plus replets nous pondent le « mouvement » des « tondus ». Ou comment ces tondeurs détournent le plus élémentaire des constats du socialisme révolutionnaire, celui de la mise en esclavage de tou-te-s, celui de l’exploitation généralisée des activités collectives au profit de l’accumulation privative capitaliste, pour la seule satisfaction de la lamentable et dérisoire prétention de quelques merdes humaines à monopoliser les décisions qui devraient être collectives.

Ce seraient donc les patrons qui seraient les exploités, les « tondus ». Ce serait drôle si ce n’était révélateur d’une offensive massive du patronat et de l’Etat contre le prolétariat, à coups de louanges éhontées à la croissance du Capital, à l’emploi d’esclaves salariés, à la productivité nazionale, broyant toujours plus les humains de tous les coins de la planète sous les exigences de la machinerie du profit.

Face à de telles usurpations éhontées et cyniques du vocabulaire de la lutte sociale, en parallèle des manipulations grossières de l’extrême-droite fascisante qui se fait passer pour le socialisme du XXIème siècle, il n’y a guère plus, ou si peu, de réponse et d’autodéfense du prolétariat. Tant les bureaucraties syndicales, toutes installées et calcifiées qu’elles sont dans la cogestion de la dépossession collective, ont repris pour elles-mêmes ces mots d’ordres de l’emploi, de la croissance, de la productivité françouèse etc. Qu’on le veuille ou non, le capitalisme ne se maintient qu’en étendant la dépossession, et cela va jusqu’au vocabulaire même de la lutte des exploité-e-s !

Depuis quelques mois donc, plus de 300.000 patrons d’entreprises de toute taille s’agrègent autour de la revendication principale du fondateur de l’association des « tondus », Guillaume de Thomas, propriétaire plein aux as de plusieurs « saunas libertins », faisant aussi dans le commerce. Un business juteux semble-t-il mais voilà, les capitalistes n’en ont jamais assez. Et la liberté d’exploiter, merde ? Depuis juillet, ces patrons refusent ainsi de payer la part patronale des cotisations sociales, qui empêcherait la création d’emplois (3,4 millions, selon De Thomas !). C’est bien connu, les médias nous le répètent assez : si y’a pas de boulot, c’est de notre faute. Même la survie avec les miettes d’allocs qu’on consent à nous jeter est de trop, désormais.

Vue la mansuétude des autorités à l’égard de ces patrons revendiquant le droit de raser gratis, et la diffusion de leur propagande aussi grossière que répugnante par des médias complaisants les faisant passer pour des rebelles, ils auraient tort de se priver d’exiger plus de leurs complices gouvernementaux, déjà si prodigues en défiscalisations patronales tous azimuts. Hier à Poitiers, Guillaume de Thomas a ainsi annoncé que les tondus refuseraient désormais de verser la Cotisation foncière des entreprises et la taxe foncière, histoire de sabrer un peu plus les moyens sociaux des collectivités locales. Ben voyons. A quand le retour du vieil esclavage old school ? Au moins les choses étaient plus claires…

Or la part patronale des cotisations sociales est une partie pleine et entière du salaire, dans son versant « socialisé », contribuant directement à financer les branches maladie, chômage et retraite, ainsi que les allocations familiales. Cette contribution patronale, issue d’un compromis bancal et moisi entre patronat et staliniens à la fin de la 2ème guerre mondiale pour mettre le prolétariat sous les fourches caudines de la domination sociale des partis et des patrons, n’a cessé de baisser depuis des décennies, proportionnellement aux richesses produites. A coups de généreuses défiscalisations patronales accordées par les gouvernements successifs de droite comme de gauche : allégements généraux de cotisations sociales, crédit d’impôt compétitivité-emploi, contrat de génération, exonérations assurance chômage, ne sont que les derniers avatars de ce détricotage méthodique du compromis de l’après-guerre, quand les bureaucrates patronaux et staliniens craignaient encore qu’on leur mette un beau jour la tête au bout d’une pique.

Le mouvement des « tondus » n’est donc qu’un aspect médiatisé, version trash, de l’attaque frontale actuelle contre le prolétariat, pour faire baisser encore plus drastiquement les salaires, histoire de maintenir sous perfusion le profit capitaliste.

Ces réacs assumés, « rebelles » en peau de lapin à poil ras comme pour la « manif pour tous », imitent la tradition des mouvements sociaux (manifs, pétitions, désobéissance…) pour se faire passer pour des contestataires, alors qu’ils sont dans un discours réactionnaire et bourgeois des plus puants.

Nous ne rentrerons pas ici dans le pseudo-débat sur une gestion plus « juste » ou « humaine » du capitalisme, que nous laissons à la gauche et à la droite du capital. Nous ne voulons pas d’un retour au compromis avec le patronat. En revanche, nous pourrions reprendre la balle au bond. Ces patrons, en se désignant eux-mêmes comme « tondus », ne nous incitent-ils pas à nous armer de ciseaux ? Ces exploiteurs de la force de travail collective, ne veulent plus payer la part patronale des cotisations sociales ? Ils ne veulent plus même faire semblant de contribuer au maintien de cette paix sociale faite pour neutraliser les luttes ? Après nous avoir réduits en steaks hachés, ils prétendent nous transformer en jus de viande sans plus se justifier d’aucun prétexte ?

Et bien pratiquons la seule réponse qui soit légitime : celle consistant à nous débarrasser des patrons, à les exproprier à tout jamais, eux, les gouvernants, et tous leurs mots d’ordre puant le pognon, pour gérer enfin nous-mêmes nos affaires et produire pour nous-mêmes ce dont nous avons besoin.

Juanito, Pavillon Noir, 1er octobre 2013