Elle redoute le dernier jour du Printemps
Au bout de presque trente ans de carrière au magasin de Poitiers, Évelyne appréhende le 28 janvier prochain, ultime jour d’ouverture du Printemps.
D’un Noël à l’autre, vingt-neuf années et une carrière bien accomplie, la sienne. Évelyne, une des plus anciennes salariées de ce Printemps de Poitiers aujourd’hui à l’agonie, est amère. A un mois de la fermeture définitive du magasin, programmée le 28 janvier, c’est déjà dans le rétroviseur qu’elle voit passer ses trois décennies printanières. L’aventure avait commencé à l’automne 1982. Elle a alors 28 ans, cherche du travail et, à l’approche de Noël, le Printemps lui propose un premier contrat, de démonstratrice de jouets.
» On nous a laissés mourir à petit feu »
« Du 2 novembre au 24 décembre, je présentais les peluches Anima Boulgom… Il fallait savoir convaincre autant les enfants que leurs parents ! » Fin janvier 1983, elle est embauchée en CDI, puis travaillera au fil des ans dans plusieurs services, groupe de caisses, boutique des listes de mariage, service clientèle… « J’ai toujours aimé ce contact avec la clientèle. » Oui, mais le ciel de son Printemps va finir par s’assombrir en cet an de disgrâce 2011. Le 18 mai dernier, jour de congé, elle est chez elle quand le téléphone sonne. Au bout du fil, une collègue lâche la triste nouvelle : la décision de fermer le Printemps de Poitiers, inadapté au marché du luxe que privilégie désormais la direction nationale, est cette fois officielle.
« J’étais choquée, surprise… Depuis 30 ans, la rumeur disait que ça allait fermer, mais personne n’y croyait. » Elle concède que depuis le changement de direction, l’inquiétude avait gagné du terrain… « En fait, ça fait dix ans qu’on nous a laissés tomber, qu’il n’y a pas eu d’investissement sur le magasin. On nous a laissés mourir à petit feu… »
» Dégoûtées du commerce »
Elle pense à ses collègues plus jeunes, à l’incertitude entourant leur avenir : « Certaines sont dégoûtées du commerce. Mais ça peut être un mal pour un bien, leur permettre de faire autre chose. Moi, j’aurais bien aimé continuer encore trois ans, jusqu’à la retraite. »
Évelyne, qui gagne environ 1.500 euros brut par mois, aura royalement droit, en plus des indemnités légales, à 6 mois de salaires. Comme toutes celles qui ont plus de 21 ans d’ancienneté. Pas exactement de quoi en faire une privilégiée. « Au moins, j’aurai plus de temps pour moi et pour me rendre utile dans une association. » Son regard est un peu embué. « Le 28 janvier au soir, comme les autres, je serai licenciée. A 19 heures, tout sera fini. Franchement, cette dernière journée, je ne sais pas comment je vais la vivre… »
Nouvelle République, Frédéric Delâge, 26 décembre 2011