» On banalise la pauvreté «
Philippe Bergeon, sociologue à l’Université de Poitiers, pose un regard sur ce qu’il nomme la “ banalisation et dépolitisation de la pauvreté ”.
Philippe Bergeon.
Sociologue et membre de l’équipe de recherche GRESCO (*) à l’université de Poitiers, Philippe Bergeon enrichit son travail de terrain sur la thématique « des chômeurs et des dispositifs d’insertion ». Depuis trois ans, il suit 23 jeunes âgés entre 25 et 30 ans « qui sont sortis sans diplôme du système scolaire ». Si les conclusions de cette étude ne seront dévoilées qu’à la fin de l’année, ce travail d’enquête permet à Philippe Bergeon de poser un regard sur un champ de notre société, celui de la précarité du chômage et de l’insertion.
Pourquoi en parler maintenant ?
« Il y a eu un événement déclencheur : l’appel des grandes associations caritatives auprès des grands distributeurs pour compléter la campagne d’hiver. »
Vous faites référence aux Restos du cœur ?
« On voit bien que les besoins augmentent de 5 % par an. Les Restos du cœur, à eux seuls, assurent la distribution de 110 millions de repas pour 900.000 bénéficiaires cette année ; plus 10 % par rapport à l’année dernière. Cela représente une dérive. On sait que le mouvement caritatif, tout en permettant aux gens de survivre, a comme effet de banaliser la pauvreté. De la dépolitiser. »
Les politiques se désenga- geraient totalement ?
« Avec ces collectes d’alimentation dans les grands magasins, il y a une espèce de purge collective pour pleurer un petit coup et puis, tout de suite après, oublier. Ce grand barnum caritatif contribue à dépolitiser une question éminemment politique. Ça veut dire ceci : le fait que des individus qui appartiennent à des groupes qui n’ont pas de capitaux suffisants ont très peu de chance d’accéder à une place dans notre société. Les grandes associations n’ont de légitimité que lorsqu’elles peuvent initier des contre-pouvoirs pour les plus démunis. »
Vous faites aussi un autre constat cinglant à travers votre livre.
« Le deuxième versant de la pauvreté, c’est le marché des professionnels. Aujourd’hui la pauvreté occupe 3 à 400.000 intervenants sociaux. Il y a un gros décalage entre le discours qui paraît humaniste et les réseaux qui défendent leur territoire. Le sort des plus démunis est devenu secondaire. Il y a aussi une dérive dans les modes de collaboration avec eux qui se passent de chaque côté du bureau. On isole chaque chômeur. Le modèle, dans ces réseaux-là, c’est de considérer que si les individus sont pauvres, c’est qu’ils dysfonctionnent dans leurs rapports à la société. Il y a une psychologisation des chômeurs. Le problème de ces réseaux, c’est leur impuissance. Ils ne permettent plus aux démunis d’accéder à des formations qualifiantes. A la place, ils envoient les précaires vers des niches d’activité qu’ils ne connaissent pas : nettoyage, bâtiment, espaces verts, transports. Il y a une grande distance – culturelle – entre les travailleurs sociaux et le « sous-prolétariat ». Le chômeur est devenu un malade. »(*) Groupe de Recherche et d’études sociologique du Centre-Ouest.
« A quoi servent les professionnels de l’insertion ? » aux éditions L’Harmattan. Le livre est disponible sur Internet et dans les librairies.
Nouvelle République, Propos recueillis par Marie-Laure Aveline, 15 janvier 2012
Intéressant cet article lu ce matin dans la NR…
ok, l’action des asso caritatives contribue à banaliser la pauvreté et à la dépolitiser, les réseaux des pro de l’insertion s’évertuent à tirer profit de leurs « marchandises » malades…j’ajouterais : et ceux qui acceptent d’embaucher un « chômeur en solde » (c’est la période) comme ceux proposés par Sarko aux établissements scolaires dans sa circulaire du 22 décembre (10 000 contrats aidés à mi-temps, pour 6 mois) sont complices.