Tiraillements autour de l’aide aux victimes
L’Association judiciaire d’aide aux victimes a été liquidée, ses huit salariées sont licenciées. Le Prism prend le relais dans un contexte difficile et tendu. Après vingt-six années de présence, l’Association judiciaire d’aide aux justiciables de la Vienne (Ajudevi) stoppe ses activités le 1er mars. Contrainte et forcée.
Le tribunal de grande instance de Tours a prononcé sa liquidation judiciaire le 10 janvier dernier avec une poursuite d’activité jusqu’à ce jeudi. Le temps d’expédier les affaires courantes. L’association n’était pas en cessation des paiements, mais sa situation financière devenait de plus en plus ingérable. Et insoluble. « Des décisions ont été retardées trop longtemps », relèvent des salariées. Un poste de directeur, doté d’un salaire élevé, plombait les finances de l’association. S’en séparer revenait à payer de lourdes indemnités en déstabilisant un budget très contraint. Le garder entraînait à plus ou moins long terme le licenciement de tous les salariés.
« Des décisions trop retardées «
« Ces décisions-là auraient dû être prises il y a longtemps, ça fait deux ans que ça traînait. Le bureau n’a pas assumé », jugent les salariées licenciées. En plus des problèmes internes à cette petite structure, sont venues se greffer des restrictions budgétaires générales accentuant les difficultés. « Les subventions venues des collectivités, de la CAF, de l’État, du conseil général, allaient en diminuant », note aussi Me Françoise Blet, dernière présidente de l’Ajudevi. « Notre activité connaissait des fluctuations très fortes et on n’avait pas assez de trésorerie pour assumer », complètent les salariées. La voie du redressement judiciaire n’a pas été jugée crédible par le tribunal de grande instance de Tours. « Quand on nous demande d’assurer la permanence d’orientation pénale, il faut mobiliser une personne d’astreinte », expliquent ainsi les salariées de l’Ajudevi. « Ce n’est pas pris en charge financièrement. Des tractations sont en cours pour savoir qui va s’occuper de ça. C’est dévoreur en temps et en argent. » Désormais, ces risques-là, c’est le Pôle de réparation pénale d’investigation de soutien éducatif et de médiation (Prism) qui va devoir les assumer dans un contexte tout aussi difficile. La crise poitevine sur la question de l’aide aux victimes arrive paradoxalement alors que les autorités viennent de communiquer à grand renfort de campagnes publicitaires sur le numéro national d’appel 08VICTIMES.
Le Prism se prépare à prendre le relais
Pour le moment, rien n’est prêt. Pas de plaquettes à distribuer dans les gendarmeries et les commissariats, pas de convention définitivement signée avec les autorités judiciaires, pas de local installé et pas de téléphone. « Tout est en cours », tempère Nadine Delcoustal, directrice du Prism, l’organisme désormais désigné par la justice pour assurer à la fois l’aide aux victimes et les mandats judiciaires. « La signature de la convention par tous les intervenants, c’est une question de jours. On a trouvé un local, juste à côté de nos bureaux actuels, au n° 16 de la rue de la Demi-Lune. » Ils devraient être prêts pour l’accueil du public le 12 mars. En attendant que le téléphone soit installé, le Prism conseille d’appeler le 08 VICTIMES, soit le 08.842.846.37. Lorsque l’on cherche le nom de l’association d’aide agréée le site internet du ministère de la Justice renvoie toujours vers.. l’Ajudevi !
Une double mission
L’Ajudevi, et désormais le Prism, assument une double mission : l’aide aux victimes, c’est-à-dire un accompa- gnement psychologique et juridique gratuit pour expliquer aux victimes d’un crime ou d’un délit, quels sont leurs droits et quelles démarches elles peuvent entreprendre ; les mandats judiciaires, qui consistent en des missions confiées par la justice à l’association qui est alors rémunérée à l’acte, cela va du stage de citoyenneté, à la médiation pénale en passant par le contrôle judiciaire…
2.200
C’est le nombre de victimes qui prenaient contact annuellement avec l’Ajudevi. Sur ce nombre de démarches, environ 300 débouchaient sur une prise en charge nouvelle par les intervenants de l’association. Elles venaient s’ajouter aux 300 à 400 personnes qui faisaient toujours l’objet d’un suivi. Le deuxième volet de l’activité de l’Ajudevi était constitué par les mandats judiciaires : 50 enquêtes, 60 contrôles judiciaires, 80 médiations pénales, une quinzaine de stages consacrés à la citoyenneté, aux stups ou à la violence conjugale. Le Prism assure déjà certaines de ces missions comme les enquêtes pour les juges aux affaires familiales (120), les médiations familiales ordonnées par le parquet (120), les missions spécifiques de protection des mineurs (20)…
Nouvelle République, Emmanuel Coupaye, 28 février 2012
L’amertume des salariées licenciées
Les milliers de dossiers montés par l’Ajudevi sont prêts à partir à la poubelle.
Le plus dur, c’est le téléphone qui continue à sonner. Au bout du fil, des victimes auxquelles il est difficile de faire comprendre la situation actuelle. Un entre-deux mouvant où l’Ajudevi n’est plus aux affaires et la structure qui prend la suite pas encore à l’œuvre. La situation se profilait depuis de long mois mais elle laisse aux salariées licenciées économiques un sentiment de gâchis et d’amertume. La faute à qui ? A des financeurs qui n’ont pas toujours joué le jeu. A des atermoiements dans la prise de décisions en interne. A des choix de gestion mal négociés. « On nous a demandé comment on faisait notre travail. Mais, c’est tout. Pour le reste, si on doit être reprises, on a bien compris que ça serait par défaut », témoignent plusieurs salariées du site (1). « Les 8.000 fiches rédigées sur les victimes qui sont venues nous voir, on les a gardées jusqu’au dernier moment. Personne n’en veut. Maintenant, on jette ! » La salle de réunion sert à entasser les sacs poubelles lestés de vingt-six années de travail. « C’est un vrai gâchis, c’était notre expérience du terrain qui était là. Notre double activité, l’aide aux victimes et les mandats judiciaires c’était pour nous un gage de complémentarité. Les deux services peuvent cohabiter. Il faut juste l’organiser en matière de locaux pour assurer la confidentialité. »
Nouvelle République, 28 février 2012