Photo : vue aérienne du réacteur n°1 de la central de Fukushima Daiichi – AFP PHOTO / HO / AIR PHOTO SERVICE
Le vieil adage « Pas de nouvelles, bonnes nouvelles » ne s’applique évidemment pas à l’accident de Fukushima. La rareté des informations disponibles, dans la presse française plus que dans la presse allemande, espagnole ou anglaise, ne signifie pas que les Japonais soient tirés d’affaire. Mais dans un pays où les candidats socialistes au pouvoir ne savent pas si et quand la France doit sortir du nucléaire, dans un pays où le parti majoritaire s’agrippe à son choix énergétique, les médias partent souvent du principe, à l’exception du Monde, de Libération et de Courrier International, que les Français ne s’intéressent plus à la catastrophe japonaise à partir du moment où ils ne risquent pas d’en subir directement les retombées.
Pourtant, le suivi effectué par plusieurs journaux japonais, en dépit des réticences persistantes de Tepco, (l’opérateur industriel de la centrale) à donner des informations fiables, montre que l’accident n’est maîtrisé dans aucun des trois réacteurs entrés en fusion. Malgré la poursuite des injections d’eau de refroidissement, la température y varie de 300 à 500 °. Ce qui signifie que les techniciens ne peuvent pas approcher des réacteurs. En fait, depuis des mois, il ne se passe plus rien. Les ingénieurs ne savent pas quoi faire, en dehors de l’arrosage, et nul ne sait si les réactions en cours ne vont pas durer des mois ou des années. Les réacteurs ont échappé aux hommes et une ou plusieurs explosions liés à la présence d’hydrogène peut survenir à n’importe quel moment.
Pour qu’une intervention soit possible, il faudrait que les trois cuves en fusion repassent sous la limite des 100 °. En attendant, personne ne semble en mesure de dire si le magma de combustibles nucléaires et de métaux est resté dans les cuves où s’il s’est répandu sur le plancher de béton qu’il a peut-être percé. Ce qui impliquerait une dissémination de la radioactivité dans le sol et vers les nappes phréatiques. La situation des piscines de refroidissement du combustible usagé n’est guère meilleure, bien que la température paraisse s’y stabiliser autour de 50 ° contre 80 ° auparavant. Comme les édifices qui abritent ces piscines sont en ruines et fortement contaminés, les barres de combustibles ne pourront pas être évacuées avant plusieurs années. Et sont à la merci d’un tremblement de terre qui jetterait à terre les bâtiments déjà ébranlés.
En ce qui concerne les réacteurs, s’ils se stabilisent un jour à une température raisonnable, aucune technique n’est actuellement disponible pour les démanteler sans entraîner des dégagements supplémentaires de radioactivité dans l’atmosphère. Les spécialistes japonais et français les plus « optimistes » pensent qu’il faudra au moins une vingtaine d’années pour que soit envisagé un début de démantèlement. Opération qui ne pourrait être effectuée qu’après la construction et la mise en place d’un sarcophage de protection dont plus personne ne parle. Il n’est plus question que d’une mince structure en plastique et métal, en cours de construction au dessus du bâtiment du réacteur n° 1. Il est vrai que le retard pris par la préparation -sans même évoquer la construction- de celui que Vinci et Bouygues ont promis de construire à Tchernobyl n’incite pas les ingénieurs à l’optimisme.
Pour mesurer l’étendue des dégâts et l’ampleur de la catastrophe de Fukushima, il faut savoir que la majeure partie des bâtiments et de la zone qui les entoure restent tellement contaminées qu’il est impossible d’y travailler, même avec des équipements spéciaux. L’ensemble des installations émet donc en permanence, comme c’est encore le cas à Tchernobyl, une radioactivité de 30 à 90 microsieverts par heure qui se répand dans les campagnes au gré de la météo. La plupart des cultures, qu’il s’agisse du riz, des légumes ou du fourrage destiné au bétail, sont donc de plus en plus contaminés, jusqu’à une centaine de kilomètres de la centrale. Ce qui prive de revenus les agriculteurs et les éleveurs.
Au delà de la catastrophe économique qui affecte la zone plus ou moins contaminée qui s’étend régulièrement, reste la situation des réfugiés. Ceux qui ont fui le désastre du tsunami et ceux qui s’efforcent d’échapper à la contamination, malgré un manque criant d’informations. Faute de solution de relogement, beaucoup d’habitants sont restés sur place, en désobéissant parfois aux ordres mollement donnés pas des autorités dépassées qui distribuent compteurs et dosimètres de radioactivité au compte-goutte. Beaucoup de ruraux sont restés sur place, beaucoup de paysans qui continuent à cultiver des légumes qu’ils sont seuls à manger. Ils prennent aussi soin d’animaux dont ils ne peuvent plus vendre ni le lait ni la viande.
Le gouvernement japonais est incapable de fournir le nombre de ces dizaines de milliers de Japonais restés dans les zones contaminées. Idem pour le nombre des évacuées. Les autorités nippones sont plus portées, avec l’aide de Tepco et des syndicats agricoles, à organiser des opérations de communication tendant à prouver que la situation n’est pas aussi grave, à la centrale comme dans les provinces touchées, que le prétendent les anti-nucléaires japonais. Et ce alors qu’une information reste encore inexpliquée : pourquoi, hors de la centrale Fukushima, 37 des 57 réacteurs japonais sont-ils toujours à l’arrêt ?
Politis, Claude-Marie Vadrit, 14 octobre 2011