[Notre histoire] Le temps des cerises (1866)

Le temps des cerises – Cora Vaucaire (1955)

Paroles

Quand nous chanterons le temps des cerises, Et gai rossignol, et merle moqueur Seront tous en fête ! Les belles auront la folie en tête Et les amoureux du soleil au cœur ! Quand nous chanterons le temps des cerises Sifflera bien mieux le merle moqueur !

Mais il est bien court, le temps des cerises Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant Des pendants d’oreilles… Cerises d’amour aux robes pareilles, Tombant sous la feuille en gouttes de sang… Mais il est bien court, le temps des cerises, Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !

Quand vous en serez au temps des cerises, Si vous avez peur des chagrins d’amour, Evitez les belles ! Moi qui ne crains pas les peines cruelles Je ne vivrai pas sans souffrir un jour… Quand vous en serez au temps des cerises Vous aurez aussi des chagrins d’amour !

J’aimerai toujours le temps des cerises, C’est de ce temps-là que je garde au cœur Une plaie ouverte ! Et dame Fortune, en m’étant offerte Ne saurait jamais calmer ma douleur… J’aimerai toujours le temps des cerises Et le souvenir que je garde au cœur !

Jean-Baptiste Clément (1866)

Le temps des cerises

C’est en 1866 que le chansonnier et révolutionnaire Jean-Baptiste Clément écrit les paroles de la future romance Le Temps des Cerises. Né le 31 mai 1837 à Boulogne-sur-Seine, dans la région parisienne, ce fils d’un riche meunier avait rompu avec sa famille et gagna sa vie dès l’âge de 14 ans comme ouvrier monteur en bronze. Par la suite, il exerça divers métiers (marchand de vins, terrassier, journaliste) et s’installa Butte Montmartre à Paris. Militant pour la république, il connut très tôt les prisons impériales sous Napoléon III. Doctrinaire exalté, un aperçu de ses idées se lit dans une feuille fondée par ses soins, et qui lui vaudra d’ailleurs quelques condamnations en raison de ses nombreuses attaques contre le pouvoir en place :  » A bas les exploiteurs ! A bas les despotes ! A bas les frontières ! A bas les conquérants ! A bas la guerre ! Et vive l’Egalité sociale.  » Orateur écouté des foules, partisan convaincu de la révolution du 4 septembre, militant très actif lors de l’insurrection parisienne du 18 mars 1871 (délégué à la Commune de Paris, il avait succédé à Clémenceau en mai 1871 comme maire de Montmartre), Jean-Baptiste Clément dut s’exiler à Londres durant 8 années : condamné à mort par contumace en 1874, amnistié en 1879, il rentrait à Paris l’année suivante. Délégué à la propagande par la Fédération des Travailleurs Socialistes, il parcourut la province et fonda notamment la Fédération Socialiste des Ardennes. Usé par tant de lutte et de combats politiques, il s’éteignait le 23 juin 1903 à Paris, à l’âge de 66 ans…

Les chansons de Jean-Baptiste Clément qu’il écrivait dès l’âge de 20 ans, dont les plus connues sont : Quatre-vingt-neuf, L’Eau va toujours à la rivière, Fournaise, Ah ! le joli temps… eurent un certain succès populaire, en partie grâce au talent d’interprétation de Joseph Darcier, le futur interprète des chansons de Gustave Nadaud. Il se produisait alors à L’Eldorado. On lui doit également plusieurs recueils de chansons : Les traîne-misère, Les gueux, Le Bonhomme Misère, Connais-tu l’Amour ?, et parmi toute sa production, l’un de ses airs est plus particulièrement connu des jeunes enfants qui le fredonnent encore de nos jours. Il est d’ailleurs bien loin des idées révolutionnaires de son auteur, puisqu’il s’agit de la ronde Dansons la capucine !..

Un beau soir de 1867, Jean-Baptiste Clément allait trouver Antoine Renard (1825-1872). Originaire de Lille, cet ancien ténor de l’Opéra s’était reconverti dans le music-hall et se produisait au café-concert de L’Eldorado. Ouvert en 1858 et situé 4 boulevard de Strasbourg, dans le Xe arrondissement parisien, cet établissement à la fois café et salle de spectacles accueillait alors le compositeur d’opérettes Hervé qui y dirigeait l’orchestre. Il le pria de mettre en musique son poème Le Temps des Cerises, ce qu’il fit quelque temps plus tard. Cette chanson devint ensuite l’hymne de tous les communards et des ouvriers. Ce n’est qu’après son retour d’exil que Jean-Baptiste Clément ajouta en 1882 la dédicace :  » A la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue Fontaine-au-Roi, le dimanche 28 mai 1871 « . Ce jour là, avec Eugène Varlin et Charles Ferré, tous deux plus tard condamnés à mort et fusillés, Clément se trouvait sur la dernière des barricades ; Louise Michel, la  » Vierge rouge  de la Commune « , était de la partie.

Auteur de romances et autres chansons : Le Chasse neige, Le Bonheur des Champs, Le Couteau de Jeannette, Fille des champs, Le Barde Gaulois…, Antoine Renard fit éditer, du moins au début, son Temps des Cerises chez J. Kybourtz, 40 Passage du Havre à Paris (édité de nos jours chez Salabert). Il dédicaça sa partition  » A mon ami Anatole Lionnet « . Celui-ci, ami de Gounod qui le rendit dédicataire en 1855 de sa mélodie Mon habit (Heugel), composait lui-même des airs et romances, comme cet Hymne d’amour ou Le petit pioupiou, chantés et enregistrés au début du siècle par le baryton de l’Opéra Jean Noté et André Marchal.

Si Le Temps des Cerises fut au départ un chant révolutionnaire, elle n’est plus aujourd’hui qu’une jolie chanson d’amour dont le succès ne se démentit jamais. Depuis le début du siècle, de nombreux artistes l’ont interprété, certains avec beaucoup de talent : André Dassary, Suzy Delair, Tino Rossi, Charles Trenet, Yves Montand, Mouloudji, Nana Mouskouri, Michel Fugain, Colette Renard… et plus récemment Juliette Gréco (1994), Demis Roussos (1996), Florian Lambert (1998) et Marie-Denise Pelletier (2000)…

Denis Havard de la Montagne, repris sur Maldoror.org