Sur la rentrée syndicale

La lecture de deux articles de la NR nous donne l’occasion de réagir aux revendications de la rentrée, exprimées par les représentants de deux syndicats. Voici les extraits des articles concernés :

Force Ouvrière :

« À une semaine de la journée nationale de grève contre la réforme des retraites, nous voulions montrer la réalité de la précarité de très nombreux retraités aujourd’hui. C’est pourquoi, nous sommes opposés à cette réforme », explique Alain Barreau, secrétaire général FO Vienne. « Sur ce dossier des retraites, nous revendiquons une hausse des salaires qui mécaniquement générerait une augmentation des cotisations vieillesses au régime général, et qui entraînerait une remise à niveau du pouvoir d’achat et ferait repartir l’emploi. »
Des emplois dont FO Vienne fait son mot d’ordre, à l’occasion de cette rentrée, avec les salaires, la protection sociale et les services publics. « Des domaines ou le département est défavorablement touché. Avec des salaires parmi les plus bas du pays, la précarité s’ancre dans la Vienne. Le nombre de bénéficiaires du Revenu de solidarité active (RSA) explose et les effectifs salariés baissent. C’est pourquoi, nous serons particulièrement attentifs dans l’année à venir aux situations délicates des salariés qui travaillent sur le chantier de la LGV, mais aussi des entreprises poitevines comme les Fonderies du Poitou, Iso Delta, ou encore Johnson screens. »

SNES-FSU :

Les représentants du Snes-FSU analysent cette première journée de rentrée concernant les collèges et les lycées de la Vienne. « L’arrêt des suppressions de postes est un premier pas mais ne permet pas de faire face à l’augmentation des effectifs d’élèves, soulignent-ils. Les classes sont souvent plus chargées que l’an passé (jusqu’à 37 en lycée) et les dédoublements moins nombreux. Il manque des professeurs d’anglais, de mathématiques, de français, d’EPS… pour plusieurs classes. Comment, dans ces conditions, réussir pleinement le pari de la démocratisation scolaire, de l’augmentation de la poursuite d’études dans le supérieur, indicateur pour lequel l’académie est à l’avant-dernier rang au niveau national ? » Le Snes-FSU évoque également le chantier de la formation des enseignants ouvert par le ministre avec la création des ESPE ex-IUFM) « mais il estime qu’on est « loin d’une organisation finalisée. Si le projet avance, les moyens restent insuffisants. » Le syndicat cite encore le gel des salaires, l’absence de mesures pour améliorer les conditions de travail, « favoriser la reconnaissance du métier et la perspective de devoir travailler plus longtemps avec la réforme des retraites, sont des sujets supplémentaires d’inquiétude dans les salles de professeurs. Cette rentrée n’est pas encore celle du renouveau ».

Ces deux syndicats parmi d’autres ont en commun de revendiquer, immédiatement, des améliorations de conditions de travail. Cet aspect « réformiste » a toujours été présent dans le syndicalisme, et il est utile parce qu’il permet, lorsqu’il obtient gain de cause par la lutte, de rendre l’esclavage salarial moins douloureux et surtout, d’augmenter la confiance et la combativité des exploité-e-s en vue de luttes plus globales, dans la perspective d’un renversement du capitalisme et de l’Etat (charte d’Amiens).

Mais ces revendications réformistes, contrairement à l’autre objectif du syndicalisme des origines, et c’est là où le bât blesse une fois de plus, ne s’accompagnent plus de l’énoncé de ces perspectives plus larges, ne serait-ce que sur la nature même de la production de biens ou de services ou l’implication réelle des personnes dans les prises de décision. Les perspectives sociales ne dépassent plus l’aménagement d’une société placée sous le sceau du capitalisme et de l’Etat, c’est-à-dire de la dépossession sociale, aussi bien économique que politique.

Alors certes, il faut bien commencer par quelque chose pour aller vers des changements plus profonds, et il peut paraître quelque peu abstrait (si ce n’est absurde) de tancer, de lancer des imprécations aux syndicats pour les inviter à redevenir révolutionnaires ! Et pourtant, force est de constater que les revendications posées, aussi mineures soient-elles, ne sont même plus satisfaites, tant il est évident, et l’histoire le démontre amplement, que les institutions du patronat et du gouvernement ne concèdent jamais des améliorations que si les fondements de leur domination leur paraissent menacés. D’autre part, les fins étant indissociables des moyens, les analyses syndicalistes elles-mêmes tombent trop souvent à côté de la plaque, par manque de perspective globale (reflet de la désorganisation de classe, avec l’éclatement productif) et démontrent une méconnaissance flagrante, pour ne pas dire consternante, des fonctionnements mêmes de ces institutions.

Plutôt que seulement insister sur plus d’emplois et de salaires et de meilleures conditions de travail, mais ce dans le cadre d’un système qui tend intrinsèquement à réduire la masse salariale, à réduire sa rémunération et à exiger toujours plus de productivité, ne faudrait-il pas aussi affirmer viser la fin de ce système et articuler les revendications immédiates avec ce but ?

Plutôt que d’exiger le respect des salarié-e-s, mais ce dans le cadre d’un système qui les réduit intrinsèquement à l’état de variable d’ajustement, de rouages de machines et de marchandises, pourquoi ne pas affirmer la nécessité pour les salarié-e-s et les gens à qui leur travail s’adresse de se mettre en mesure, par des luttes réappropriatrices de l’outil de travail, de décider enfin complètement de ce qu’ils pourraient en faire ?

Plus de formation des étudiants et des enseignants, certes, mais si c’est pour en faire de petit soldats plus soumis et des rouages mieux huilés d’une machine scolaire qui, depuis sa création, est destinée à briser les gens et à les faire rentrer dans le moule de la résignation, à quoi bon ? Plus de disciplines enseignées, certes, mais si c’est pour ignorer les nombreux savoir-faire et connaissances qui intéressent réellement les gens, à quoi bon ?

Ce qui nous choque aussi, c’est de voir un syndicat majoritaire chez les enseignants ignorer presque toujours, dans ses revendications, la vie même des apprenants. Etre enfermé-e entre quatre murs la majeure partie de la journée, ne décider ni des horaires ni des activités, obéir aux diktats des enseignants, être noté, orienté, bref hiérarchisé, voilà une souffrance terrible pour un nombre immense d’individus, dont certain-e-s seront brisé-e-s à jamais. Tout comme certains de leurs enseignants qui ne supportent plus les contradictions épouvantables de leur métier dans le cadre du système actuel, et qui s’abrutissent de médocs, ou se suicident. Voilà l’antithèse même de l’émancipation humaine. Au contraire, on réclamera toujours plus de moyens pour alimenter cette machine à  inculquer l’obéissance, la compétition, l’abrutissement et le déni de soi.

Ce qui nous choque aussi, concernant Force Ouvrière comme tant d’autres centrales syndicales dans leurs discours économiques, c’est de ne jamais évoquer la nature même de la production, des rapports de production, et de ne jamais évoquer la moindre critique de fond du système économique lui-même. On a l’impression de représentants s’échinant à hisser les voiles d’un navire sans gouvernail et dont la coque prend l’eau. Que l’immense majorité des gens soit contrainte à fabriquer de la merde pour obtenir de quoi survivre, avec de l’argent qui n’existe que pour nous diviser, que pour les besoins d’accumulation de pouvoir d’une bande de psychopathes aussi grotesques que dangereux, nous en sommes tou-te-s plus ou moins bien conscients : mais alors, quid des perspectives de réorientation réelle des moyens productifs à disposition ?

Est-il tenable, est-il responsable de ne pas remettre en question ce qui détruit la vie sur cette planète ? Armes, prisons, ou (dans le cas de l’extrait cité), projets écologiquement et socialement dévastateurs tels que la LGV, équipements pour l’industrie automobile ou la pétrochimie, avec leur cortège cauchemardesque de guerres, de mort-e-s et de mutilé-e-s, de misère de populations pillées et écrasées, de pollution sans retour ?

Ce n’est certes pas en condamnant le syndicalisme stupidement, dans son ensemble, que nous permettrons à ces perspectives vitales de reprendre du poil de la bête. Mais il nous semble tout aussi irresponsable de ne pas inviter les syndiqué-e-s de base, celles et ceux qui triment, qui rêvent et qui en prennent plein la gueule comme nous, à changer de perspective, à remettre en cause ensemble ces odes à la croissance, à la compétitivité et à la machinerie du salariat, au sein de leurs organisations et au-delà, dans leur vie quotidienne.

De façon générale, seul le syndicalisme, au sens premier de l’organisation indépendante et autonome des exploité-e-s/ dominé-e-s (qu’on soit encarté ou non), peut renverser le système qui nous broie, car il n’y a rien à attendre des chefaillons abjects, engraissés sur notre dos, quels qu’ils soient. A condition que cette organisation ne se transforme pas en une lubrification de ce système. A condition qu’elle demeure effectivement autonome, et indépendante des partis. Nous en sommes très loin, mais rien n’est jamais perdu.

Aussi serons-nous, sans drapeaux, au sein de la manif du 10 septembre, avec nos compagnes et nos compagnons exploité-e-s, pour partager ce message à notre humble échelle. Nous ne nous faisons aucune illusion : le soir même, tout le monde rentrera penaud-e chez soi. Mais dans la rue, des liens solidaires se tissent : la reconquête de l’espace social, le seul espace réel qui soit, s’opère. Cela prend le temps qu’il faut, loin des écrans, des affiches, des flonflons et du spectacle, des slogans faciles et des déclarations sans lendemain. Cette force se construit.

Pavillon Noir, 4 septembre 2013