La première Nuit Romane très arrosée à Saint-Savin
Une action des intermittents faisait craindre une première Nuit Romane perturbée hier soir à Saint-Savin. Elle l’a été surtout à cause des conditions météorologiques. En effet, vers 21 h, des bourrasques de vent et une pluie battante ont obligé de nombreux spectateurs à quitter le site pour se mettre à l’abri. Cependant, le prélude musical programmé avant le spectacle du groupe F, compagnie spécialisée en pyrotechnie, a pu commencer la soirée avec un retard d’une trentaine de minutes. De plus, quelques incidents techniques dus aux conditions ont aussi perturbé le bon déroulement de la soirée.
Avant le spectacle, un discours inaugural par Ségolène Royale était prévu mais pour des contraintes d’agenda selon la Région, la ministre de l’Écologie n’a pu se déplacer. Les intermittents, accompagnés de quelques employés de Federal Mogul, sont intervenus au micro pour défendre la protection sociale des salariés et dénoncer la politique nationale menée par le gouvernement. Ils estiment que c’est leur présence qui « a conduit à l’absence de Ségolène Royal à Saint-Savin ». « Ça montre que le gouvernement craint les conséquences des choix politiques qu’ils font pour l’ensemble des salariés », a déclaré le Niortais Sébastien Coutant, délégué CGT spectacle.
Les intermittents ont protesté contre la réforme de leur statut dès l’ouverture des Nuits Romanes. Enquête, dans la Vienne, sur un système inégalitaire.
Le conflit des intermittents n’a pas quitté la scène. Samedi 28 juin, lors de la première Nuit Romane à Saint-Savin, ils se sont une nouvelle fois emparés du micro pour dénoncer la politique du gouvernement à leur égard. « Intermittents, on ne joue plus », pouvait-on lire sur l’une des banderoles, signe que le mouvement se durcit au moment où débutent les festivals d’été dans la Vienne. En première ligne, Sébastien Coutant, représentant de la CGT-spectacle, qui est vent debout contre la réforme de leur régime d’indemnisation chômage qui, croit-il, « va rajouter de la précarité ».
« C’est vite fait de dire que l’on est des profiteurs »
Mais, malgré la mobilisation qui dure depuis le début du mois de juin, le gouvernement a décidé d’agréer la nouvelle convention de l’assurance chômage qui a été publiée, jeudi 1er juillet, au Journal Officiel.
Les récentes grèves ont mis en lumière un système méconnu du grand public, celui des intermittents du spectacle. « Intermittent n’est pas un statut – notre statut c’est salarié – ni une différence, ni une exception », martèle sans relâche Sébastien Coutant, coupant court à l’idée que les intermittents seraient des « privilégiés ». « On peut avoir trois contrats dans le même mois, surenchérit Pascal Faïdy, dans le métier depuis 1997 et à la tête d’un quintette de jazz dans la Vienne. Ce sont souvent des contrats d’une journée pour un festival, un spectacle. » Ajoute : « C’est vite fait de dire que l’on est des profiteurs. » Prend l’exemple d’un musicien local qui « gagne 1.500 € par mois ».
Le chômage au prix de 120 concerts
Intermittent est un régime spécifique créé en 1936 sous le Front populaire. D’abord pour les techniciens du cinéma. Puis, un an plus tard, une ordonnance généralise le principe de l’assurance chômage aux artistes.
En 1982, le régime permet une indemnisation chômage à partir de 507 heures de travail sur dix mois pour les techniciens et sur dix mois et demi pour les artistes. Ce qui équivaut à un peu plus de douze heures de travail hebdomadaires pour un chanteur. Une quantité de travail bien souvent très inégalement répartie au cours de l’année : « Mon mois de juin est plus chargé que les autres avec les chorales d’écoles. Les arrangements prennent beaucoup de temps », explique Jean-Yves Monjauze, pianiste et ancien étudiant au Conservatoire de Poitiers. Car on parle là de 507 heures de présence visible, comprenez sur scène : un artiste n’est pas payé lorsqu’il répète.
Le chanteur Mirana, originaire de Poitiers, actuellement en répétition à Buxerolles, explique que « les 507 heures de travail sont plus difficiles à atteindre pour un artiste » qu’un technicien : « Un ingénieur du son peut intervenir sur plusieurs manifestations à la fois » quand un chanteur lutte âprement pour faire partie des programmations des festivals. Il a récemment calculé qu’il lui fallait « 120 dates de concert en salle par an » pour atteindre ces 507 heures de travail. Aujourd’hui, Mirana – qui exerçait au départ le métier d’ingénieur du son avant de monter sur scène, voilà un an et demi – n’exclut pas de « repartir à l’École française d’audiovisuel à Paris » pour valider un diplôme.
Métier de passion
Surtout que le régime des intermittents du spectacle consacre la liberté de l’employeur qui n’a pas l’obligation de se justifier sur la durée du contrat et n’a aucune responsabilité envers la carrière des personnes qu’il emploie. « On n’a pas d’évolution de carrière et des retraites très faibles pour ceux qui peuvent la prendre », note Sébastien Coutant de la CGT-spectacle.
Mais qu’importe assure Jean-Yves Monjauze. Lui qui « n’a pas pris part aux manifestations », dit « soutenir le mouvement des grévistes ». Intermittent, avant tout un métier de passion pour le pianiste : « Si je n’aimais pas ça, je n’en aurais pas fait mon métier. »
aller plus loin
De fortes inégalités salariales
Le revenu moyen des intermittents du spectacle atteint 2.322 € par mois quand on cumule salaires et indemnités, selon un rapport de l’Assemblée nationale, soit plus que le salaire moyen des Français en 2013, 2.130 €. Un chiffre qui cache de fortes inégalités selon le rapport : « Le revenu médian des intermittents s’élevait en 2009 à 13.700 € annuels quand le revenu médian des salariés travaillant à temps plein dans le secteur privé et le semi-public était de 18.400 €. » Une comparaison qui « met en évidence la faiblesse de la rémunération des artistes auteurs ».
en savoir plus
Le Medef » disposé à une concertation «
Au niveau national, le Medef, en première ligne sur le dossier, a proposé de supprimer le système d’indemnisation chômage des intermittents ou encore de moduler l’indemnisation des chômeurs en fonction de la conjoncture.
Alors que la convention a été agréée par l’État le 1er juillet, et face à la montée de la contestation, Mathias Augereau – délégué général adjoint du Medef dans la Vienne – affirme que c’est « à l’État de prendre ses responsabilités » et fait savoir que le Medef est « disposé à une concertation entre les parties prenantes ».
le chiffre
254.394
C’est, selon un rapport parlementaire, le nombre de personnes salariées qui ont cotisé au régime des intermittents, en 2011. Mais toutes ne sont pas indemnisées puisqu’il faut justifier de 507 heures de travail : seules 108.658 personnes ont bénéficié d’au moins une journée d’indemnisation. Dans la Vienne, on comptabilise environ 1.300 intermittents indemnisés.
la phrase
» Pas la volonté d’empêcher la tenue des festivals «
Malgré l’intervention des intermittents lors de la première Nuit Romane, Jean-François Macaire, président de Région, « ne pense pas qu’ils aient l’intention de bloquer les festivals ou d’empêcher leur tenue ». En revanche, il n’exclut pas « des intrusions pour se faire entendre ». Avant de conclure : « Je ne suis pas trop inquiet. »
La Région Poitou-Charentes soutient plusieurs festivals : Le Lavoir électrique (à partir du 5 juillet), Au Fil du Son (25 et 26 juillet), les Nuits Romanes (de juin à septembre), Neuvil’en Jazz (du 24 au 27 juillet) et les Soirées lyriques de Sanxay (9, 11 et 13 août).