Répartition de la masse totale de patrimoine brut entre les ménages LeMonde.fr
C’est plus une confirmation qu’une révélation : les inégalités de patrimoine se sont accrues entre 2004 et 2010, et surtout par le haut, autrement dit par l’enrichissement des plus riches. L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) l’établit dans sa nouvelle enquête sur le patrimoine des ménages, étendue pour la première fois aux départements d’outre-mer, dont les résultats ont été rendus publics jeudi 24 novembre.
En 2010, le patrimoine brut, c’est-à-dire l’ensemble des actifs détenus par un ménage (biens immobiliers, professionnels, patrimoine financier mais aussi matériel…), détenu par les 10 % les mieux dotés est en moyenne 35 fois plus élevé que celui dont disposent les 50 % de ménages les moins dotés. Ce rapport était de 32 en 2004. Comme les économistes Thomas Piketty et Camille Landais l’ont constaté pour les hauts revenus, les inégalités de patrimoine se creusent par le haut, tirées par les ménages les plus fortunés. L’indice de Gini, qui est une mesure du degré de disparité des patrimoines pour une population donnée, a augmenté de 1,4 % entre 2004 et 2010 mais de 13,9 % pour la population des plus riches, alors même qu’une partie de la période observée par l’Insee correspond à la crise.
LES 10 % LES PLUS DOTÉS POSSÈDENT 48 % DU PATRIMOINE GLOBAL
Quelques chiffres donnent la mesure de la situation. Début 2010, la moitié des ménages vivant en France déclarent plus de 150 200 euros de patrimoine brut global. Les 10 % de ménages les plus fortunés possèdent au minimum 552 300 euros d’actifs, alors que les 10 % les plus modestes détiennent au maximum 2 700 euros chacun, soit 205 fois moins. Ces inégalités sont beaucoup plus marquées que celles des revenus. Collectivement, les 10 % de ménages les mieux dotés concentrent 48 % de la masse totale de patrimoine brut, les 1 % les mieux dotés en détenant même 17 %, contre seulement 7 % à la moitié des ménages les moins dotés.
Le montant du patrimoine, brut comme net (une fois déduite la charge des remboursements d’emprunts), croît jusqu’à l’âge de 70 ans avant de décroître ensuite. Toutefois, prévient l’Insee, les effets liés à l’âge « sont difficiles à estimer précisément car les niveaux moyens de patrimoine résultent de contextes économiques qui ont différé d’une génération à l’autre ». Les Trente Glorieuses n’ayant pas grand-chose à voir, par exemple, avec les années 1990. Au-delà de ces effets, les logiques d’accumulation patrimoniale et d’épargne diffèrent nettement entre salariés et indépendants en activité, elles s’estompent avec la retraite. Entre salariés en activité, les disparités patrimoniales selon la catégorie socioprofessionnelle sont très marquées : le patrimoine médian des cadres est 35 fois supérieur à celui des ouvriers non qualifiés.
Acheter un bien immobilier, a fortiori sa résidence principale, est une étape importante dans la constitution d’un patrimoine. Ainsi les ménages propriétaires de leur résidence principale détiennent un patrimoine brut moyen 8,3 fois plus élevé que celui des locataires et des ménages logés gratuitement.
C’est parmi la frange la plus riche de cette France des propriétaires que se trouvent les redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), dont le rendement s’est envolé avec le boom immobilier.
LES HAUTS PATRIMOINES SE PORTENT TRÈS BIEN
Cette année encore, comme l’ont révélé Les Echos du 21 novembre, l’ISF, même avec 300 000 redevables en moins – ceux qui étaient imposés à la première tranche supprimée en juin – devrait rapporter 4,2 milliards d’euros, soit 10% de plus que ce que le gouvernement prévoyait. Bercy y voit notamment le fruit de sa politique de lutte contre l’évasion fiscale.
Malgré la crise, les hauts patrimoines se portent très bien en France et restent détenus par une minorité d’héritiers, une concentration amplifiée par les allégements fiscaux sur les successions et que la suppression de l’impôt sur la fortune devrait encore aggraver.
Selon l’enquête de l’Institut national de la statistique et des études économiques, diffusée jeudi, les inégalités entre Français en matière de patrimoine se sont fortement accrues entre 2004 et 2010. L’écart entre les 10 % de ménages les plus pauvrement dotés et les 10 % de ménages les plus riches a augmenté de plus de 30 % au cours de la période. Quand les 10 % les mieux lotis possèdent au moins 550 000 euros de patrimoine, les 10 % les moins bien lotis n’ont pas plus de 2 700 euros chacun, soit 205 fois moins. Quant au 1 % des ménages les plus riches, ils détiennent chacun 1,8 million d’euros d’avoirs financiers, immobiliers ou professionnels. « Les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus marquées que celles des revenus », reconnaît l’Insee, le revenu disponible des 10 % des ménages les plus modestes étant 4,2 fois moins élevé que celui des 10 % les plus aisés.
« LE PROBLÈME N’EST PAS SON NIVEAU, MAIS SA RÉPARTITION »
Pour Thomas Piketty, spécialiste de la fiscalité et des hauts revenus, cette enquête confirme que « les patrimoines se portent très bien. Il faut revenir à la Belle Epoque pour trouver un niveau aussi élevé ». Le patrimoine global des ménages s’élève à près de 10 000 milliards d’euros. Aux yeux de cet économiste proche du Parti socialiste, « le problème n’est pas son niveau, mais sa répartition ».
Ainsi, les 10 % les plus riches possèdent à eux seuls la moitié du patrimoine total et ont en moyenne plus de 1 million d’euros chacun. A l’inverse, les 50 % les plus pauvres ont en moyenne 30 000 euros, ce qui correspond à une « voiture et deux, trois mois d’avance sur leur compte en banque ». Et s’ils sont propriétaires de leur appartement, ils ont contracté un emprunt, si bien que leur patrimoine net est très faible. Autre enseignement de l’enquête : « Il n’y pas de fuite des patrimoines importants hors de France », souligne M. Piketty.
Une étude récente de la banque Crédit Suisse a d’ailleurs montré que la France comptait plus de millionnaires que n’importe quel pays européen. Pour Thibault Gajdos, du CNRS, cette enquête illustre le rôle déterminant de l’héritage dans la constitution du patrimoine. Ainsi, le patrimoine médian des ménages héritiers est de 241 300 euros, contre 63 100 euros pour les non-héritiers.
A ses yeux, ce n’est donc pas la hausse des prix de l’immobilier qui est responsable de cette « dérive des inégalités », mais « la simple transmission du patrimoine » opposant les héritiers, qui ont pu accéder à la propriété, à ceux qui ne disposent pas d’un patrimoine initial. En outre, relève-t-il, du fait du vieillissement de la population, « on hérite plus vieux ». L’héritage ne bénéficie pas à ceux qui en auraient le plus besoin. L’écart entre le patrimoine des 20-29 ans et celui des 60-69 ans est de 1 à 10.
Le Monde, Claire Guélaud, 24 novembre 2011