Archives de catégorie : Ni patrie ni frontière

[Dijon] Nouveau squat occupé par les migrant-e-s, le proprio est le ministère de la justice

Un nouveau lieu occupé par les migrant-es à Dijon

Soutien bienvenu à l’intersection du boulevard de la Marne et de l’avenue Arstide Brillant.

Depuis plusieurs mois déjà à Dijon, la situation critique des demandeurs et demandeuses d’asile est de plus en plus médiatisée. La régionalisation des demandes d’asile, contraignant les migrant-es à faire leur demande à la préfecture de région et donc à Dijon, a entraîné une hausse du nombre de migrant-es présents dans la ville. La fRance, signataire de la convention de Genève, s’est engagée à accueillir les demandeurs et demandeuses d’asile dans les meilleures conditions, notamment en leur proposant un hébergement décent et des possibilités de s’alimenter convenablement. La préfecture de Côte d’Or, comme bien d’autres en fRance, ne respecte pas ses obligations. C’est ainsi que depuis l’été dernier, plusieurs centaines de personnes en attente de papiers vivent à la rue à Dijon. La préfecture a accordé deux rendez-vous aux associations qui soutiennent juridiquement et matériellement les personnes migrantes. Ces associations demandaient à la préfecture d’opérer des réquisitions pour les accueillir, mais aucune mesure n’est prise pour les loger, la préfecture prétextant l’inexistence de lieux pouvant accueillir tant de personnes. Aucune réquisition ni mesure d’urgence ne sont envisagées. Dans ce contexte, deux lieux avaient déjà été ouverts et occupés par des demandeurs et demandeuses d’asile, venant essentiellement de pays d’Afrique de l’Est où la situation politique est plus que fragile (Somalie, Ethiopie, Erythrée notamment).

Ce désengagement de l’État et le nombre important de personnes concernées associés au fait que ces personnes arrivent de pays en guerre (et donc risquent réellement leur vie dans leur pays d’origine, plus que si illes étaient de « simples » réfugié-es économiques, aux dires des membres de certaines associations) ont fait fondre la frilosité à laquelle les associations « citoyennistes » nous avaient habitué-es face à la « réquisition » non-officielle de logements vides pour les migrant-es. C’est ainsi que ce jeudi 26 novembre a eu lieu l’ouverture publique d’un nouveau squat de demandeurs et demandeuses d’asile à Dijon, avec le soutien des membres de ces associations (voir le texte de l’appel à la manif ayant amené au squat).
Pour les militant-es squatteur-euses habitué-es à ce type d’évènement, cette expérience était à la fois nouvelle et enrichissante : une nouveauté dijonnaise que d’ouvrir ensemble, entre personnes de tous âges et tous horizons sociaux, un bâtiment permettant d’héberger des migrant-es au sein d’un endroit adapté, propre, avec chauffage, eau et électricité.
Ce bâtiment n’est par ailleurs pas anodin, symboliquement, puisqu’il s’agit de l’ancien internat de l’Ecole Nationale des Greffes, et qu’il appartient au Ministère de la Justice. Il est occupé depuis le mardi 24 novembre par une vingtaine de personnes..

Ce jeudi 26, une manif organisée en soutien aux demandeurs et demandeuses d’asile s’est terminée sur les lieux occupés. Environ 150 personnes étaient présentes, migrant-es et soutiens confondus. À notre arrivée, l’occupation qui se déroulait clandestinement depuis 2 jours a été rendue publique, une banderole a été déployée sur la façade du bâtiment, clamant « Un toit pour tous et toutes. Solidarité avec les migrant-es ».
Le directeur de l’Ecole ne le prend pas sur le même ton enjoué, en voyant arriver une foule hétéroclite et ravie, qui, sur fond d’une sono poussive scandant des chants qui évoquent la situation des migrant-es en fRance (et ailleurs), visite et s’enthousiasme des capacités d’accueil du lieu. Les migrant-es téléphonent à leurs ami-es pour les inviter à les rejoindre. C’est l’effervescence à tous les étages, très vite les 50 chambres sont occupées.

Le directeur nous rencontre pour nous expliquer qu’une décision par rapport à cette occupation n’est pas de son ressort et qu’il va en informer sa hiérarchie, le ministère de la justice lui-même. C’est nous faire trop d’honneur. De notre côté, nous lui expliquons que les personnes occupant le lieu y étant depuis plus de 48 heures, ce lieu est devenu désormais leur domicile, qu’il ne peut donc plus agir autrement qu’avec une procédure au tribunal…
D’ici à ce qu’il reçoive ses ordres de sa hiérarchie, et pour être sûr que nous ne pénétrions pas plus avant dans l’enceinte de l’école, il fait venir une patrouille de flics, qui nous chaperonneront toute la nuit, allant jusqu’à interdire le passage aux stagiaires et autres personnels du ministère de la justice domicilié-es sur place et refusant de montrer leurs papiers pour rentrer chez elleux (ce qui fera repartir certains « fonctionnaire de justice » en criant « À bas l’État policier »…). Les flics continuent d’ailleurs leur manège le matin et refoulent les stagiaires qui amènent leurs enfants à la crèche interne voisine, obligés de passer par une autre entrée. En attendant, la nuit s’avance, une gamelle de pâtes apparaît miraculeusement, accompagnée de thermos de thé, de matelas et de couvertures. Les gens commencent à s’installer pour une nuit dont on espère qu’elle ne sera pas trop courte, et l’on aspire à ce que les pandores ne débarquent pas à six heures du matin pour expulser tout ce beau monde.

C’est la naissance d’un troisième lieu d’accueil pour les migrant-es à Dijon, qui s’ajoute à la Boucherie rue Bertillon et à une maison sur Chenôve, en attendant que les demandes de papiers prennent moins de temps et que chacun-e puisse vivre en fRance comme ille l’entend ; en attendant qu’il n’y ait plus ni frontières, ni papiers.

Brassicanigra, 27 janvier 2012

 

[Egypte] « A bas le pouvoir militaire – la légitimité vient de la place ! »

Des milliers d’Egyptiens de nouveau mobilisés contre l’armée

Des milliers d’Egyptiens convergeaient vendredi vers la place Tahrir au Caire pour réclamer le départ des militaires au pouvoir depuis la chute du président Hosni Moubarak il y a bientôt un an.

Des Egyptiennes manifestent sur la place Tahrir du Caire pour réclamer plus de démocratie le 27 janvier 2012.

Des Egyptiennes manifestent sur la place Tahrir du Caire pour réclamer plus de démocratie le 27 janvier 2012.

 

Après la prière hebdomadaire de la mi-journée, des marches sont parties des différentes mosquées du Caire pour rejoindre la célèbre place, épicentre de la révolte populaire de janvier-février 2011.

« A bas le pouvoir militaire! », criaient les manifestants venus de la mosquée Istiqama à Gizeh. « La légitimité vient de la place », scandaient-ils en tapant des mains et en agitant des drapeaux.

Sur la place Tahrir, des milliers d’Egyptiens se sont réunis pour la prière parmi les tentes des centaines de personnes qui campent depuis mercredi, date anniversaire du début du soulèvement qui a mis fin à trois décennies de règne de M. Moubarak.

L’imam chargé de conduire cette prière, Cheikh Mazhar Mazhar Shahin, a affirmé que si la révolte avait conduit à des réalisations notables, le chemin vers un Etat démocratique était encore long.

« Le peuple est descendu (dans la rue) le 25 janvier 2011 pour réclamer la liberté, la justice, la dignité et la fin d’un régime répandant la corruption sous toutes ses formes », a-t-il rappelé à la foule.

« Il a réussi à faire tomber la tête du régime en seulement 18 jours et à mettre des symboles derrière les barreaux. Néanmoins, la révolution n’a pas atteint tous ses objectifs et c’est ce qui conduit le peuple à descendre de nouveau dans la rue pour ce premier anniversaire », a-t-il ajouté.

M. Moubarak, en détention dans un hôpital militaire, est actuellement jugé pour la mort de manifestants durant la révolte, qui a fait officiellement près de 850 morts. Ses deux fils Alaa et Gamal ainsi que plusieurs de ses ministres sont aussi en prison, accusés de corruption.

La journée de vendredi a été placée sous le slogan « de la fierté et de la dignité » par les dizaines de groupes pro-démocratie à l’initiative de la mobilisation. Des manifestations doivent également avoir lieu dans d’autres villes du pays, en particulier à Alexandrie Nord) et à Suez (nord-est).

Les Frères musulmans, grands vainqueurs des récentes élections législatives, occupaient une partie de la place Tahrir, où l’ambiance était plutôt à la fête.

Plus loin, les slogans étaient résolument contre le pouvoir militaire, et nettement moins euphoriques. « Aucun des objectifs de la révolution n’a été réalisé. Qu’est-ce qu’ils fêtent? », s’interrogeait Fahd Ibrahim, un manifestant.

« Nous voulons aussi faire avancer les objectifs de la révolution. Nous voulons la même chose, mais chacun prend une route différente », insistait Essam Elsawy, un membre de la confrérie.

Les manifestants réclament tous la fin du recours à des tribunaux militaires pour juger des civils, une restructuration du ministère de l’Intérieur, et le respect des libertés et de la justice sociale. Mais les islamistes insistaient moins sur le départ des militaires du pouvoir.

L’armée a promis de rendre le pouvoir aux civils à l’issue d’une élection présidentielle prévue avant juillet, mais nombre d’Egyptiens l’accusent de vouloir préserver ses privilèges et continuer à influencer la vie politique.

L’opposant Mohammed ElBaradei a proposé vendredi une nouvelle feuille de route pour le pays, appelant « le Parlement à élire immédiatement un président par intérim », puis à former une commission pour rédiger une nouvelle Constitution.

Un président, dont « les pouvoirs seraient définis par la nouvelle Constitution », serait ensuite élu, et un nouveau scrutin législatif suivrait.

AFP, 27 janvier 2012

[Poitiers] Non à l’expulsion de deux élèves de l’école Jean Mermoz !

CONTRE L’EXPULSION D’UNE FAMILLE ETRANGERE

Depuis deux ans, nous côtoyons deux enfants originaires de Biélorussie. Ces deux élèves, assidus, très bien intégrés à l’école et dans le quartier, sont appréciés de tous. Leurs parents, qui ont pris des cours et parlent maintenant le français, souhaitent rester dans notre pays afin que leurs enfants puissent poursuivre leur scolarité. Nous apprenons, avec sidération et grande inquiétude, qu’ils sont obligés de quitter leur logement le 31 janvier 2012 malgré les rigueurs de l’hiver. D’autant plus, l’état de santé de la petite fille et de la maman nécessite des soins médicaux. L’Obligation de Quitter le Territoire Français ayant été notifiée, la famille tente de la contester pour éviter un retour au pays qui sera suivi de mesures répressives de la part du gouvernement. 

Pour les soutenir, mobilisation le 27/01/2012 à 16h00 sur le parvis de l’école J. Mermoz à Poitiers

Le Comité de Soutien de Bel Air, Poitiers, le 26 janvier 2012

Un rapport accablant sur les contrôles au faciès

[Racisme d’État] Publication d’un rapport de Human Rights Watch sur « les contrôles d’identité abusifs en France »

 

France : Des contrôles d’identité abusifs visent les jeunes issus des minorités

Les abus de pouvoir commis par la police portent préjudice à ses relations avec les minorités.

(Paris, le 26 janvier 2012) – La police  française utilise certains pouvoirs trop étendus dont elle est investie pour procéder à des contrôles d’identité abusifs et non justifiés visant des garçons et de jeunes hommes noirs et arabes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 62 pages, intitulé « La base de l’humiliation : Les contrôles d’identité abusifs en France », révèle que les jeunes issus des minorités, dont des enfants n’ayant pas plus de 13 ans, font fréquemment l’objet de contrôles comprenant des interrogatoires prolongés, des palpations portant atteinte à leur intimité, ainsi que des fouilles d’objets personnels. Human Rights Watch a constaté que ces contrôles arbitraires peuvent avoir lieu même en l’absence d’un signe quelconque d’infraction. Les propos insultants, voire racistes, ne sont pas rares, et certains contrôles donnent lieu à un usage excessif de la force par la police.

« Il est choquant que des jeunes noirs et arabes puissent être, et soient, obligés de se mettre contre un mur et soient malmenés par la police en l’absence de réelles preuves d’infraction », a souligné Judith Sunderland, chercheuse senior sur l’Europe occidentale à Human Rights Watch. « Mais en France, si vous êtes jeune et que vous vivez dans certains quartiers, cela fait partie de la vie. »

Le rapport se fonde sur des dizaines d’entretiens réalisés avec des citoyens français appartenant à des groupes minoritaires, dont 31 enfants, à Paris, Lyon et Lille.

La loi française confère à la police de vastes pouvoirs pour effectuer des contrôles d’identité même en l’absence de soupçons d’acte délictueux, entre autres dans des centres de transport et dans tout lieu désigné par un procureur. Ces contrôles ne sont pas systématiquement consignés dans un rapport de police, et les personnes contrôlées ne se voient remettre aucun document écrit expliquant ou rendant compte de la procédure. La plupart des personnes interrogées par Human Rights Watch n’avaient jamais été informées des motifs des nombreux contrôles qu’elles avaient subis. En raison du manque de données enregistrées, il est difficile d’évaluer l’efficacité ou la légalité des contrôles, a affirmé Human Rights Watch.

Les témoignages publiés dans le rapport viennent s’ajouter aux preuves statistiques et autres récits qui indiquent que la police française a recours au profilage ethnique — c’est-à-dire qu’elle prend la décision d’opérer des contrôles en se fondant sur l’apparence, entre autres la race et l’appartenance ethnique, plutôt que sur le comportement réel des personnes ou sur des soupçons raisonnables d’infraction.

Farid A., un jeune de 16 ans habitant Sainte-Geneviève-des-Bois, en région parisienne, a expliqué que lui et cinq amis avaient été contrôlés à trois reprises près de la Tour Eiffel. « On sort du métro, contrôle. On marche 200 mètres, autre contrôle. On marche 200 mètres, et autre contrôle. Il y avait tout le monde, mais ils ont contrôlé que nous. »

Une étude publiée en 2009 par l’Open Society Justice Initiative et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a établi qu’en France, comparativement aux Blancs, les probabilités de contrôle étaient six fois plus élevées pour les Noirs, et près de huit fois plus élevées pour les Arabes. Bon nombre de personnes interrogées par Human Rights Watch étaient convaincues que leur ethnicité, conjuguée à une tenue vestimentaire associée aux banlieues, jouait un rôle important.

« Contrôler les gens à cause de leur couleur de peau revient à gaspiller les ressources de la police et engendre du ressentiment à l’égard des policiers », a fait remarquer Judith Sunderland. « Les opérations de police devraient s’appuyer sur des preuves et des renseignements, pas sur des stéréotypes. »

Lors des contrôles, les jeunes issus des minorités doivent souvent subir des palpations humiliantes et une fouille de leurs objets personnels. Les palpations peuvent porter atteinte à leur intimité — Saïd, un jeune homme de 25 ans de Lyon, nous a confié, « Ils nous touchent de plus en plus les parties intimes » — et bon nombre de jeunes interrogés s’en sont plaints. Les membres des forces de l’ordre justifient les palpations en les présentant comme une mesure de sécurité nécessaire, mais leur utilisation, pourtant systématique, n’est pas clairement réglementée par la loi française.

Human Rights Watcha également recueilli des témoignages inquiétants de violence lors de contrôles d’identité. Des personnes ont notamment déclaré avoir été giflées, frappées à coups de pied ou visées par une arme à décharge électrique.

Ismaël Y., un jeune de 17 ans habitant en banlieue sud de Paris, a été contrôlé par la police en compagnie d’un groupe d’amis devant la gare de banlieue de Sainte-Geneviève-des-Bois début 2011. « Lorsqu’on était avec les mains contre le mur, je me suis tourné vers lui [le policier qui le fouillait] et il m’a frappé la tête. J’ai dit quelque chose comme “pourquoi vous me frappez”, et il m’a dit “ferme ta gueule, tu veux un coup de gazeuse [lacrymogène] ou quoi ?” »

Le refus d’obtempérer lors d’un contrôle d’identité, ainsi que le fait de poser trop de questions ou de protester contre la manière d’être traité peuvent déboucher sur des plaintes administratives ou pénales telles qu’« outrage à agent ». Cela ajoute une dimension coercitive aux contrôles d’identité et dissuade les gens de faire valoir leurs droits, a expliqué Human Rights Watch.

Yassine, un jeune de 19 ans de Lille, a déclaré que lors d’un contrôle d’identité, des policiers lui avaient asséné des coups de pied après qu’il leur avait prouvé où il avait passé la soirée. Il avait ensuite passé 15 heures en garde à vue pour outrage à agent avant que les charges ne soient abandonnées et qu’il soit libéré.

Les contrôles d’identité abusifs ont un impact profondément négatif sur les relations entre la police et les communautés, a souligné Human Rights Watch. La colère refoulée face aux abus de la police, entre autres face aux contrôles d’identité musclés, a joué un rôle significatif dans les émeutes dont la France a été le théâtre en 2005, et semble être à la base d’innombrables conflits de moindre intensité entre la police et les jeunes des zones urbaines défavorisées partout dans le pays.

Human Rights Watch a fait remarquer que les expériences de contrôles répétés tout au long d’une journée ou le fait d’être choisi pour un contrôle au milieu d’une foule d’autres personnes renforcent le sentiment qu’ont les jeunes issus des minorités d’être pris pour cible.

Le comportement irrespectueux de la police, entre autres l’usage habituel du tutoiement et d’insultes, accentue ce ressentiment. Certaines personnes interrogées en vue du rapport ont déclaré avoir été traitées de « sale bougnoule » ou de « bâtard d’Arabe ». Un jeune de 19 ans habitant Lille a signalé qu’il avait été traité de « sale bougnoule » tant de fois que « ça nous choque plus, c’est normal ». Un garçon de 13 ans d’Évry, en région parisienne, a confié qu’un policier l’avait traité de « sale négro ».

Le droit international et le droit français interdisent la discrimination, l’ingérence injustifiée dans l’exercice du droit à la vie privée, ainsi que les violations de la dignité et du droit à l’intégrité physique. Les normes nationales et internationales exigent également que la police traite les gens avec respect.

Human Rights Watch a appelé le gouvernement français à reconnaître les problèmes posés par les pouvoirs conférés à la police pour les contrôles d’identité, et à adopter les réformes juridiques et politiques nécessaires pour prévenir le profilage ethnique et les mauvais traitements lors des contrôles. Tous les contrôles d’identité et palpations devraient être fondés sur des soupçons raisonnables et individualisés. Toute personne contrôlée devrait se voir remettre une preuve écrite de l’interpellation, reprenant des informations pertinentes telles que ses données personnelles, les noms des agents ayant procédé au contrôle, ainsi que la base juridique de celui-ci.

La police devrait également consigner tous les contrôles dans un registre interne, et le gouvernement devrait publier régulièrement des données ventilées à ce sujet. Toute discrimination de la part de membres des forces de l’ordre devrait être explicitement interdite.

« Franchement, les relations entre la police et les minorités sont déplorables en France, et tout le monde le sait », a conclu Judith Sunderland. « L’adoption de mesures concrètes visant à prévenir les contrôles d’identité abusifs — l’une des principales sources de tension — constituerait un véritable pas en avant et apporterait un réel changement dans la vie quotidienne des gens. »

Témoignages tirés du rapport :

Ouamar C., 13 ans, Paris :
« J’étais avec mes amis assis dans un coin… et ils sont venus nous contrôler. Je n’ai pas parlé car si tu parles, tu es embarqué. Ils ont ouvert ma sacoche. Ils ont aussi cherché sur mon corps. Ça se passe comme ça chaque fois. Ils n’ont rien trouvé sur moi. C’est la première fois que ça se passe devant l’école. Ils disent “Mettez-vous contre le mur”, ils fouillent, à la fin ils disent merci et ils s’en vont… Ça fait peur au début quand on me contrôle. Maintenant je commence à m’habituer. »

Haroun A., 14 ans, Bobigny :
« J’étais dans le centre commercial avec des copains en train de s’amuser. Ils [les policiers] viennent avec leurs armes et ils nous braquent. Il y avait trois policiers. Ils nous ont dit “contrôle d’identité”. Deux avaient dans les mains les flash-balls [armes qui utilisent des balles de caoutchouc]. J’étais avec cinq ou six amis. On ne faisait rien. Tout le temps ils nous contrôlent comme ça. Quand on est en groupe tout de suite ils nous contrôlent. Ils ont demandé si on avait des trucs. Ils nous mettent contre un mur, ils nous fouillent même dans les chaussettes et les chaussures. Ils n’ont rien trouvé. Les papiers ils demandent, mais pas tout le temps. »

Halim B., 17 ans, Lille :
« Le bus s’arrête et la police monte. J’étais assis au fond. C’était à 7h20 du matin. Le bus était rempli… Ils ont désigné un mec et lui ont dit, “tu te lèves et tu descends avec nous”. Je regardais, je croyais que c’était un criminel, et ils m’ont désigné aussi pour descendre. Trois personnes sont descendues, et il y avait deux Arabes sur trois. Le bus était rempli, il y avait plein de monde debout. Il y avait plus de Français [Blancs] dans le bus (…) Les contrôles, ils [les policiers] ont le droit de les faire autant de fois qu’ils veulent mais franchement, j’étais gêné. Je me suis senti comme si j’étais un cambrioleur, un délinquant poursuivi. J’avais peur quand ils m’ont désigné pour descendre. Je me demandais ce que j’avais fait. Quand je suis descendu [du bus], ils ont dit “contrôle, est-ce que vous avez rien d’illicite sur vous, videz vos poches”. Ils ont fouillé mon sac, puis je suis parti. Je suis arrivé un peu en retard à l’école. Franchement, j’étais pas mal habillé ou quoi, j’allais à l’école. »

Communiqué de presse de Human Rights Watch, 26 janvier 2012.

[Roissy] Résistance des passagers d’un vol à une expulsion

Une journée banale sous le ministère de Claude Guéant

Paris, aéroport Charles-de-Gaulle. Une « reconduite aux frontières » comme beaucoup d’autres. À l’arrière de l’avion, un homme menotté crie et se débat. Au silence et à la honte des passagers succède leur révolte. Résistance interdite, répliquent les CRS, qui traquent dans l’avion ceux qui ont osé se lever et prendre la parole. Derrière les chiffres proclamés par le ministère de l’Intérieur, la réalité.

Ce 20 janvier, le décollage est prévu à 10 h 30 depuis l’aéroport Charles-de-Gaulle. À l’embarquement, le personnel de bord est fort prévenant et ne signale aucune particularité sur le vol. À l’arrière de l’avion, pourtant, un homme hurle. « Laisse-moi, je veux descendre ! J’ai pas volé, j’ai pas tué, moi je suis pas esclave. » Il est entouré par quatre hommes et une femme, dont les brassards indiquent « police aux frontières ». « Je veux partir pour moi-même, je veux emmener le mot liberté avec moi. » En réponse à ses cris, il y a d’abord le silence des passagers. Et un terrible sentiment d’impuissance et de honte.

« Je n’aime pas non plus assister à ça, dit un steward. Mais on n’a pas le droit de s’en mêler. Mieux vaut peut-être pour lui qu’il soit là que dans un charter. Ici, au moins, on est là, on voit leurs pratiques, et on est avec lui. » Prière donc aux passagers de se montrer sourds, muets et consentants. Mais l’avion a du retard, et l’homme, malgré le tranquillisant injecté dans son bras, se débat toujours autant. Dans sa bouche, les mêmes mots reviennent en boucle. « Ne vous inquiétez pas, ça va finir par se calmer », assure le steward. En fond sonore, la voix du personnel : « Nous sommes heureux de vous accueillir sur ce vol Air France à destination de Conakry. »

L’heure tourne, les visages se crispent, l’indignation marque les regards. Soudain, un homme se lève : « Je n’ai aucune envie de voyager dans ces conditions-là. » Malgré l’appel au calme immédiat lancé par le personnel de bord, d’autres passagers se lèvent à leur tour. « C’est vrai, on ne peut pas accepter ça, c’est pas normal. » La peur recule à mesure que de plus en plus de passagers se lèvent et appellent à rester debout. « Si cet avion partait pour les États-Unis, vous imposeriez ça aux passagers ?, s’insurge un autre homme. C’est parce que l’on part en Afrique ? » « Pourquoi l’attacher comme un chien ? Qu’est-ce qu’il a fait ? »

« Entrave à la circulation d’un aéronef et rébellion »

L’homme menotté, voyant les gens se lever, se met à taper encore plus fort avec ses pieds. La panique gagne à bord. L’avion, lui, commence à partir. « Arrêtez l’avion », hurlent les gens. Les enfants pleurent, des passagers cognent contre les coffres à bagages. « Je vous garantis qu’il va se calmer », répond l’agent de la PAF. En fond sonore, la voix du commandant de bord : « C’est la dernière chance que je vous donne pour que l’avion puisse partir, restez tranquilles à vos sièges. » Agents de police et passagers filment tour à tour la scène. Des passagers exigent de parler au commandant de bord, la sécurité à bord n’étant pas respectée. La sanction tombe finalement à 12 h 30, deux heures après l’embarquement : « À cause du comportement de la majorité des personnes qui sont à bord, le vol est annulé. »

« Ça veut dire qu’il n’y a personne qui va partir, vous êtes contents ? », lâche le gars de la PAF. « Et vous, là, vous allez descendre avec nous », en pointant ceux qui ont désapprouvé haut et fort la scène dont ils étaient témoins. L’appareil est renvoyé au parking. En bas de l’avion, une fourgonnette arrive dont descendent une quinzaine de CRS. Une fois l’expulsé débarqué, la stratégie d’intimidation se met en place. Un homme de la PAF passe dans les rangées, pointe par les numéros de siège les personnes qui ont exprimé verbalement leur indignation. « Nous avons le n° 38. Madame, prenez vos affaires et descendez s’il vous plaît. » Les gens cachent leur visage par peur d’être reconnus, certains revêtent leurs lunettes de soleil. « On vous cherchait monsieur, vous vous cachiez ou quoi ? » Et l’inspection se poursuit.

Avec ceux qui refusent de descendre, la seule méthode employée est celle de la violence. Dans les travées de l’avion surgissent des CRS casqués, matraque et bouclier à la main, défilant en file indienne. Ils viennent chercher un passager de force, accroché à son siège. Au total, huit passagers sont débarqués, poursuivis pour entrave à la circulation d’un aéronef et rébellion. Le personnel est sollicité par la police pour connaître les noms de ceux qui ont été débarqués. Ils seront finalement relâchés trois heures plus tard, sans avoir écopé d’amende. En attendant les bus ramenant les passagers au terminal, un homme témoigne : « Ces expulsions sont monnaie courante sur les vols en direction de l’Afrique. Ce qui a fait réagir les gens, c’est lorsque l’homme a parlé d’esclavage. Voir quatre type blancs menotter un gars dans l’avion et l’expulser, ça évoque tout de suite la traite négrière. On n’a pas oublié le discours de Dakar de monsieur Sarkozy. »

Basta mag, Sophie Chapelle, 27 janvier 2012