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Brésil : l’Italie déboutée, Cesare Battisti retrouve la liberté

L’ex-activiste italien d’extrême gauche Cesare Battisti est sorti, jeudi peu après minuit, heure locale (5 heures, heure de Paris) de la prison près de Brasilia où il était incarcéré depuis quatre ans, après que la Cour suprême du Brésil a rejeté son extradition vers l’Italie, a constaté un journaliste de l’AFP.

La libération de cette figure des « années de plomb » des années 70 en Italie, où il a été condamné pour meurtres, met un point sans doute final à une cavale de trente ans, suivie d’une bataille judiciaire et d’une crise diplomatique avec Rome.

Accompagné de ses avocats, Cesare Battisti, 56 ans, vêtu d’un pantalon clair et d’une chemise blanche, est apparu serein à la foule de reporters et de photographes postés devant la prison de haute sécurité de Papuna, où il était en attente de son extradition depuis son arrestation en 2007 à Rio de Janeiro. Il n’a fait aucune déclaration en retrouvant la liberté.

« AUCUNE INTENTION DE QUITTER LE BRÉSIL »

Un de ses défenseurs, Luis Roberto Barroso, a indiqué aux journalistes que Battisti « n’avait aucune intention de quitter le Brésil ». Il a précisé que son client se rendrait dès jeudi au ministère de la justice pour solliciter un visa de résident permanent. Il devait passer la nuit dans un condominium fermé, dans les environs de Brasilia.

Battisti était réclamé par l’Italie après avoir été condamné en 1993 par contumace à la réclusion à perpétuité pour quatre meurtres et complicité de meurtres à la fin des années 1970, crimes dont il se dit innocent.

Quelques heures plus tôt, les juges de la Cour suprême avaient jugé par six voix contre trois que l’Italie ne pouvait contester la décision souveraine de l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva de ne pas extrader Battisti.

« VIVE AMERTUME » DE L’ITALIE

Rome a aussitôt réagi vivement par la voix de la ministre de la jeunesse, Giorgia Meloni, qui a dénoncé ce refus comme étant une « énième humiliation » pour les victimes. Le chef du gouvernement, Silvio Berlusconi, a ensuite exprimé dans un communiqué « la vive amertume » de son pays et indiqué que Rome entendait contester devant la Cour internationale de justice de La Haye.

Selon le président du conseil, la décision du Tribunal suprême fédéral brésilien « ne tient pas compte de l’attente légitime que justice soit faite en particulier pour les familles des victimes de Battisti ». « L’Italie continuera son action et activera les instances judiciaires opportunes pour assurer le respect des accords internationaux qui lient deux pays unis par des liens historiques d’amitié et solidarité », a poursuivi M. Berlusconi.

Le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini, a également fait part dans un communiqué de sa « profonde amertume » pour la décision brésilienne et annoncé que Rome « utilisera tout mécanisme de tutelle juridique possible auprès des institutions multilatérales compétentes en particulier auprès de la Cour internationale de justice de La Haye ». Rome a pour objectif « d’obtenir la révision d’une décision que nous ne considérons pas comme cohérente avec les principes généraux du droit et les obligations prévues dans le droit international », a précisé M. Frattini.

« SOUVERAINETÉ NATIONALE »

La plus haute juridiction du Brésil a statué à l’issue d’un débat houleux de six heures. « Ce qui est en jeu ici, c’est la souveraineté nationale. C’est très simple. La Cour, elle-même, a décidé que le président de la République pouvait décider », a dit le juge Luiz Fux en justifiant son vote contre l’extradition.

En 2009, la Cour avait accepté d’extrader Battisti mais, dans un jugement controversé, avait laissé le président Lula décider en dernier ressort. Le refus de Lula d’extrader Battisti avait provoqué une crise diplomatique entre Brasilia et Rome qui avait rappelé son ambassadeur à Brasilia.

Arrêté dans son pays en 1979 quand il militait dans le groupuscule des Prolétaires armés pour le communisme (PAC), Cesare Battisti avait été condamné à douze ans de prison. Il s’est évadé en 1981 et a alors commencé une longue cavale au Mexique, en France où il est devenu auteur de romans policiers et finalement au Brésil.

LEMONDE.FR avec AFP | 09.06.11 | 06h23 • Mis à jour le 09.06.11 | 08h57

Marseille : le scandaleux internement d’un enfant de neuf ans

Il est enfermé depuis une semaine dans un service psychiatrique pour adultes

4 murs, un lit scellé ou un simple matelas, dans une cellule verrouillée, sans angle mort: c'est dans une chambre d'isolement de ce type qu'a été placé Pierre, 9 ans. Photo f. speich

« Inadmissible ! », disent les psychiatres. « Inhumain ! », disent les soignants. « Scandaleux! », dit la direction de l’AP-HM, qui a saisi l’Agence régionale de santé (ARS) d’une alerte sanitaire à propos de Pierre*. Pourtant, depuis une semaine, rien ne bouge pour cet enfant de 9 ans qui tourne en rond entre quatre murs, dans une cellule de quelques mètres carrés entièrement vide et fermée à clé.

Une prison ? Non, une des « chambres d’isolement » du service psychiatrique pour adultes de la Conception. Des locaux sécurisés, verrouillés, meublés d’un lit scellé qui, d’ordinaire, ne sont utilisés qu’en dernier recours, pour contenir des malades jugés dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres patients.

« Des conditions proches de la maltraitance »

Alors comment cet enfant se retrouve-t-il bouclé, seul, sans aucune action éducative ni affective, dans des conditions « proches de la maltraitance » qui révoltent les soignants du service ? Aussi inouï que cela paraisse, c’est officiellement pour sa « protection » que ce gamin se voit imposer cette « incarcération » dont on ignore quand et comment elle prendra fin. « Depuis plusieurs années, Pierre, qui souffre de lourds troubles psychiatriques, est déplacé d’une institution à l’autre », explique l’un des nombreux pédopsychiatres qui l’ont suivi. Diagnostiqué dépressif à 5 ans, puis hyperactif, l’enfant peut se montrer violent et a déjà fait plusieurs fugues.

Dans la région, aucune structure ne peut (ou ne souhaite) l’accueillir. Aussi, en mars 2010, après une nouvelle crise, un premier internement a été ordonné par le juge. Pierre, alors âgé de 8 ans, est placé à l’hôpital Valvert, pourtant dénué d’unité d’hospitalisation complète pour enfants. « La nuit, Pierre tournait dans le secteur adulte au milieu des malades psychiatriques. Parmi les agents de l’hôpital, de bonnes âmes se sont mobilisées pour qu’il y ait toujours un adulte à ses côtés », racontait alors un infirmier de Valvert à La Provence. Pierre finit par sortir de cet hôpital où il n’avait pas sa place.

À nouveau, il est baladé d’institution en institution. Jusqu’au 20 mai dernier où, en pleine crise, il est transporté, sanglé sur un brancard, aux urgences pédiatriques de la Conception.

Alerte sanitaire

Par mesure de protection, à nouveau, le juge ordonne son internement dans le service. Mais où, mais comment ? À la Conception, et plus largement à Marseille, il n’existe aucune structure pour l’hospitalisation psychiatrique des moins de 12 ans. L’Agence régionale de santé ne veut rien savoir : « Il s’agit d’une décision de justice. Il appartient à l’établissement de prendre les meilleures dispositions. »

C’est ainsi que, faute de mieux, Pierre est transféré au pôle psychiatrique adultes de la Conception. Pour le protéger des autres malades, l’AP-HM a dû se résoudre à ce placement en cellule. L’alerte sanitaire envoyée à l’ARS semblant devoir rester lette morte, la direction de l’AP-HM a convoqué aujourd’hui « une réunion de toutes les parties prenantes médicales et institutionnelles afin de trouver une solution pérenne pour cet enfant », indique Christian Rossi, secrétaire général de l’AP-HM.

Le juge qui a ordonné le placement pourrait participer aux échanges. L’ARS en revanche a fait savoir qu’elle ne serait pas représentée : « Il s’agit d’un problème d’ordre médical qui doit être réglé au sein de l’assistance publique. »

* Le prénom a été changé

Pas de places pour les patients difficiles

À plusieurs reprise déjà, le syndicat Sud Santé s’est insurgé contre la présence de mineurs dans des services pour adultes. « Sur la région marseillaise, il n’existe aucune structure d’hospitalisation complète pour les enfants*. Quant aux ados, l’Espace Arthur de La Timone et la futur maison de l’adolescent de l’hôpital Salvator ont bouffé tous les crédits ! » proteste Gérard Avena, délégué Sud.

Or, à en croire Pierre Tribouillard, secrétaire fédéral FO Santé, « l’Espace Arthur sélectionne les patients. les cas les plus difficiles sont refusés. On ne sait pas que faire de ces jeunes patients ». Dans les années 80 pourtant, l’hôpital Édouard-Toulouse (15e) disposait de 80 lits pour des mineurs. Ces structures ont toutes été fermées car on a estimé, à juste titre, que la place des adolescents n’était pas à l’hôpital psychiatrique.

Reste que les jeunes patients, désormais suivis en ambulatoire, ne sont pas à l’abri d’une crise, nécessitant une hospitalisation temporaire. Pour répondre à ce besoin, un projet d’une unité de 15 lits, avait été lancé par l’hôpital Édouard-Toulouse. L’établissement avait même acquis un terrain. Mais, au final, les autorités sanitaires ont préféré confier l’autorisation à une clinique privée. Là encore, d’après Pierre Tribouillard, « cet établissement sélectionne les patients en laissant sur le carreau les cas les plus difficiles ».

* Seules structures pour enfants en Paca : l’hôpital Lanval à Nice (9 places), centre de Pierrefeu dans le Var (10 places) et 7 places rattachées à l’hôpital Montfavet dans le Vaucluse.

Sophie Manelli, La Provence, 27/05/2011