Il est enfermé depuis une semaine dans un service psychiatrique pour adultes
« Inadmissible ! », disent les psychiatres. « Inhumain ! », disent les soignants. « Scandaleux! », dit la direction de l’AP-HM, qui a saisi l’Agence régionale de santé (ARS) d’une alerte sanitaire à propos de Pierre*. Pourtant, depuis une semaine, rien ne bouge pour cet enfant de 9 ans qui tourne en rond entre quatre murs, dans une cellule de quelques mètres carrés entièrement vide et fermée à clé.
Une prison ? Non, une des « chambres d’isolement » du service psychiatrique pour adultes de la Conception. Des locaux sécurisés, verrouillés, meublés d’un lit scellé qui, d’ordinaire, ne sont utilisés qu’en dernier recours, pour contenir des malades jugés dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres patients.
« Des conditions proches de la maltraitance »
Alors comment cet enfant se retrouve-t-il bouclé, seul, sans aucune action éducative ni affective, dans des conditions « proches de la maltraitance » qui révoltent les soignants du service ? Aussi inouï que cela paraisse, c’est officiellement pour sa « protection » que ce gamin se voit imposer cette « incarcération » dont on ignore quand et comment elle prendra fin. « Depuis plusieurs années, Pierre, qui souffre de lourds troubles psychiatriques, est déplacé d’une institution à l’autre », explique l’un des nombreux pédopsychiatres qui l’ont suivi. Diagnostiqué dépressif à 5 ans, puis hyperactif, l’enfant peut se montrer violent et a déjà fait plusieurs fugues.
Dans la région, aucune structure ne peut (ou ne souhaite) l’accueillir. Aussi, en mars 2010, après une nouvelle crise, un premier internement a été ordonné par le juge. Pierre, alors âgé de 8 ans, est placé à l’hôpital Valvert, pourtant dénué d’unité d’hospitalisation complète pour enfants. « La nuit, Pierre tournait dans le secteur adulte au milieu des malades psychiatriques. Parmi les agents de l’hôpital, de bonnes âmes se sont mobilisées pour qu’il y ait toujours un adulte à ses côtés », racontait alors un infirmier de Valvert à La Provence. Pierre finit par sortir de cet hôpital où il n’avait pas sa place.
À nouveau, il est baladé d’institution en institution. Jusqu’au 20 mai dernier où, en pleine crise, il est transporté, sanglé sur un brancard, aux urgences pédiatriques de la Conception.
Alerte sanitaire
Par mesure de protection, à nouveau, le juge ordonne son internement dans le service. Mais où, mais comment ? À la Conception, et plus largement à Marseille, il n’existe aucune structure pour l’hospitalisation psychiatrique des moins de 12 ans. L’Agence régionale de santé ne veut rien savoir : « Il s’agit d’une décision de justice. Il appartient à l’établissement de prendre les meilleures dispositions. »
C’est ainsi que, faute de mieux, Pierre est transféré au pôle psychiatrique adultes de la Conception. Pour le protéger des autres malades, l’AP-HM a dû se résoudre à ce placement en cellule. L’alerte sanitaire envoyée à l’ARS semblant devoir rester lette morte, la direction de l’AP-HM a convoqué aujourd’hui « une réunion de toutes les parties prenantes médicales et institutionnelles afin de trouver une solution pérenne pour cet enfant », indique Christian Rossi, secrétaire général de l’AP-HM.
Le juge qui a ordonné le placement pourrait participer aux échanges. L’ARS en revanche a fait savoir qu’elle ne serait pas représentée : « Il s’agit d’un problème d’ordre médical qui doit être réglé au sein de l’assistance publique. »
* Le prénom a été changé
Pas de places pour les patients difficiles
À plusieurs reprise déjà, le syndicat Sud Santé s’est insurgé contre la présence de mineurs dans des services pour adultes. « Sur la région marseillaise, il n’existe aucune structure d’hospitalisation complète pour les enfants*. Quant aux ados, l’Espace Arthur de La Timone et la futur maison de l’adolescent de l’hôpital Salvator ont bouffé tous les crédits ! » proteste Gérard Avena, délégué Sud.
Or, à en croire Pierre Tribouillard, secrétaire fédéral FO Santé, « l’Espace Arthur sélectionne les patients. les cas les plus difficiles sont refusés. On ne sait pas que faire de ces jeunes patients ». Dans les années 80 pourtant, l’hôpital Édouard-Toulouse (15e) disposait de 80 lits pour des mineurs. Ces structures ont toutes été fermées car on a estimé, à juste titre, que la place des adolescents n’était pas à l’hôpital psychiatrique.
Reste que les jeunes patients, désormais suivis en ambulatoire, ne sont pas à l’abri d’une crise, nécessitant une hospitalisation temporaire. Pour répondre à ce besoin, un projet d’une unité de 15 lits, avait été lancé par l’hôpital Édouard-Toulouse. L’établissement avait même acquis un terrain. Mais, au final, les autorités sanitaires ont préféré confier l’autorisation à une clinique privée. Là encore, d’après Pierre Tribouillard, « cet établissement sélectionne les patients en laissant sur le carreau les cas les plus difficiles ».
* Seules structures pour enfants en Paca : l’hôpital Lanval à Nice (9 places), centre de Pierrefeu dans le Var (10 places) et 7 places rattachées à l’hôpital Montfavet dans le Vaucluse.
Sophie Manelli, La Provence, 27/05/2011