Mais qui était Léon Blum ?

Le personnage de Léon Blum est aujourd’hui célébré sans réserve, comme une grande figure du « socialisme ». Le député-maire « socialiste » de Poitiers, Alain Claeys, a donné son nom en 2013 à la passerelle commandée à Vinci et inaugurée le 6 février à Poitiers.

Et pourtant à son époque, Blum passait chez bien des ouvriers pour un véritable spécialiste des trahisons sociales. Blum a certes subi des attaques antisémites particulièrement ignobles durant toute sa carrière politique, notamment de la part de l’extrême-droite. Il a été retenu prisonnier par les nazis durant la guerre, tout près du camp de Buchenwald. Il a participé à la fondation de l’UNESCO. Mais cela ne doit pas faire oublier que son action politique au sein de la gauche n’a cessé de consister à enterrer les luttes sociales.

Issue d’une famille bourgeoise, il admire le nationaliste d’extrême-droite Barrès, originaire d’Alsace comme sa famille, mais celui-ci le lâche lors de l’affaire Dreyfus. Il rencontre Jaurès, avec qui il cofonde l’Humanité. Il adhère à la SFIO mais n’y milite guère. De 1912 à 1914, il livre de régulières chroniques littéraires et dramaturges dans les colonnes du journal conservateur Le Matin, qui dénigre régulièrement le mouvement ouvrier. Il est auditeur au Conseil d’Etat. Il ne devient réellement actif à la SFIO qu’en tant que chef de cabinet de Marcel Sembat de 1914 à 1916, ministre des travaux publics lors de la première guerre mondiale. Il prône avec acharnement « l’union sacrée » durant toute la grande guerre. Même en 1917, alors que l’opposition à la guerre s’étend, il combat les pacifistes de son parti.

Après la guerre, il s’oppose aux tendances révolutionnaires dans son parti, et oeuvre à développer les tendances « progressistes ». En 1920 au congrès de Tours, il refuse de se rallier à la majorité ayant adopté la IIIème Internationale. Il ne réprouve pas le bolchevisme pour son autoritarisme, mais ses velléités révolutionnaires : il condamne ainsi « la sorte de passion instinctive et de violence grégaire des grandes masses inorganisées ». A la tête du parti socialiste, il prêche la synthèse et la conciliation, et tente un rapprochement avec le parti dit radical, alors au centre de l’échiquier politique.

En 1925-26, Blum est l’un des principaux chantres de la guerre colonialiste au Maroc et en Syrie. Il réclame un jugement impitoyable contre les députés hostiles à la guerre. En 1926, il soutient de fait la réforme économique de Poincaré, dont il vante les mérites dans son discours de Bordeaux (1927).

Peu populaire auprès des ouvriers, il perd en 1928 son siège de député dans le 20ème arrondissement de Paris, qui va au communiste Jacques Duclos. Blum soutient aussi, contre son propre parti, la candidature de Pierre Forgeot, fondateur d’Hispano-Suiza… qui a donné un poste important dans sa société à son fils Robert. Blum sera tout de même réélu député de 1929 jusqu’en 1936, et se consacrera à des activités d’avocat, conseillant plusieurs magnats capitalistes.

En mai 1936, le Front populaire remporte un succès électoral. Chef du parti socialiste, Blum devient président du Conseil. Une vague de grandes grèves commence, avec des mots d’ordre révolutionnaires. Paniqué, Blum exhorte les travailleurs en grève à reprendre le travail. Il doit finalement concéder des mesures (40 heures, congés payés, conventions collectives) qui n’ont jamais été à son programme, mais exige en échange l’évacuation des usines occupées par les grévistes.

Dès le début du mois d’août 1936, il prend le parti de la « non-intervention » en Espagne, trahissant les espoirs des résistants anarchistes et communistes en lutte contre Franco, quant à lui soutenu par Hitler et Mussolini. Il oeuvre à une stratégie de compromis avec Franco auprès de ses collègues socialistes du gouvernement espagnol.

Dès février 1937, alors que le mouvement social retombe, il décrète la « pause » : il faudrait « souffler » et « digérer » les réformes. Le 17 mars 1937 à Clichy, malgré les protestations de la population ouvrière de cette ville dirigée par des socialistes, Léon Blum et son ministre socialiste de l’Intérieur Dormoy autorisent une réunion des Croix de Feu dans une salle jouxtant la mairie. Les travailleurs manifestent pacifiquement contre l’extrême-droite mais les gendarmes, sur l’ordre d’un commissaire divisionnaire socialiste, tirent sur la foule. Huit morts et de nombreux blessés.

En 1937, le sénat lui ayant refusé les pleins pouvoirs financiers, Blum abandonne son poste, ouvrant la porte aux radicaux plus modérés encore que son parti. Il répond à Pivert, qui lui demande de résister à l’opposition du Sénat et de tenir son poste : « Mais ce serait la guerre civile, comme en Espagne. (…) Ne me demandez pas cela ». Sur le mouvement social qu’il a eu à gérer, il dit qu’une telle lutte « se serait étendue à travers tout le pays et se serait traduite par de sérieux mouvements populaires dont l’ampleur et l’énergie se seraient accrues sans cesse » (Le Populaire, 5 juillet 1937).

En septembre 1938, bien qu’il ait auparavant mis en oeuvre une politique d’armement, accordant de gros budgets à l’industrie militaire, Léon Blum approuve les accords de Münich, poussant son parti à ne pas s’opposer à Daladier. Les populations de Tchécoslovaquie et de Pologne sont livrées aux nazis.

Fin novembre 1938, des grévistes manifestent contre la suppression des mesures du front populaire. Blum et Jouhaux les lâchent, alors que la répression du gouvernement radical s’abat : 280 personnes sont arrêtées et envoyées en prison, des dizaines de milliers d’ouvriers sont licenciés.

Conséquences de ces reculades, la législation sociale imposée par les grèves de 1936 fut annulée, et les premiers camps de concentration furent construits pour parquer comme des parias les résistants à Franco, anarchistes, communistes, trotskystes… Malgré la catastrophe en marche, Blum continue d’afficher son camp : « Je n’hésite pas à déclarer que l’opinion publique ne tolèrerait pas le relèvement incessant des salaires » (Le Populaire, 6 janvier 1940).

Pendant la guerre, il se défendra d’avoir mené une politique sociale (voir cette magnifique compilation de propos hallucinants de la part de Blum) et fut emmené comme prisonnier en Allemagne. Après la guerre ce farouche partisan du sionisme contribue à l’établissement d’une étroite collaboration militaire, diplomatique et économique de la France avec Israël… à rebours de nombreux juifs de gauche (comme ceux du Bund), qui condamnaient le sionisme comme d’ailleurs toute autre forme de nationalisme. Blum oeuvra aussi à établir des accords économiques entre la France et les Etats-Unis.

On comprend que la figure de Blum soit érigée en exemple par le parti « socialiste ». Le maire PS de Poitiers, Alain Claeys, devait bien lui rendre hommage.

J., Pavillon Noir