Et le grand vainqueur est… L’abstention !
Youpi ! Avec 47,81% des inscrit.e.s à Poitiers, soit une belle progression de plus de 4,5%. Un « record », paraît-il. Voilà de quoi redonner le sourire et l’espoir dans le bon sens humain !
Et pour celles et ceux qui s’en indigneraient, monté.e.s sur leurs ergots citoyennistes, appelant au « vote utile » ou au « barrage citoyen contre les idées fascistes », je me contenterais de les renvoyer à cette discussion, déjà publiée sur notre blog. S’ils et elles ont d’autres arguments à opposer à notre refus d’être représenté.e.s, à notre refus de désigner quelqu’un pour nous dire à notre place ce que nous devons faire et contraindre les autres à faire pareil, je les lirai avec attention… ou pas.
L’abstention : c’est le seul chiffre qu’on citera aujourd’hui. Laissons donc, dans un grand rire, politicard.e.s et journalistes pérorer sur les autres chiffres à virgule, sur les « victoires », les « reculs », les « implantations », les « pentagulaires » et « quadrangulaires », et autres interprétations piteuses d’une réalité qui leur échappe et leur échappera toujours, la nôtre, après tout c’est leur beurre.
Toutes les listes pouvaient bien afficher des façons différentes de gérer la misère économique, politique et affective, mais elles avaient toutes en commun le même leitmotiv : aller voter ! Ne pas s’abstenir ! Lutter contre « l’ennemi » abstentionniste ! Comprenons-les, les pauvres : on verrait certes mal ces candidat.e.s gérer le capitalisme, si personne ne leur donnait la légitimité nécessaire pour décider politiquement à la place de tout le monde, à la façon dont le Capital nous exploite et décide pour nos activités.
Si on compte toutes celles et tous ceux qui ne prennent même plus la peine de s’inscrire sur les listes électorales, sans oublier les « étrangers » extra-communautaires vivant ici, sans oublier non plus les prisonniers privés de droits civiques, on dépasse confortablement la moitié des habitant.e.s. qui n’ont pas voté ce dimanche. Comme quoi, la sainte « majorité absolue » légitimant la domination d’une clique sur tout le monde, est bel et bien du vent, comme elle l’a toujours été et le sera toujours. De quelque couleur qu’il ou elle soit, le ou la maire aura été « élu.e » avec une petite minorité de voix.
Nous sommes tou.te.s des minorités. L’argument de la « majorité » est toujours celui du grégaire, du suivisme, de l’autoritarisme, de la non-pensée, de la résignation, de l’unité fictive du « peuple », du déni de la multiplicité humaine et des expériences complexes qui tissent notre quotidien réel.
On m’objectera que les gens qui s’abstiennent le font pour des raisons très différentes, et sont loin d’être tou.te.s anarchistes. Et bien ? encore heureux, mazette. Par colère, par ennui, par pied-de-nez, parce qu’on s’en branle, parce que ce week-end on préfère taquiner le poisson, faire risette avec une.e amant.e, faire la fête avec des potes… Nous avons tou.te.s des raisons et des motivations différentes d’envoyer aux orties la « représentativité », c’est-à-dire le renoncement consenti à notre puissance d’agir. Et c’est tant mieux ! Et puis, un monde sous « programme anarchiste »… quel non-sens, quand l’anarchisme c’est partir de nous-mêmes, de la multiplicité de nos situations réelles, pour nous émanciper mutuellement, en nous fédérant librement, plutôt qu’en nous enfermant. Contrairement à ces candidat.e.s ayant l’étrange et pompeuse prétention de considérer « le peuple » comme une masse uniforme à faire paître dans l’enclos de leur triste vision étriquée, de leur programme en X points de suture sur la plaie béante que laissent Etat, Capital et Patriarcat sur nos vies, nous aimons la multiplicité, nous ne parlons pas au nom des autres car nous refusons qu’on parle en notre nom… nous ne revendiquons que notre subjectivité assumée.
Reste que s’abstenir, ça ne change rien, pas plus que de voter… si nous nous refusons à vivre nos rêves, nos désirs, nos idées ! Et là mes ami.e.s, y’a du boulot pour faire ravaler leur morgue aux chefs de tout poil, qui nous enterrent au quotidien. Une fois le cirque électoral passé et « l’élu(e) » couronné(e), espérons qu’on se remettra à lutter ensemble au jour le jour. Car au-delà des fausses divisions politiciennes, les puissants continuent leur lutte des classes, et nous en mettent plein la gueule, faut bien le reconnaître. Pendant que les médias nous servent leur sitcom électoral tricolore avec un aplomb tragi-comique, la révolte gronde, en Argentine, au Venezuela, en Grèce, en Espagne, en Ukraine, à Taïwan et ailleurs, les appels à solidarité abondent. Pendant que les têtes de liste crient à tue-tête « on va ga-gner », ici même à Poitiers (voire « on a ga-gné » avec 15% des voix exprimées !), des gens continuent de se battre pour leur gueule et celle de leurs camarades, pour gagner vraiment le droit de vivre ici, d’avoir un toit, d’avoir de quoi bouffer, de s’exprimer librement, de renvoyer l’oppression policière, judiciaire, sexiste, raciste, patronale dans les cordes.
Abstention oui, mais abstention active !
Juanito, Pavillon Noir, 25 mars 2014