Malgré un relatif mutisme des grands médias à ce sujet – élections municipales et crash aérien ayant toutes les attentions des rédactions en chef –, la mobilisation sociale contre les résultats honteux de la « négociation » sur l’assurance chômage se poursuit, notamment à Paris, et ce malgré la répression organisée par le pouvoir socialiste. Signé par le Medef et la CGPME – côté patronat –, la CFDT, la CFTC et FO – côté salariés, prétendent-ils… –, l’accord pondu dans la nuit du 21 au 22 mars 2014 modifie drastiquement les règles d’indemnisation de certains chômeurs. L’idée ? Réaliser plusieurs centaines de millions d’euros d’économie pour faire face au déficit de l’Unedic, lequel serait sur le point de dépasser les 4 milliards d’euros. Tentatives d’explication.
Les petits gestes du patronat Les droits rechargeables L’accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier 2013 l’avait évoqué, c’est désormais chose faite : à partir du 1er juillet prochain, les chômeurs indemnisés pourront accumuler leurs droits chaque fois qu’ils retrouveront du travail (jusque-là, une partie était systématiquement perdue). Ainsi, lorsqu’un chômeur arrivera au terme de son indemnisation, il pourra « recharger » son compte avec les allocs qu’il aura obtenues pour les heures retravaillées depuis l’acquisition des droits qui prennent fin à ce moment-là.
Cumul simplifié Parallèlement, le principe d’activité réduite – cumuler petits jobs et allocation – sera, dit-on, simplifié, avec, désormais, la suppression de la restriction de quinze mois (qui, souvent, générait beaucoup de trop-perçu que Pôle emploi demandait ensuite aux chômeurs de rembourser – allant jusqu’à pousser certains au suicide). Un mieux ? Là encore, cela aurait pu l’être, mais le patronat n’a pu s’empêcher d’exiger que, désormais, l’allocation soit ainsi calculée : le montant de l’allocation mensuelle sans activité — 70 % du salaire obtenu par l’activité réduite effectuée dans le mois. Un coup dur pour les travailleurs précaires concernés, et notamment pour les intérimaires, lesquels bénéficiaient jusque-là des acquis de l’annexe IV, soit une durée d’affiliation comptabilisée en heures et non en jours et, surtout, une absence de seuil pour le cumul alloc-salaire. Droits rechargeables et simplification perverse du principe d’activité réduite (dont on se serait bien passé au final), c’est bien là tout ce que le patronat a « lâché » pendant ces négociations. Une amélioration toute relative et en demi-teinte, donc, accordée pour faire avaler aux travailleurs les autres décisions – très sévères – et pour permettre aux quelques organisations syndicales signataires (CFDT, CFTC et FO) de justifier une énième trahison.
La saignée des autres Ce que le patronat a donné d’un côté (les droits rechargeables, soit 400 millions d’euros), il le reprend de l’autre, non sans avoir doublé la somme de la donne initiale en réclamant… 800 millions d’euros. Première mesure souhaitée et entérinée par l’accord ? Rien de moins qu’abaisser le taux de remplacement du salaire à 57 % (au lieu de 57,4 %) pour les travailleurs ayant jusqu’alors touché un salaire mensuel de plus de 2 000 euros brut (un revenu sans doute exagérément élevé pour ces habitués des parachutes dorés…). Et ce n’est pas tout. Petit zoom sur le reste.
Allocations retardées Les salariés qui, licenciés, parviendront à arracher à leur patron des indemnités supérieures à celles prévues par la loi – les fameuses indemnités supralégales – seront désormais contraints de patienter cent quatre-vingts jours (au lieu de soixante-quinze) pour toucher leurs allocations chômage 1. Si la CFDT prétend voir dans cette mesure un moyen de lutter contre les ruptures conventionnelles à répétition – qui, en effet, servent trop souvent à déguiser des licenciements –, on y voit surtout une manière de pousser les travailleurs à revoir leurs exigences à la baisse en termes de demandes d’indemnités quand ils se font sortir de l’entreprise.
Le régime des intermittents amoché Ce n’est un secret pour personne : le patronat a toujours rêvé de se débarrasser du statut d’intermittent du spectacle. Et, aujourd’hui, alors que le drapeau rose flotte sur l’Élysée, le gouvernement est sur le point de satisfaire ce caprice vénal. Ainsi, le plafond du cumul salaire-allocations des intermittents sera rabaissé à 5 475 euros brut. En outre, les 112 000 intermittents du spectacle devront subir un différé d’indemnisation qui les obligera à attendre plusieurs semaines avant de toucher des allocations pour lesquelles ils ont pourtant cotisé. Enfin, car ce n’est pas tout, les cotisations sur les salaires des intermittents passeront de 10,8 % à 12,8 % (total des parts patron et salariés), une mesure imbécile qui non seulement diminuera les revenus directs des intermittents, mais fragilisera également l’activité des petites structures du monde du spectacle indépendant. Gardons également à l’esprit que, comme il l’a annoncé début mars, le Medef aspire à ce que ce régime particulier disparaisse rapidement. En cela, il peut déjà compter sur tous ces grands médias qui n’ont de cesse de présenter les intermittents du spectacle comme des petits privilégiés pour mieux les désigner ensuite comme les responsables des divers déficits. « Ce sont des assistés », tentent-ils de nous faire croire, en oubliant sans doute que, jusqu’à maintenant, c’est au patronat que le gouvernement a accordé plus de 30 milliards d’euros de cadeaux fiscaux…
Les seniors aussi vont casquer Jusque-là dispensés de payer les cotisations à l’Unedic, les salariés de plus de 65 ans seront désormais obligés de verser leur part à l’organisme d’indemnisation.
La réjouissance des gagnants Désireux d’obtenir un accord sur l’assurance chômage avant le premier tour des élections municipales, Michel Sapin, le ministre du Travail, était tout heureux à l’annonce de la fin des négociations. Il est allé jusqu’à se féliciter de « la responsabilité dont ont fait preuve les partenaires sociaux gestionnaires de l’assurance chômage ». La CFDT s’est dite satisfaite d’avoir protégé les plus faibles (sic) et FO s’est montrée rassurée que le patronat ne soit pas allé… trop loin ! Un bon foutage de gueule, en somme, pour des négociations réalisées dans les couloirs (avec plus de douze heures d’interruption de séance, comment pouvait-il en être autrement ?). Car, au final, la logique de l’accord est limpide : faire reposer les économies de l’Unedic sur le seul dos des chômeurs, des travailleurs précaires et des seniors – les plus faibles donc, ceux-là mêmes que la CFDT prétend avoir défendus. Quant au Medef, il a poussé le cynisme jusqu’au bout en prétendant vouloir « enclencher une dynamique de réduction des dépenses », avant d’annoncer que « des efforts supplémentaires devront être engagés à terme ». Gageons que le gouvernement saura le suivre dans cette voie… Reste, néanmoins, que la mobilisation contre cet accord est là, et bien vivante. Occupations, manifestations, assemblées générales régulières, communication permanente : les précaires, les intermittents et les chômeurs ont montré ces derniers jours qu’ils n’entendaient pas se laisser marcher dessus par un pouvoir hypocrite et un patronat outrancier et provocateur. L’accord n’est encore qu’un accord et, pour être effectif, il devra bénéficier d’un agrément du ministère du Travail. Si la mobilisation s’essouffle, celui-ci devrait intervenir rapidement. Nous savons, donc, ce qu’il nous reste à faire. Et ce n’est sûrement pas de mettre un bulletin dans une urne.
1. À noter que cette mesure ne devrait pas toucher les salariés licenciés pour raison économique.
Guillaume Goutte, Le Monde libertaire (3 avril 2014)