Un habitant de l’immeuble où il résidait le dit aux journalistes : « Il lui arrivait de crier la nuit. » Ça fait peur, hein ?!
Un parent d’élève du quartier où il vivait apporte cette utile précision aux mêmes journalistes : « Il avait l’air bizarre. » Une maman inquiète surenchérit : « Avec ses claquettes aux pieds et sa dégaine, il me faisait peur. » Les claquettes aux pieds, ça fait peur, hein ?!
Un jour, apercevant une fillette égarée ayant échappé à la surveillance de sa mère, il l’avait ramenée gentiment jusqu’à son école maternelle. Une petite fille donnant sagement la main à un homme qui n’est ni son père ni son grand-père… ça fait peur, hein ?! Cette scène, en tout cas, aperçue par une voisine de cet homme à l’air bizarre qui crie parfois la nuit et porte des claquettes aux pieds, aura suffi pour faire naître la rumeur, bientôt répandue dans l’ensemble du quartier : sans aucun doute un pervers sexuel ! Et les pervers sexuels, si nombreux à enlever de jeunes enfants au sortir des écoles depuis quelque temps, ça fait peur, hein ?!
Jean-Claude B., un homme malade placé sous curatelle, à l’allure négligée (ça fait peur, hein ?!), a eu le tort considérable de se trouver à la mauvaise heure, lundi 28 novembre, près de la sortie de l’école où il avait ramené cette gamine quelques jours plus tôt. La meute des honnêtes gens et parents, qui portent aux pieds des chaussures de saison, l’a poursuivi jusqu’à l’entrée de son immeuble et retenu dans la cabine d’ascenseur jusqu’à l’arrivée de la police. Un infarctus foudroyant provoqué par le stress l’a aussitôt terrassé.
Voilà. Il ne criera plus la nuit et son air bizarre ne viendra plus troubler la quiétude d’un quartier bien chaussé où est née et a enflé la rumeur fatale, totalement infondée.
Gageons que ce gouvernement, toujours prompt à pondre une ou deux lois répressives à chaque fait divers sordide, saura faire en sorte que les personnes déambulant avec des claquettes aux pieds ne puissent plus demeurer à moins d’un kilomètre des établissements scolaires. On a trop peur, hein ?!…
Floréalanar, Floréal, 30 novembre 2011