Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

Politique pénale : quand les idées reçues dictent leurs lois

S’il est un domaine où fantasmes et contre-vérités cohabitent, c’est bien celui du crime, de la délinquance et de la peine. « Ce qui domine est la désinformation et la propagation des idées reçues, par exemple que la peine de mort peut faire reculer la criminalité ou que les taux d’homicide sont en hausse », estime Denis Salas, magistrat. Les idées reçues concernent aussi bien les auteurs d’infraction que la nature de la délinquance ou de la réponse pénale.

Il n’est pas un crime média­tisé sans que ne soit bran­die la figure du « mons­tre » à bannir de l’huma­nité. Comme s’il fal­lait que chacun puisse aus­si­tôt s’en démar­quer. « Ils sont nous », affir­mait à l’inverse l’OIP dès sa créa­tion en 1990. Le psy­chia­tre Jean-Louis Senon rap­pelle ainsi que nous sommes tous por­teurs de sen­ti­ments tels que « la vio­lence, la haine, la rage, la jalou­sie  », qui « dans cer­tai­nes cir­cons­tan­ces, peu­vent conduire au pas­sage à l’acte cri­mi­nel ». Acteurs et pro­fes­sion­nels relè­vent sou­vent, en se plon­geant dans un dos­sier pénal, qu’un pas­sage à l’acte, même grave, peut arri­ver plus faci­le­ment que l’on ne veut bien l’admet­tre. Nombre d’études cri­mi­no­lo­gi­ques ana­ly­sent ce contexte dans lequel une per­sonne a « bas­culé », cette suc­ces­sion d’évènements et de situa­tions ayant agi pour elle comme des fac­teurs déclen­cheurs : sépa­ra­tion d’un conjoint, perte d’un tra­vail, alcoo­lisme, rup­ture de soins, iso­le­ment, fré­quen­ta­tions… Des conseillers d’inser­tion et de pro­ba­tion expli­quent que « le pas­sage à l’acte cri­mi­nel est un pas­sage à l’acte dyna­mi­que, c’est-à-dire que la per­sonne n’était pas pré-déter­mi­née à le com­met­tre dans n’importe quel­les cir­cons­tan­ces. Le pas­sage à l’acte s’est pro­duit dans un contexte par­ti­cu­lier où une plu­ra­lité de fac­teurs se sont trou­vés réunis » [1]. Une telle appro­che ne se veut ni bana­li­sante, ni dé-res­pon­sa­bi­li­sante, à la recher­che d’un équilibre entre la part de choix indi­vi­duel et des fac­teurs sociaux qui ali­men­tent les com­por­te­ments dits « déviants » (pré­ca­rité, dis­cri­mi­na­tions, déli­te­ment du lien social…). Elle permet également de mieux accom­pa­gner les per­son­nes ayant commis un jour une infrac­tion, ce qui néces­site préa­la­ble­ment de cher­cher à com­pren­dre. « Reconnaître eux-mêmes le scé­na­rio d’un délit repré­sente une valeur posi­tive pour les délin­quants parce qu’il leur sera pos­si­ble d’iden­ti­fier plus tôt en eux-mêmes les signaux de risque et de par­ve­nir à une solu­tion tous seuls ou avec l’aide de leur entou­rage  », expli­que le pro­fes­seur néer­lan­dais Bas Vogelvang [2].

La tyran­nie du dis­cours sécu­ri­taire

Chercheurs et pra­ti­ciens sont aus­si­tôt taxés d’« angé­lisme » lorsqu’ils essaient de rela­ti­vi­ser l’ampleur du phé­no­mène cri­mi­nel, notam­ment en rap­pe­lant le carac­tère excep­tion­nel de la réci­dive d’homi­cide lorsqu’elle se pro­duit. Le socio­lo­gue Laurent Mucchielli déclen­che de vio­len­tes cri­ti­ques, lorsqu’il se contente de relayer les résul­tats d’une enquête de vic­ti­ma­tion de l’Observatoire natio­nal de la délin­quance et de la réponse pénale (ONDRP), mis en place par Nicolas Sarkozy. Une enquête plus fiable que les chif­fres de la police car elle inclut les faits non dénon­cés. Elle indi­que qu’en 2011, en dehors des vols avec vio­lence ou menace commis sur des femmes, l’ensem­ble des infrac­tions se situe à un niveau stable, voire en baisse. Les actes de van­da­lisme contre le loge­ment ou le véhi­cule sont ceux les plus fré­quem­ment décla­rés par les ména­ges (8%). Ils sont en légère baisse, tout comme les agres­sions sexuel­les ou vio­len­ces au sein du foyer. Une forte baisse est obser­vée s’agis­sant des vols de voi­ture et autres vols sans vio­lence ni menace. Le niveau des cam­brio­la­ges et des viols avec vio­lence ou menace appa­raît stable. Contrairement à une autre idée répan­due, «  on véri­fie une fois de plus que les vio­len­ces sexuel­les les plus fré­quen­tes sur­vien­nent au sein de la famille et non de la part d’inconnus ». Autant de résul­tats qui « ont tant de mal à être enten­dus dans le débat public. (…) Ils invi­tent à recher­cher ailleurs que dans l’évolution de la réa­lité délin­quante les rai­sons de l’impor­tance du sen­ti­ment d’insé­cu­rité parmi nos conci­toyens » [3].

Demande de sécu­rité, demande de répres­sion ?

Un autre champ d’idées reçues relève de la demande des citoyens. A écouter cer­tains dis­cours poli­ti­ques, l’insé­cu­rité est érigée en tête des fléaux dont souf­fri­rait la popu­la­tion. A en juger le baro­mè­tre men­suel de la Sofres, il appa­raît que « la sécu­rité des biens et des per­son­nes  » arrive en fait au dixième rang des préoc­cu­pa­tions des Français, loin der­rière le « chô­mage et l’emploi », « la santé et la qua­lité des soins », « l’évolution du pou­voir d’achat », « le finan­ce­ment des retrai­tes »… 24% des per­son­nes inter­ro­gées citent la sécu­rité comme l’une de leurs préoc­cu­pa­tions et 2% comme la pre­mière. Elles sont 76% à citer le chô­mage et l’emploi. Globalement, les ques­tions socia­les sont celles qui sou­lè­vent le plus d’inquié­tu­des : le « loge­ment », les « iné­ga­li­tés socia­les », «  l’envi­ron­ne­ment et la pol­lu­tion », le « finan­ce­ment de l’assu­rance mala­die » se pla­cent avant la sécu­rité [4].

Les idées reçues sont également légion quant à la demande des vic­ti­mes. Allongement des peines, mesu­res de sûreté, peines mini­ma­les pour les réci­di­vis­tes, cons­truc­tion de pri­sons pour cour­tes peines… le légis­la­teur n’a plus de limi­tes quand il s’agit d’inven­ter des dis­po­si­tifs au nom des vic­ti­mes. Lors de l’examen de la loi sur la réten­tion de sûreté en jan­vier 2008, la garde des Sceaux Rachida Dati invo­qua le « petit Enis, enlevé et violé à l’âge de cinq ans alors qu’il jouait devant chez lui. Sans sûreté, il ne peut y avoir de vie. Je pense à la jeune Anne-Lorraine Schmitt, violée et tuée alors qu’elle se ren­dait dans sa famille en RER ». Il semble pour­tant que la demande des vic­ti­mes soit plus varia­ble et com­plexe que celle de la répres­sion ven­ge­resse. La cri­mi­no­lo­gue belge Sonja Snacken expli­que que les recher­ches vic­ti­mo­lo­gi­ques mon­trent que leurs prin­ci­pa­les atten­tes relè­vent d’un « besoin de se sentir reconnu et res­pecté en tant vic­time », d’obte­nir des expli­ca­tions sur les faits et l’action judi­ciaire… et pas tant de « l’allon­ge­ment des peines ou l’abo­li­tion de la libé­ra­tion condi­tion­nelle » [5]. Brigitte Sifaoui nous en offre un exem­ple, en expli­quant qu’elle aurait pré­féré, plutôt que 30 ans de prison sans contenu pour l’assas­sin de son frère, qu’on lui dise : « on va le garder 5 ou 10 ans, pen­dant les­quels [un] tra­vail thé­ra­peu­ti­que va être accom­pli et les condi­tions de sa sortie bien pré­pa­rées ».

Industrialisation des peines sans contenu

Là se situe la dimen­sion lar­ge­ment occultée des poli­ti­ques péna­les dites « popu­lis­tes » : le contenu, les condi­tions d’exé­cu­tion de la peine et sa fina­lité impor­tent peu. Il s’agit tout juste de pro­non­cer et d’exé­cu­ter plus de peines, plus sys­té­ma­ti­que­ment et plus rapi­de­ment. Une indus­tria­li­sa­tion de l’enfer­me­ment, de la sur­veillance électronique, dont on se demande rare­ment si elle pourra per­met­tre aux auteurs d’infrac­tion d’évoluer, per­son­nel­le­ment et socia­le­ment, et si la sécu­rité en sera effec­ti­ve­ment ren­for­cée. Les pri­sons sont sur­peu­plées ? Les condi­tions de déten­tion sou­vent indi­gnes ? Les per­son­nels péni­ten­tiai­res peu dis­po­ni­bles et formés à l’accom­pa­gne­ment des auteurs d’infrac­tion ? La prison pro­duit davan­tage de réci­dive que les peines et mesu­res alter­na­ti­ves ? Peu importe. Des peines sont pro­non­cées, elles doi­vent être exé­cu­tées, même si cela vient aggra­ver la situa­tion des condam­nés, ren­force leur niveau d’exclu­sion, leur sen­ti­ment d’humi­lia­tion… et au final la délin­quance. Une autre jus­tice est pos­si­ble, une jus­tice huma­niste, appré­hen­dant l’infrac­tion comme un appel à l’inté­gra­tion sociale, une demande de repè­res struc­tu­rants. Une jus­tice pri­vi­lé­giant la sym­bo­li­que de la répa­ra­tion, à tra­vers des mesu­res d’accom­pa­gne­ment en milieu ouvert pour la majo­rité des cas, plutôt que celle de l’exclu­sion et de la stig­ma­ti­sa­tion trop bien incar­née par la prison.

Sarah Dindo (Co-direc­trice de l’Observatoire inter­na­tio­nal des pri­sons)

Texte extrait du numéro 74-75 de la revue « Dedans-Dehors », revue de l’Observatoire International des Prisons

Voir aussi : OIP, les condi­tions de déten­tion en France, La décou­verte, 2011 [6]

Notes

[1] CIP interviewé, dans « SME : la peine méconnue – une analyse des pratiques de probation en France », S.Dindo, DAP/PMJ1, mai 2011.

[2] Bas Vogelvang, professeur de probation et de politique de sécurité aux Pays-Bas, in S.Dindo, op.cit., mai 2011.

[3] Laurent Mucchielli, « Le rapport de l’ONDRP dément en réalité l’augmentation des violences », 22 nov. 2011.

[4] TNS Sofres, « Baromètre des préoccupations des Français », novembre 2011.

[5] Sonja Snacken, in Actes du colloque « L’exécution des décisions en matière pénale en Europe : du visible à l’invisible », DAP-Ministère de la justice, 2009.

[6] si quelqu’un possède une version numérique, elle est la bienvenue

Article chopé sur Rebellyon, 2 janvier 2011