La « séparation des pouvoirs » législatif, exécutif et judiciaire a toujours été une farce. Il n’est donc pas question ici de défendre une « justice indépendante », qui sera toujours de classe dans le cadre de la pseudo-démocratie actuelle. Mais d’illustrer ce fait par une nouvelle affaire, qui démontre qu’une fois de plus le boulot des magistrats osant fureter hors des clous (du côté de la bourgeoisie et de la politicaille) est rendu impossible :
Poursuites disciplinaires contre un juge instruisant des affaires sensibles
Le ministre de la Justice poursuit devant le Conseil supérieur de la magistrature le juge d’instruction Patrick Ramaël, rompu aux enquêtes politiquement sensibles, une procédure dénoncée par l’avocat du magistrat comme une « tentative de déstabilisation » par l’exécutif.
Le juge Ramaël, qui enquête sur la disparition en Côte d’Ivoire du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer, se voit reproché des « insuffisances professionnelles », selon la lettre de saisine du Conseil supérieur de la magistrature CSM) signée par le garde des Sceaux Michel Mercier et que l’AFP a consultée.
Cette procédure disciplinaire intervient après celle devant le CSM contre le juge d’instruction financier Renaud Van Ruymbeke, qui enquête sur l’affaire Karachi, et des tentatives de pressions sur le juge antiterroriste Marc Trevidic.
A l’égard du juge Ramaël, le ministre formule trois griefs: deux portant sur le « délai anormalement long » dans le traitement de deux affaires et le troisième pour son « comportement inadapté à l’égard de sa hiérarchie ».
La première affaire dont le traitement est qualifié d' »anormalement long » est un différend entre une sénatrice et son assistante parlementaire à propos de l’achat de matériel informatique pour laquelle le juge a, selon M. Mercier, fait preuve d’un « comportement inadapté » envers la partie civile. L’autre affaire concernait une plainte contre deux policiers.
Le ministre reproche aussi au juge ses relations difficiles avec sa hiérarchie, en particulier avec l’ex-président du TGI de Paris Jacques Degrandi, devenu premier président de la cour d’appel de Paris.
« En répondant sur un ton lapidaire et polémique à la demande légitime du président du tribunal de Grande instance portant sur des données d’analyse statistique (…), M. Ramaël a manqué à ses devoirs de loyauté et de délicatesse à l’égard de sa hiérarchie », estime M. Mercier.
Le ministre reconnaît toutefois que le juge est qualifié, selon une évaluation professionnelle en 2009, « de magistrat pénaliste expérimenté et consciencieux qui s’implique totalement dans l’exercice de ses fonctions ».
L’avocat de M. Ramaël, Me Alexis Gublin, a dénoncé une « tentative de déstabilisation inacceptable ».
« En décidant de poursuivre Patrick Ramaël devant le CSM, le pouvoir politique démontre une nouvelle fois sa volonté d’exercer des pressions sur les magistrats du siège chargés des dossiers sensibles et d’entraver l’indépendance de leurs enquêtes », a-t-il dit l’AFP.
Dans l’enquête sur la disparition en 2004 de Guy-André Kieffer, les investigations se sont orientées vers des cercles proches de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo. En juillet 2008, M. Ramaël s’était saisi d’un dossier à l’Elysée.
Il enquête également sur la disparition en 1965 à Paris de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, le conduisant à perquisitionner en 2010 à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).
L’association française des magistrats instructeurs (Afmi) s’est dite « consternée », voyant dans ces griefs « des prétextes pour tenter de sanctionner un magistrat de grande qualité, qui a sans doute commis +l’erreur+ de lancer quatre mandats d’arrêt internationaux en octobre 2007, dans l’affaire Ben Barka, visant de hautes dignitaires marocains ».
« Après Marc Trevidic et Renaud Van Ruymbeke c’est aujourd’hui au tour de Patrick Ramaël d’être la victime de ce harcèlement », a renchéri Me Gublin.
Le juge Trevidic, travaillant sur l’attentat de Karachi ou les moines de Tibéhirine, a été l’objet de « tentatives de pression », selon des syndicats de magistrats. Son collègue Van Ruymbeke est visé depuis 2007 par une procédure disciplinaire devant le CSM pour son action en marge de l’affaire Clearstream.
AFP, 31 janvier 2012