« En suspens » : une brochure contre l’institution scolaire

ndPN : Dans le contexte de la grève étudiante à venir, la brochure « En suspens », contre l’institution scolaire, a été publiée sur le site québecois de La Mitrailleuse.

Elle est consultable en intégralité ici (en pdf).

Quelques morceaux choisis…

Bref historique de l’école

Dans les premières civilisations, l’école a été intentée pour les scribes et autres fonctionnaires qui s’occupaient des rôles administratifs et religieux. Chez les anciens Grecs, l’école avait comme but de former les futurs soldats, avant qu’elle se transforme vers un enseignement, dispensé par les sophistes, de la philosophie et de la rhétorique pour les riches qui n’auront jamais à travailler.

Lorsque l’Empire romain pris de l’extension, l’influence des Grecs s’est répandue dans celui-ci et les écoles ont eu comme objectif la formation des futurs fonctionnaires. Le christianisme s’est développé dans l’enceinte de la civilisation gréco-romaine et ses pratiques éducationnelles ont incorporé l’intellectualisme grec et la sévérité romaine, mettant au premier plan le principe occidental de l’homme qui se penche devant la loi et qui se sacrifie pour un idéal.

L’école monastique est apparue au quatrième siècle. Les écoles cathédrales ont été créées au 11e siècle et l’enrichissement de leur programme jusqu’au 16e siècle a marqué la naissance des universités. Les écoles primaires chrétiennes du 17e siècle ont été fondées principalement pour christianiser le peuple et combattre l’oisiveté des pauvres.

C’est avec les Lumières que la discipline s’est retrouvée encore plus au centre du projet éducatif et c’est au 18e siècle qu’on commença à évaluer systématiquement les élèves, à organiser l’espace physique en rangées, à classer les élèves en groupes d’âge et à organiser une série de sujets à enseigner selon un ordre de difficulté toujours croissant. L’école républicaine nationale a été mise en place pour créer une citoyenneté plus homogène. On enseigne aux élèves qu’ils n’appartiennent pas à eux-mêmes, mais qu’ils sont plutôt la propriété de la nation.

Les partisans de l’école publique (les humanistes) étaient principalement intéressés à intégrer les masses dans la nouvelle économie industrielle et à disséminer les tensions sociales créées par une inégalité grandissante. Les enfants des prolétaires devaient se faire éduquer efficacement à l’économie capitaliste industrielle naissante : centralisation des décisions, notation individuelle, standardisation du programme scolaire et tenue vestimentaire obligatoire. L’éducation acquérait ainsi son caractère institutionnel. Ce développement, qui a pavé la voie pour la bureaucratie du 20e siècle, était devenu essentiel à la reproduction du nouvel ordre industriel et des relations sociales capitalistes.

C’est également au cours du 19e siècle (en 1871 aux États-Unis) que l’école a commencé à être perçue comme un moyen efficace d’assimiler et d’acculturer les Amérindiens à la société dominante blanche. Les enfants étaient littéralement arrachés de leur famille et séparés pendant des années, punis s’ils parlaient leur langue et humiliés de leurs traits autochtones. Les parents ont tenté de résister aux enlèvements et des enfants ont fui par milliers afin de retrouver leur famille.

Pour s’assurer de la loyauté des classes populaires, on créa un système d’éducation obligatoire pour tous. En 1900, la majorité des États américains avaient leurs écoles publiques et en 1915, les corporations dépensaient plus d’argent dans le postsecondaire que les gouvernements. La gestion du programme scolaire se fonde alors sur la gestion scientifique développée par Frederick W. Taylor (gestion par tâches). Après la Deuxième guerre mondiale, les différents gouvernements à travers le monde adoptaient comme objectif principal l’éducation primaire universelle. Dans les sociétés industrielles, l’éducation postsecondaire prenait de plus en plus d’importance vue la complexification des technologies de contrôle social et de la division du travail.

L’école comme institution sociale

L’école est une institution sociale qui intervient directement dans le processus de socialisation des enfants. La socialisation est définie comme le processus au cours duquel un individu apprend et intériorise les normes et les valeurs de la société à laquelle il appartient afin qu’il adopte des comportements sociaux spécifiques. Ce processus est nécessaire à la reproduction de l’ordre social. Une société hiérarchisée a besoin de l’école pour enseigner aux enfants la renonciation à leurs désirs et la soumission, pour que les enfants adoptent des comportements soutenant l’ordre établi. La socialisation scolaire est ce qu’on appelle une socialisation primaire et principale, puisqu’elle commence à un jeune âge et elle devient la principale influence sur l’enfant, supplantant la famille. La socialisation institutionnalisée est surtout le résultat d’une contrainte imposée par ses agents. Les interactions entre l’individu et son environnement social sont possible, mais elles demeurent sous la surveillance et le contrôle de l’État et des corporations puisque les interactions sans surveillance risqueraient de produire une transformation sociale radicale de la société.

En résumé, l’école est comme une pilule qui aide les gens à s’adapter à la folie de la société moderne. On y apprend l’asservissement à l’autorité et elle nous empêche de déterminer nous-mêmes la manière dont nous allons vivre notre vie. On ne fait pas des travaux d’école parce que cette expérience est enrichissante en soi, on ne le fait pas selon nos propres termes et modalités, on le fait parce que c’est ce qu’on nous dit de faire.

Ensuite, l’école impose une cadence qui régie notre vie (8h à 16h), nécessaire au modelage de futurs travailleurs dociles. Les parents, occupés à travailler, n’ont pas le choix d’envoyer leurs enfants à l’école et se réconfortent en croyant qu’ils obtiendront une éducation appropriée. Au lieu de vivre au rythme de sa communauté, d’apprendre à travers les activités quotidiennes et de contribuer au bien-être du groupe, l’enfant est encadré par l’État qui le façonne. Pour répondre aux exigences de la production, les parents obligent leurs enfants à se lever tôt pour les envoyer à l’école tandis que l’école se charge d’établir une discipline d’exploités soumis: elle punit les enfants parce qu’ils ne sont pas assis correctement, parce qu’ils parlent à leurs camarades de classe, parce qu’ils n’écoutent pas, parce qu’ils dorment sur leur bureau, parce qu’ils n’ont tout simplement pas envie de faire cette activité là à ce moment là. Dès l’école primaire, on s’ennuie et on se fait donner des ordres. L’école, tout comme la religion, la télé et les jeux vidéo, finira par tuer l’enfant. Elle tue la créature qui exprime librement tous ses désirs et ses frustrations pour le transformer en un mort-vivant, un adulte, constamment en train de gérer son futur – son parcours académique, sa carrière professionnelle, son REER, sa retraite, ses funérailles – et de renier le moment présent.

De plus, l’école impose un apprentissage d’une conception du monde correspondant à l’organisation hiérarchique du social et une uniformisation des connaissances. On y apprend qu’il y a une seule bonne façon de parler et d’écrire, une seule version de l’histoire, une seule bonne façon de s’exprimer en groupe. L’école s’assure que le futur adulte sera fonctionnel dans notre société, qu’il sera capable de répondre de manière appropriée à son patron, d’apprécier la culture de masse, de croire aux paroles des technocrates concernant leur sécurité et aux promesses des scientifiques quant à leur capacité de régler des problèmes environnementaux. Avec la fin du secondaire arrive le stress de la planification de notre future carrière, cours d’orientation professionnelle et rencontres bidons avec l’orienteur. Sans t’en apercevoir, tu te fais convaincre d’aller dans tel ou tel domaine, selon le besoin du marché.

Au sujet du rôle de l’école dans la société, l’analyse de Daniel Quinn est très éclairante. Dans son texte Schooling : The Hidden Agenda, il note qu’« [a]u sein de la matrice culturelle qui est la nôtre, tous les médias nous disent que l’école existent pour préparer les enfants à la réussite et à l’accomplissement de leur vie dans notre civilisation (et elle échoue pourtant) ». Réformes par-dessus réformes, l’école échoue toujours. Quinn tourne alors la question de sens : « Supposons que l’école n’échoue pas? Supposons qu’elle fait exactement ce que nous voulons qu’elle fasse ». Quelles sont donc ces choses qu’elle fait superbement bien?

Tout d’abord, elle fait une excellente job à maintenir les jeunes hors du marché du travail et prévient ainsi d’inonder le pays de millions de jeunes chômeurs à cause du manque d’emploi. Au lieu de tomber sur le marché du travail à l’âge de 12 ans, ils deviennent des consommateurs actifs, consommant des milliards de dollars de marchandises grâce à l’argent que leurs parents gagnent.

Lors de l’industrialisation des sociétés occidentales, les travaux agricoles requérant de moins en moins de bras, les jeunes flânaient dans les rues et ruelles des nouvelles villes industrielles; afin de les éloigner de la rue, quoi de mieux de les obliger à fréquenter l’école? Selon Quinn, la solution fut alors d’insérer de nouveaux éléments dans le programme scolaire pour le rallonger. On n’a jamais demandé aux enfants si c’était ce qu’ils voulaient ou avaient besoin de savoir, ou auraient jamais besoin de savoir. Ça ne faisait rien qu’une fois appris, tout soit immédiatement oublié, cela faisait passer le temps.

Après le krach économique de 1929, il est devenu nécessaire de tenir les jeunes hors du marché du travail aussi longtemps que possible. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, on commença à dire que l’éducation devrait comprendre un passage au collégial, puis à l’université. Il faut leur donner toujours plus de poèmes à analyser, plus de pages d’histoire et de littérature à lire, plus d’équations à résoudre. Cependant, les jeunes continuaient de sortir de l’école sans connaître grand-chose de plus qu’au primaire il y a un siècle et n’étaient guère employables.

« Mais maintenir les jeunes hors du marché du travail n’est que la moitié de ce que l’école réussit superbement. À l’âge de treize ou quatorze ans, les enfants des sociétés aborigènes – les sociétés tribales – ont terminé ce que nous, de notre point de vue, appellerions leur « éducation ». Ils sont prêts à recevoir leurs « diplômes » et à devenir adultes. Dans ces sociétés, cela signifie que leur taux de survie est de 100%. Tous leurs aînés pourraient disparaître du jour au lendemain, il n’y aurait ni chaos, ni anarchie, ni famine parmi ces nouveaux adultes. Ils seraient en mesure de poursuivre leur vie sans problème. Aucune des compétences et des technologies pratiquées par leurs parents ne serait perdue. S’ils le voulaient, ils pourraient vivre tout à fait indépendamment de la structure tribale dans laquelle ils ont été élevés.

Mais la dernière chose que nous voulons pour nos enfants, c’est qu’ils soient capables de vivre de façon indépendante de notre société. Nous ne voulons pas que nos diplômés aient un taux de survie de 100%, parce que cela les rendraient libres de choisir l’option de sortir de notre système économique si soigneusement construit et de faire ce qui leur plaît. Nous ne voulons pas qu’ils fassent ce qui leur plaît, nous voulons qu’ils aient exactement deux choix (pour autant qu’ils ne soient pas déjà riche). Trouver un travail ou aller à l’université. (…) Pour cela, l’éducation nationale réussit cela sans faute. 99,9% de nos diplômés font un de ces deux choix. (…)

Donc, vous voyez qu’il n’y a pas d’échec de l’école, elle réussit juste d’une certaine façon que nous ne préférons pas voir. Produire des diplômés sans compétences, sans valeur de survie, et sans aucun autre choix que de travailler ou mourir de faim, ne sont pas les failles du système, ce sont les caractéristiques du système. Telles sont les choses que le système doit faire pour que les choses continuent telles qu’elles sont. »