[Grèce] Deux jours de grève générale

Les nouvelles mesures gouvernementales ont été adoptées par la Parlement dans la soirée du jeudi 20 octobre par 153 voix sur 300. Une nouvelle députée du Pasok a refusé de voter un des principaux articles, celui qui autorise le licenciement des fonctionnaires et la “suspension” des conventions collective. Mais cela n’a pas suffi. Elle a été aussitôt exclue du Parti.

Mercredi, les manifestations ont été les plus massives depuis les 18 derniers mois. Le pays était paralysé. Beaucoup de commerces avaient baissé leur rideau. Dans certains endroits, surtout dans des villes moyennes, des interventions énergiques de manifestants ont fait fermer des supermarchés ou des fast-food qui avaient tenté de braver le mot d’ordre de grève…

A Athènes, sans doute plus de 200 000 manifestants, la plupart n’ayant pas pu aller jusqu’à la place Syntagma à cause de la foule et de la quantité de gaz lacrymogènes et asphyxiants et de grenades assourdissantes balancés par les forces de l’ordre déployées en masse également. Officiellement 5000 autour du Parlement et autant dans le reste de la ville… Une grande barrière de plexiglas et de fer avait été installée loin du bâtiment de l’Assemblée, rendant très difficile toute tentative d’approche.
Comme d’habitude, il y a eu de violents affrontements sur la place et comme cela devient courant depuis quelques mois, côté manifestants ce n’est pas uniquement le fait d’“encapuchonnés” mais de toutes sortes de personnes simplement en colère, notamment un fort contingent de chauffeurs de taxis. Les cordons de policiers postés derrière la barrière ont dû reculer à plusieurs reprises devant la quantité de pierres et de molotovs qu’ils recevaient.

Pour plus de détails sur ces manifestation et affrontements, voir le site Contra Info

Pour beaucoup de manifestants, c’était clair : il fallait encore être plus nombreux le deuxième jour à assiéger le parlement, quitte pour cela à défoncer la barrière (elle avait déjà été bien secouée sous la pression) et essayer de faire reculer les forces anti-émeutes.

Mais, le jeudi matin, un acteur en a décidé autrement. Le KKE (Parti communiste) à travers le service d’ordre de son “front syndical” PAME, a déployé plusieurs centaines de ses membres armés de bâtons et de matraques, la plupart avec des casques de moto, en protection de cette barrière et donc du Parlement.
Jusque là, le KKE faisait surtout des apparitions dans son coin, appelant à des manifestations distinctes, dans d’autres endroits de la ville et à des heures différentes… Ça ne servait à rien mais ça n’embêtait personne, ni le gouvernement, ni la grande masse des grévistes et des manifestants. Mais là, pour la première fois depuis le début de la crise, un parti a non seulement fait ouvertement prévaloir ses propres intérêts par-dessus ceux de tout un mouvement social de masse mais il l’a fait comme milice, comme bras armé supplémentaire d’un gouvernement et d’institutions politiques qu’il dit combattre, en créant un deuxième cercle policier de maintien de l’ordre, mais se voulant, celui-ci, « à l’intérieur » du mouvement.
La présentation faite par les médias et lui-même (d’honnêtes syndicalistes et un parti responsable faisant face à des hooligans ou des “casseurs”) ne correspond en rien à la réalité. Les premiers contacts, d’abord en paroles et en insultes puis physiques, ont commencé dès que sont parvenus, les uns après les autres, les différents cortèges regroupant des milliers de manifestants. En tête le mouvement de désobéissance collective “Den Plirono” (“Je ne paie pas”) puis ceux des syndicats de base, de l’“assemblée anarchiste pour la libération sociale” et autres anti-autoritaires, des groupes de la gauche extraparlementaire, des assemblées de quartier, des étudiants, etc. Ce sont toutes ces composantes là, celles qui additionnées constituent les principaux ferments de la rébellion sociale en cours et à venir, qui ont été visées, chargées et matraquées par le SO du KKE.

S’en sont suivi des bagarres au corps à corps, des manifestants tabassés au sol par des staliniens, certains de ces derniers recevant aussi les mêmes pierres et molotovs que ceux destinés initialement aux policiers. Mais les affrontements se poursuivent avec eux, à distance, les cocks volant par-dessus la tête du SO des stals pour atteindre les rangs policiers. De plus en plus de lacrymogènes sont lancées et le lieu devient complètement irrespirable. Les stals qui avaient déclaré vouloir rester sur place jusqu’au vote du Parlement en soirée, ont décroché vers 16 h et en ont profité pour agresser et tabasser des manifestants « au look » en se retirant dans les rues adjacentes.

C’est très certainement un peu avant qu’un membre du PAME a été évacué à l’hôpital, à la suite d’un malaise et d’une perte de conscience. Il sera déclaré mort un peu plus tard par les médecins ayant tenté en vain de le ranimer. De toute évidence, l’arrêt cardiaque est dû à des problèmes respiratoires consécutifs d’une trop forte inhalation de gaz lacrymogènes et asphyxiants.
Une fois les sbires du KKE partis, les forces de l’ordre ont déployé une offensive de grande envergure dans toute la place et ensuite dans une grande partie du centre ville. Affrontements dans les quartiers touristiques de Plaka et Monastiraki. Les policiers ont pénétré dans la station de métro de la deuxième place de la ville, Omonia, et ont frappé les personnes qui s’y étaient réfugiées, tandis qu’ils faisaient évacuer la station de Monastiraki. Les courses-poursuites se sont étendue à plusieurs autres quartiers du centre, dont celui d’Exarcheia.

La journée s’est terminée tristement.

Par la mort de Dimitri Kostaridis, maçon de profession, âgé de 53 ans, secrétaire local d’un syndicat de la construction et membre du PAME (et sans doute du KKE), victime des gaz lacrymogènes qui deviennent proprement asphyxiants à haute dose.

Tristement, mais pas seulement. Amertume et rage devant l’attitude des staliniens du KKE qui resteront à jamais ceux qui ont défendu un Parlement en train de voter les licenciements de 30 000 fonctionnaires et la fin des conventions collectives permettant de baisser les salaires.

Coup dur quand même, car, même si cela a le mérite de clarifier bien des choses, après ce qui s’est passé ce jeudi, il va falloir se battre contre un nouveau front. Et là, si le KKE se met en travers des mouvements de lutte, s’il veut faire la police à l’intérieur du mouvement ouvrier et prolétaire, cela ne peut que compliquer les choses. Car si ce parti ne sert à rien, ne mène aucune lutte, se contente de répéter en boucle une rhétorique “nationale populaire” contre la « ploutocratie », s’il a toujours été absent des mobilisations, des occupations des places, des actions de solidarité avec les immigrés et on en passe, sa capacité de nuisance demeure assez forte, d’autant qu’il trouvera alors dans les médias du système comme dans une classe de politiciens discrédités, un relais et un soutien bienveillant et reconnaissant.

Dans la nuit, dans diverses localités du pays, des locaux du KKE (et aussi du Pasok en passant) ont reçu de la visite au cours de laquelle leurs devantures ont été décorés de nouveaux tags exprimant le rejet total de ce parti aussi inutile que nuisible.

Le gouvernement n’a plus aucune légitimité et les appels à la renverser, à quitter la zone euro, à ne rien payer se multiplient. Une bonne partie de la base du PASOK est passée à l’opposition comme en témoignent les mouvement de grève appelés par certains syndicats historiquement liés à ce parti, essentiellement chez les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques.

Une première vague de 400 000 factures de la DEI (l’EDF grecque) visant à récolter la taxe immobilière exceptionnelle vient d’être envoyée, avec quelques jours de retard à cause de l’occupation des services informatiques de la compagnie d’électricité par ses propres salariés. Les collectifs “Je ne paie pas” ont étendu leurs actions à la désobéissance fiscale, par tous les moyens, avec l’objectif avoué de bloquer la récupération non seulement de cette taxe, mais aussi des autres impôts et de toutes les recettes de l’Etat afin de rendre impossible l’effectivité des mesures et de faire tomber le gouvernement.

La grève des ferries se poursuit jusqu’à dimanche. Les travailleurs de la sécurité sociale n’ont pas repris le travail. Des ministères sont toujours occupés et les fonctionnaires du ministère des Finances ont décidé de prolonger leur mouvement de grève jusqu’à mercredi prochain… La grève des éboueurs se poursuit et les premiers grévistes ont reçu leur ordre de réquisition… Vont-ils eux aussi désobéir ?

Ce vendredi matin, la confédération des fonctionnaires semble appeler à une nouvelle journée de grève la semaine prochaine.

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Photos du SO du KKE en action

http://athens.indymedia.org/front.p…

http://athens.indymedia.org/front.p…

P.-S.

Dans un communiqué, le KKE rend responsable de la mort du syndicaliste « les attaques » menées par des « anarcho fascistes », et dénonce « les encagoulés, les anarcho-autonomes, fascistes, ou quoi qu’ils s’appellent eux-mêmes » d’avoir mené une « agression barbare et meurtrière (…) contre le mouvement ouvrier et populaire ».

De son côté, le PAME n’hésite pas à mettre en cause le mouvement “Je ne paie pas” d’avoir participé aux attaques contre ses militants, ce qui fait rire tout le monde car c’est un mouvement plutôt non-violent, mais il est vrai “désobéissant”, indépendant et de base, et ça, les stals, ils n’aiment vraiment pas. En réponse, le mouvement Den Plirono a mis en ligne sur son site une vidéo qui montre, si besoin était, l’inanité des déclarations du KKE.

Vidéo du cortège de Den Plirono

Cela fait plusieurs semaines que le KKE concentre ses attaques contre ce mouvement (entre autres). En recouvrant ses affiches systématiquement, en essayant de le discréditer et avec toujours la même subtilité : ce “pseudo mouvement” qui fait le jeu du pouvoir.
Mais il est vrai que le KKE a récemment annoncé vouloir créer son propre mouvement de refus de payer, mais évidement sous son étroite direction et en essayant faisant le vide autour.

OCL, 21 octobre 2012