Aujourd’hui, j’ai encore sauvé le monde
C’est chouette, les réseaux sociaux ! La première fois qu’ils m’ont permis d’améliorer le monde tel qu’il va, c’était, me semble-t-il, pour sauver la forêt amazonienne. Par l’intermédiaire d’un « ami » que je n’ai jamais vu de ma vie, je fus convié à signer une pétition m’avertissant des dangers de la déforestation au Brésil. C’est loin, le Brésil, mais demeurant non loin du bois de Vincennes, à Paris, j’ai été sensible à cette demande. J’ai donc cliqué, depuis mon fauteuil, avec la sensation exaltante que mon corps, protégeant un arbre centenaire, faisait barrage aux bulldozers du libéralisme. Puis sont venus les clics salvateurs à foison. Grâce à moi, la maltraitance animale, du phoque canadien au taureau andalou, la disparition des espèces, de l’éléphant d’Afrique à l’albatros des Galapagos, ont reculé. Du moins je l’espère, car je n’ai jamais reçu d’informations en retour. J’ai par ailleurs contribué à permettre à quelques originaux d’obtenir le droit de vivre dans des yourtes, et qu’on empêche la destruction des aliments parvenus à leur date de péremption. Je me suis également prononcé contre l’extradition d’une militante déjà extradée, pour le droit de vote des étrangers et, dans le même temps, la reconnaissance du vote blanc, afin de permettre à des étrangers de voter blanc. Je ne peux ici dresser la liste exhaustive de tous les domaines dans lesquels je suis intervenu efficacement depuis chez moi et depuis que je surfe sur la Toile. Ce serait trop long. Car je pétitionne à tout-va. L’injustice me révolte. Je suis un rebelle.com. Parfois, cependant, il peut s’écouler une demi-heure sans que les militants du Ouèbe, dans un engourdissement coupable, ne me sollicitent. Je n’ai plus rien à signer. Le monde n’en continue pas moins, pourtant, d’être injuste et cruel. Fort heureusement, des internautes vigilants, spécialisés dans l’indignation sur écran, ont créé pour moi des sites répertoriant les pétitions en cours à travers le monde. Alors, dans les moments creux, je proteste, je clique contre la privatisation de la nationale 10, pour sauver le château de Saulxures-sur-Moselotte, contre la violence faite aux femmes et la suppression des panneaux de radars fixes, pour la stérilisation obligatoire du chat domestique et l’accès à l’eau potable pour 884 millions d’êtres humains qui en sont privés. Quand je pense à ces gens réunis dans le froid et la boue de Notre-Dame-des-Landes pour s’opposer au projet d’implantation d’un aéroport, j’éprouve bien sûr un sentiment de sympathie, mais je me dis que cette forme de lutte reste tout de même bien archaïque. Moi aussi je suis hostile à ce projet. J’ai cliqué…
Floréal, 27 novembre 2012