Saint-Savin: les anciens d’Aubade ont gagné
La chambre sociale de la cour d’appel de Poitiers vient de déclarer le licenciement de 66 salariés de la société Aubade par le groupe suisse Calida « sans cause réelle ni sérieuse » et leur accorde d’importants dommages-intérêts.
La chambre sociale de la cour d’appel de Poitiers vient d’ajouter une nouvelle ligne à la liste de condamnations étant tombées sur le groupe suisse Calida après la fermeture, fin 2009, de l’usine Aubade de Saint-Savin (Vienne). Contrairement à ce qu’avaient estimé les prud’hommes de Poitiers, les juges d’appel ont estimé que le licenciement de 101 salariés soi-disant pour raisons économiques, était sans cause réelle ni sérieuse.
66 anciens salariés, défendus par Me Giroire-Revallier, ainsi que l’Union départementale CGT, avaient déposé un recours en justice et viennent d’obtenir gain de cause. Cet arrêt survient quelques semaines après celui de la cour administrative d’appel de Bordeaux qui avait elle-même jugé illégaux les licenciements des salariés protégés d’Aubade.
Toute la question était de savoir si Calida s’était séparé d’une branche de son activité devenue non rentable ou s’il avait fermé l’usine française d’Aubade uniquement pour des questions purement financières. Autrement dit: les salariés ont-ils été victimes de « licenciements boursiers » ?
L’arrêt rendu ce mercredi matin retient cinq motifs pour condamner le groupe Calida:
- La SAS Aubade fabriquait des boxers et des maillots de bain, donc pas uniquement des sous-vêtements féminins.
- Le rachat d’Aubade en 2005 avait été présentée par Calida comme un « dépoussiérage » de son image vieillotte de fabricant de « pyjamas de papys » et non comme une diversification dans un tout autre secteur.
- Calida fabrique lui-même sa propre gamme de lingerie féminine.
- La notion de « secteur d’activité » est différente de celle de « branche d’activité »: les soutien-gorges comme les pyjamas relèvent les uns et les autres du secteur des « vêtements de dessous ».
- Calida n’a jamais fait mystère de sa volonté de parachever la délocalisation de la fabrication d’Aubade en Tunisie, pays où les salaires sont considérablement inférieurs à ceux pratiqués en France.
La cour ne va pas jusqu’à retenir, comme le demandaient les salariés « l’attitude intentionnelle du groupe Calida à organiser artificiellement les difficultés ». Mais elle estime que les difficultés économiques alléguées par la direction du groupe, lui-même largement bénéficiaire en 2009, n’étaient pas justifiées. Les juges relèvent que la baisse d’activité d’Aubade, réelle, est essentiellement liée aux décisions stratégiques du groupe de réduire sa production.
Dernier reproche fait par la cour à Calida: l’absence d recherche sérieuse de solutions de reclassement pour les salariés ayant perdu leur emploi. Les plaignants recevront à titre de dommages-intérêts des sommes allant de 13 à 55.000 € à titre de dommages-intérêts, en fonction de leur ancienneté.
Calida dispose désormais d’un délai de dix jours pour introduire un éventuel pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Vincent Buche, Nouvelle République, 20 mars 2013
Mise à jour – un nouvel article dans la NR ce 21 mars :
Chantal Barrat, ex-Aubade : » Pour une fois, ça tombe de notre côté «
Parmi les 66 ex-salariées d’Aubade, Chantal Barrat, 48 ans, de Saint-Germain (1). Voici sa réaction, hier, quelques heures après la communication du rendu de la chambre sociale de la cour d’appel : « J’ai appris qu’on avait gagné. Maintenant, j’attends de voir. On nous avait dit qu’on allait recevoir un courrier du tribunal ce matin (hier, NDLR.), on n’a finalement rien reçu. Je ne me réjouirai vraiment que quand j’aurai reçu ce courrier. Si c’est bien vrai, c’est super. Il fallait qu’ils (les entrepreneurs) soient condamnés, au moins pour le symbole. Il y avait du travail et de l’argent dans cette entreprise, ils n’avaient aucune raison valable de licencier et de délocaliser. J’aurais trouvé grave qu’on ne fasse pas payer une entreprise qui a de l’argent, à une période où, en France, tout se casse la figure. Pour une fois, ça tombe de notre côté. On s’est battues, on a montré de quoi on était capable, ça n’est que justice. » Dans quel état d’esprit étiez-vous avant le rendu ? « J’y croyais toujours, grâce à notre avocat. Il nous disait que ça n’allait pas être simple, mais que c’était possible. »
(1) Elle travaille aujourd’hui à l’ADMR comme aide à domicile.
Nouvelle République, 21 mars 2013