Dans la Nouvelle République de ce 20 avril 2013, un article croustillant annonce le bilan de la fraude fiscale en Poitou-Charentes : rien moins que 1,5 milliard, soit l’équivalent des budgets cumulés du Conseil régional et du conseil général de Charente-maritime. « Le chiffre donne le vertige », nous dit le journaliste : c’est plutôt lui qui donne l’impression de débarquer !
De leur origine historique, où l’exaction se pratiquait encore à la truelle avec son lot de massacres, de viols et d’esclavage, jusqu’à nos jours plus policés : les impôts d’Etat n’ont jamais eu pour autre but que de perpétuer l’exploitation des pauvres, chargés de financer leur propre mise au pas. La « fraude fiscale » n’est que la partie émergée de l’iceberg de l’ « optimisation fiscale », et toutes deux se sont toujours faites avec la bénédiction de l’Etat, qui n’est bon prince qu’avec ceux qui tiennent le manche. Le capitalisme et le salariat perpétuent le racket institutionnel des richesses produites par les dominé-e-s, sous le ripolinage de la démocratie.
De fait en France, les 10% les plus aisés détiennent 62 % du patrimoine total. Pire, les 1% les plus aisés en France détiennent à eux seuls un quart du patrimoine total, et 32,4% des revenus du patrimoine. Quant à la « progressivité de l’impôt » ? Encore une bonne farce des droits de l’homme riche. Si les taux d’imposition varient entre 41 % et moins de 48 % pour les 50% des Français-e-s les plus modestes, ils baissent pour les plus friqués, passant même sous la barre des 40 % pour les 1 % les plus richards. « La plupart des hauts revenus et des revenus du capital (intérêts, dividendes, plus-values, loyers) bénéficient d’exemptions et de règles dérogatoires leur permettant d’échapper au barème de l’impôt sur le revenu », selon les économistes Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez.
Là où nous devrions davantage nous étonner quant à nous, c’est de voir le syndicat Solidaires (s’affichant pourtant plus « radical » dans ses analyses et ses actions), réclamer un machin consternant en guise de solution. A savoir donner plus de moyens aux services des impôts de l’Etat… pour lutter contre ses propres fondements. Beau tableau du syndicalisme « révolutionnaire », dont le but originel était l’abolition du salariat et de l’Etat… il s’agit à présent de demander à l’Etat, principe même de la domination sociale et du racket institutionnel, d’aiguiser ses armes… dans l’espoir qu’il les retourne contre lui-même et ses petits copains. Autant conseiller au petit poucet de demander à l’ogre de se bouffer une main ! Oh les copains, on aime bien croire aux histoires des endormeurs de tout poil, mais à la condition qu’elles aient au moins un minimum de réalisme.
Les pauvres payent et trinquent toujours plus au final que les riches qui les exploitent, ce n’est pas un scoop : ça durera tant qu’on n’aura pas aboli l’Etat, le salariat et ce qui va avec, à savoir l’argent lui-même. Rien à attendre des jérémiades hypocrites des étatistes de gauche ou de syndicalistes glorifiant l’impôt, ni même par des déclarations d’intention libertaires ; nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes, par la pratique ici et maintenant de la réappropriation, de l’autonomie et de l’entraide. Ca ne tombe pas du ciel : ça s’organise, sur tous les champs de la lutte sociale.
Juanito, Pavillon Noir, 20 avril 2013
1,5 milliard de fraude fiscale en Poitou-Charentes ?
Le syndicat Solidaires finances publiques pointe le poids de la fraude fiscale dans la région et déplore la baisse des effectifs censés lutter contre ce fléau.
L’affaire Jérôme Cahuzac pousse le personnel politique à lever plus haut le flambeau de la lutte contre la fraude fiscale. Mais quelle est la situation réelle du phénomène dans les régions et les départements ? Le syndicat Solidaires finances publiques a une idée de la question, et le fait savoir (*). « En Poitou-Charentes, le montant de la fraude fiscale peut-être estimé entre 1,33 et 1,78 milliard d’euros par an », assure Patrick Gonzalez, délégué syndical dans la Vienne.
« L’impôt est un pilier de la démocratie »
Le chiffre donne le vertige. Il représente l’addition des budgets annuels du conseil régional et de la Charente-Maritime. Comment en être sûr ? « Nous basons notre calcul sur deux estimations, explique le syndicaliste. D’abord celle de la commission d’enquête du Sénat (en 2012), qui estime la fraude en France entre 30 et 60 milliards et y ajoute les 90 milliards d’avoirs français détenus en Suisse. Ensuite, l’estimation de la Commission européenne (en 2006) qui avançait une fraude de 2 à 2,5 % du produit intérieur brut. » Face à de tels montants, on se dit qu’il y a là de quoi renflouer pas mal de déficits publics. A condition d’aller à la chasse aux fraudeurs. C’est ce que fait l’administration fiscale, mais avec quels moyens ? « Depuis 2002, notre administration subit des vagues importantes de suppressions d’emploi, 25.000 en moins en dix ans, déplore Patrick Gonzalez. Dans la Vienne, entre 2005 et 2012, on a compté 115 suppressions d’emploi, principalement des agents de catégorie C, soit 15 à 20 % des effectifs. » L’arrivée de la gauche au pouvoir ne semble pas vouloir changer la donne : « On prévoit 2.023 suppressions d’emploi au niveau national cette année et autant l’an prochain, le budget de la Direction générale des finances publiques est en baisse de 9 % en 2013. » Dans ce contexte, la promesse récente de François Hollande d’un recrutement de 50 agents supplémentaires, fait sourire le syndicaliste : « Ça fait un demi-poste par département. » Pour conforter la collecte de l’impôt, « pilier de la démocratie », le syndicat Solidaires finances publiques demande des moyens humains et matériels supplémentaires, mais aussi « une réforme de la fiscalité en France et en Europe et l’intensification de la coopération européenne et internationale ».
(*) Nous avons sollicité la Direction régionale des finances publiques pour qu’elle nous communique des informations sur la réalité de la lutte contre la fraude fiscale localement. Elle n’a pas souhaité s’exprimer, considérant que cela relève « des orientations nationales du gouvernement ».
repères
Le lexique de la fraude
> La fraude fiscale : « C’est une infraction à la loi commise dans le but d’échapper à l’imposition ou bien d’en réduire le montant. » L’infraction suppose la réunion de trois éléments : légal (le non-respect du droit fiscal), matériel (l’impôt éludé), moral (l’intention de commettre l’infraction). > L’optimisation fiscale : Pratique utilisant les moyens légaux comme les régimes dérogatoires, les niches fiscales (crédit d’impôt, déduction, réduction, exonérations, etc.). > L’évasion fiscale : Souvent utilisée et confondue avec la fraude fiscale, elle n’a pourtant pas de définition juridique, mais elle est illégale, puisqu’elle permet d’échapper à l’impôt.
Philippe Bonnet, Nouvelle République, 20 avril 2013