A propos de l’arrestation de deux camarades, suite à la manifestation en hommage à Clément
Suite à l’assassinat de Clément Méric ce 5 juin par des fascistes, des dizaines de manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes de France et d’ailleurs, pour rendre hommage à ce militant syndicaliste, antifasciste et révolutionnaire. Il s’agissait aussi de prouver que les idées qu’il défendait ne sont pas mortes avec lui. Elles ont rassemblé un grand nombre de personnes, militantes ou non d’associations, de collectifs, de syndicats et d’organisations politiques, dans la dignité et l’émotion. Dans plusieurs villes néanmoins, des militant-e-s antifascistes ont réagi avec agacement à des interventions publiques de représentants de partis politiques (du PS, du Front de gauche…), accusés de récupération. L’antifascisme ne consiste en effet pas qu’à s’indigner que des brutalités de groupuscules d’extrême-droite. Il consiste aussi à dénoncer et à lutter contre ce qui a toujours favorisé le fascisme, à savoir la répression du capitalisme et de l’Etat ; contre les pauvres, les immigrés, les Roms, les femmes, les homos, bis, trans… C’étaient les idées de Clément Méric, ce sont les nôtres.
A Poitiers aussi, la manifestation fut importante, avec 250 à 300 personnes, rassemblées avec des banderoles, des slogans, des drapeaux et des chansons. Or à Poitiers, une fois de plus la police s’est comportée de façon indigne. Les policiers n’ont rien trouvé de mieux à faire que d’interpeller deux camarades peu après la manifestation, qui ont ensuite passé la nuit en garde à vue ! Ils ont été accusés d’ « outrage » au directeur départemental de la sécurité publique adjoint. Une accusation hélas récurrente de la part des services de police, notamment contre un certain type de personnes bien ciblées.
Rappel du contexte poitevin de cette manifestation : hormis les tâches peu glorieuses, hélas communes à tous les policiers de par leurs fonctions, d’arrêter des étrangers, d’expulser des squats de sans-papiers et de Roms, de défendre la propriété privée, ou de conduire des pauvres en prison, les policiers poitevins s’illustrent depuis un bon moment dans d’autres comportements, dépassant de fait allègrement leurs prérogatives et le droit, en matière notamment de liberté d’expression.
Ces intimidations portent sur un certain type de militant-e-s, bien souvent étiqueté-e-s libertaires, anarchistes, autonomes, communistes, etc. C’est un fait plusieurs fois avéré par des contrôles d’identité (parfois avec fouille sur la voie publique). Ces contrôles d’identité, bien ciblés, lors de rassemblements antifascistes, antiracistes, antisexistes, antihomophobes, se font au nom de la prévention du « trouble à l’ordre public », notion fourre-tout critiquée par de nombreux éminents juristes. Ils s’ajoutent en outre à une longue liste locale de tentatives de confiscation d’appareils numériques et plus généralement d’enfreintes diverses à la liberté d’expression : banderoles arrachées, confiscations voire arrestations pour diffusion de journaux et de tracts sur la voie publique… bref des atteintes manifestes et récurrentes aux droits que les policiers sont sensés faire respecter, et respecter eux-mêmes.
Par ailleurs, ces derniers mois à Poitiers (comme à Paris pour Clément, et en bien d’autres endroits encore), des antifascistes se sont régulièrement rassemblé-e-s contre des expressions homophobes sur la voie publique. Ces antifascistes ont été parfois menacé-e-s par la police poitevine d’amendes, de peines de prison ; ont été systématiquement filmé-e-s ; il y a eu des contrôles d’identité, et même des arrestations. Alors que le droit à la contre-manifestation a été reconnu par la cour européenne des droits de l’homme le 24 juillet 2012 (affaire Faber contre Hongrie). Les policiers n’ont par contre pas eu la même attitude avec les manifestant-e-s contre le mariage homo, parmi lesquels étaient présents des militants d’extrême-droite, s’accordant même avec des homophobes pour faciliter leurs manifestations. Ces comportements pour le moins partiaux et intimidants, posent question ; y compris du point de vue déontologique si l’on ne s’en tenait même qu’à cela. Ils n’ont pas contribué à la « tranquillité publique » – qu’ils sont pourtant sensés défendre si l’on en croit leur ministre de tutelle.
Cette manifestation du 6 juin à Poitiers n’a pas échappé à ce triste acharnement policier. Elle a, dès le départ, été étroitement encadrée par un grand nombre de policiers, dont plusieurs en civil de la BAC qui n’ont une fois de plus pas estimé nécessaire de respecter le code de déontologie minimal consistant à revêtir leurs brassards « police » en manif. Les policiers n’ont cessé de prendre des vidéos des visages des manifestant-e-s, déjà bien ému-e-s par la mort de Clément. S’approchant à outrance, parfois à moins d’un mètre. Un autre policier est venu avec insistance dans le cortège, pour demander à des manifestant-e-s, choqué-e-s par cette attitude, de ne pas « dissimuler le visage ». Les manifestant-e-s, qui n’étaient pas là pour finir en garde à vue, ont obtempéré. Rappelons que les manifestant-e-s marchaient dans l’émotion et la dignité, suite à la MORT d’un militant : un minimum de décence s’imposait ! Un manifestant a justement demandé aux policiers, à deux reprises et avec émotion, d’avoir un minimum de décence et d’arrêter de filmer ainsi des manifestant-e-s ému-e-s par l’assassinat d’un camarade. Rien n’y a fait. Enfin, après la manif, pendant plus d’une heure des policiers (dont des hauts gradés) ont continué de filmer, photographier et prendre des notes sur des manifestant-e-s, qui après leur dispersion se reposaient à des terrasses ensoleillées de la place du marché… On sait que la police poitevine s’acharne contre certain-e-s, mais on ne l’a pas toujours vu faire de façon aussi caricaturale et indécente sur la place publique.
Revenons-en à présent à la manif, et à l’accusation policière d’outrage. Dans le cortège, des manifestant-e-s ont chanté une chanson bien connue d’un groupe anarcho-punk, avec des paroles contenant l’expression « flics porcs assassins ». Il est à noter que, bien que connu, ce groupe n’a jamais été condamné pour ses textes, la liberté d’expression ayant été reconnue ces dernières années pour de nombreux groupes ayant des paroles mettant en cause la police. Pourquoi cette chanson ? Ce texte rend explicitement hommage à Zyed Benna et Bouna Traoré, deux mineurs morts dans un transformateur électrique alors qu’ils étaient poursuivis par la police. Or, la veille de l’assassinat de Clément, le 4 juin, l’avocate général de la cour d’appel de Rennes venait de réclamer un non-lieu pour les deux policiers impliqués, tandis que l’avocat représentant les policiers accusés de non-assistance à personne en danger avait qualifié de « poutinerie » [sic] la volonté de l’accusation de les renvoyer en correctionnelle… ajoutant l’injure à la souffrance des familles, surtout quand on connaît la violence de la police de l’Etat dirigé par Vladimir Poutine. Cette chanson antifasciste était donc d’autant plus pertinente, vu le contexte, qu’elle rend aussi hommage à un autre jeune antifasciste, assassiné cette fois-ci par la police grecque, il y a quelques années, en reprenant le slogan célèbre des manifestant-e-s de ce pays contre les répressions policières : « flics, porcs, assassins ». Encore une fois, l’antifascisme ne dissocie pas les violences d’extrême-droite de celles que les Etats infligent aux pauvres, aux immigré-e-s, aux militant-e-s LGBTI, etc.
Il ne s’agit pas pour nous de juger ou non de l’esthétique ou de la pertinence politique des paroles de cette chanson, comprenant ce slogan grec devenu le symbole du ras-le-bol de tout une population. Mais de montrer en quoi la convocation de nos deux camarades poitevins, pour une composition pénale avec le procureur de la république, est à notre sens non fondée. Non seulement sur un plan éthique (ce qui ne devrait poser aucune question à nos lecteurs-rices, du moins on l’espère), mais aussi sur le plan juridique. Leur convocation étant identique dans les reproches d’outrage au DDSP adjoint Laurent SIAM, quoiqu’à des dates distantes (nous y reviendrons), nous pouvons émettre des critiques communes sur la recevabilité à notre sens fort douteuse de cette nouvelle initiative répressive.
Premièrement, il est reproché que l’outrage (en l’occurrence, « flics, porcs, assassins ») ait été adressée à une personne, Laurent SIAM, ce qui est tout simplement aberrant. Les paroles criées en manifestation sont politiques, elles ne désignent généralement pas des individus particuliers. « Flics porcs assassins », faisant partie des paroles chantées par des manifestant-e-s, dénonce non des personnes précises sous leurs uniformes, mais l’institution policière qu’elles servent, leur travail consistant à exécuter les ordres, y compris lorsque ceux-ci sont parfois manifestement injustes et inhumains. Ca se discute, mais c’est une opinion tout à fait libre, du moins en France, n’en déplaise aux policiers. Pourquoi un policier particulier a-t-il pensé que cette phrase s’adressait à lui en particulier, alors même que son nom n’a jamais été prononcé ? Voilà qui interroge, mais nous n’avons pas pour propos de rentrer dans des considérations psychologiques.
Cette phrase « flics porcs assassins » dénonce les meurtres commis par la police tout au long de son histoire contre des militant-e-s des mouvements sociaux, jusqu’à nos jours, en France aussi hélas. Comme nous l’avons dit, elle a été popularisée après la mort d’un jeune grec, tué par la police grecque, qui a ému toute la Grèce et bien au-delà. On connaît hélas les accointances de certains policiers grecs avec le mouvement néo-nazi Aube dorée, responsable de crimes contre des immigré-e-s et des militant-e-s. Nous ne ferons pas la sinistre liste des personnes mortes du fait de violences policières, nombre d’historien-ne-s, de journalistes et d’avocat-e-s ayant déjà fait ce travail – et continuant à le faire. Cette phrase dénonce juste un fait établi, certes peu agréable pour les oreilles de certains policiers, nous pouvons le concevoir, mais n’empêche : sans même avoir à remonter jusqu’à la déportation des juifs sous Vichy, OUI, la police a assassiné et continue d’assassiner des militant-e-s des mouvements sociaux. Ce qui à moins de n’avoir aucune notion d’histoire ou de ne lire aucun journal, est une évidence. Que l’on considère qu’il s’agisse de « bavures », ou d’un phénomène récurrent parmi toutes les polices de tous lieux et toutes époques, est un autre débat.
Quant à la comparaison avec le cochon, elle remonte à très loin (XIXème siècle, puis dans les mouvements antiracistes des années 1960 aux Etats-Unis, où les policiers assassinaient des militant-e-s noir-e-s). Tout comme celle avec le « poulet » du reste… Comparaison au passage, à notre sens, malheureuse (les cochons n’ayant jamais assassiné quiconque, mais c’est un autre débat). Nous noterons aussi qu’une autre métaphore zoologique, en l’occurrence canine, comprise dans les paroles de la chanson (« clébards »), chantée par de nombreux-euses manifestant-e-s à Poitiers, n’ait pas été retenue comme un outrage. Il faut croire que « porcs » est jugé plus outrageant que « clébards en uniforme », mais là non plus, nous ne nous aventurerons pas dans des considérations psychologiques – ni des jugements artistiques.
Quand bien même le nom de ce policier qui se sent « outragé » aurait été associé à une insulte en manifestation, ce qui n’est répétons-le pas le cas, la jurisprudence retient qu’à Poitiers, M. A. Evillard a été totalement relaxé par la justice, au nom de la liberté d’expression, pour avoir qualifié le procureur de l’époque de « Papon » et de « salaud », lors d’une manifestation pour protester l’emprisonnement de trois militants. LIBERTE D’EXPRESSION : notion constitutionnelle avec laquelle la police poitevine semble avoir quelques difficultés, comme nous l’évoquions plus haut. Mais fermons cette parenthèse juridique car répétons-le une dernière fois : pas une seule fois le nom de M. Laurent SIAM n’a été ajouté dans la chanson, ni crié par des manifestant-e-s.
Autre piste juridique : le fait que chanter une chanson puisse être considéré comme un outrage ? Là aussi, la jurisprudence est claire. Et pas seulement celle concernant les groupes musicaux, que nous avons évoquée plus haut, relaxés depuis plusieurs années pour des chansons très dures contre la police, avec des mots parfois insultants. Là aussi, contentons-nous de rester à Poitiers, et revenons à ce jugement de M. J.-C. Clochard, qui passait il y a quelque temps au tribunal de grande instance, pour outrage à un agent de police. L’outrage consistait d’abord, pour la police, en le fait d’avoir chanté la chanson « Hécatombe » de Georges Brassens (contenant une flopée d’injures contre l’institution policière). Cet « outrage » a finalement été abandonné par le procureur lui-même, là aussi au nom de la liberté d’expression, comme le rappelle le compte-rendu du procès. Les choses sont très claires, comme dans d’autres villes d’ailleurs, où le même type de procès avait eu lieu : chanter une chanson n’est pas condamnable, c’est l’exercice de la liberté d’expression. Le seul outrage retenu par la justice avait été celui… d’un jet de confettis, ce qui est peut-être plus ridicule encore, mais là n’est pas le débat : chanter une chanson, même désagréable à certaines oreilles, relève de la liberté d’expression, et ce n’est même pas nous qui le disons, mais la constitution et la jurisprudence.
Pour conclure, puisque rien ne tient dans cette procédure judiciaire, nous pouvons nous interroger sur le choix du procureur de proposer une composition pénale, et non directement un procès. Il s’agit d’une procédure juridique consistant à conclure un arrangement entre les parties, avec une peine éventuellement proposée par le procureur. Si l’on considère de plus que les rendez-vous fixés sont très dispersés (juillet pour l’un, septembre pour l’autre), alors qu’il s’agit des mêmes accusations, nous pouvons supposer plusieurs choses. D’une part, que police et justice semblent cette fois-ci mal à l’aise de faire un procès pour outrage. La raison en est simple : juridiquement, comme nous l’avons dit, l’accusation ne tient pas debout. Politiquement en revanche, il y a un intérêt pour la police… il s’agit de continuer à mettre la pression judiciaire des personnes isolées bien précises, et d’éviter un procès public, qui porterait à la connaissance et à la réflexion d’un grand nombre de gens certains comportements de la police. La police poitevine veut visiblement éviter de montrer une fois de plus (de trop ?) son acharnement contre des militant-e-s bien ciblé-e-s. Politiquement toujours, il s’agit aussi d’éviter l’indignation que pourrait susciter l’indécence d’un procès public pour « outrage », de la part des autorités, contre des personnes accusées d’avoir chanté une chanson antifasciste… Rappelons-le, cette manifestation était en hommage à un militant antifasciste, tué pour ses idées !
Nous en avons assez des agressions brutales de l’extrême-droite, et de la banalisation de ses discours, repris partout par les médias et le pouvoir politique. Nous en avons aussi assez, en tant que militant-e-s antifascistes, d’être harcelé-e-s par la police et la justice de la ville de Poitiers. Cela devait être dit. Il faudrait par ailleurs dénoncer la qualification devenue quasi-systématique de « manifestation illégale », cette nouvelle arme de la police de Poitiers pour s’attaquer à la moindre protestation portée sur la place publique dès qu’une poignée de personnes se retrouvent, mais ce sera un autre débat.
Groupe Pavillon Noir (Fédération Anarchiste 86), 7 juin 2013