Archives de catégorie : Éducation populaire

Salariat : une re/découverte douloureuse

Salariat : une re/découverte douloureuse

En presque environ deux siècles d’existence, ce rapport social, le salariat, est « devenu », perçu, comme une véritable nature de nos sociétés… surtout dans les pays industriels développés. Le salariat apparaissait, et apparaît encore pour beaucoup, comme le top du topde l’organisation sociale.

Pourtant, depuis presque deux décennies, le doute s’installe. La mondialisation marchande a jeté un doute sérieux sur la stabilité et l’efficacité d’un tel lien social.

A y regarder de près, il n’y a pourtant rien de surprenant et rien de nouveau.

LA MONDIALISATION COMME REVELATEUR

Tant que le monde a été dominé, aux 19e et 20e siècles, par des pays industriels qui détenaient l’essentiel des facteurs de production : capitaux, technologies, force de travail, marchés de consommation et sources d’énergie,… le lien social salarial qui les constituait, quoique contradictoire et conflictuel, représentait une forme de stabilité certaine au point qu’il n’a jamais été remis véritablement en question dans ces pays.

La valorisation du capital et son corollaire, le salariat, s’étaient fondés dans, et par, une identité géopolitique , l’état-nation, qui garantissait une relative stabilité. C’est sur ce modèle, avec quelques variantes que se sont constitués les grands états industriels.

La mondialisation, c’est-à-dire l’expansion des activités de production au-delà des frontières de ces pays, les facilités de communications et de transports, l’accession de nouveaux états à une relative indépendance par rapports aux anciennes métropoles coloniales, a rompu cet état de relative stabilité économique, sociale et politique.

Le délabrement politique et social de nos sociétés n’est donc pas surprenant, on peut même dire qu’il était inscrit dans l’existence et la dynamique même de la valorisation du capital, du capitalisme.

RAPPEL DE QUELQUES FONDAMENTAUX

1- Une entreprise est faite avant tout pour valoriser le capital que l’on y investit…pas pour créer des emplois. La production n’est qu’accessoire… la preuve, on l’arrête quand ce n’est plus rentable de produire.

2- Le salarié n’est qu’un facteur de production. Il crée la valeur, par son travail, mais est rémunéré à la valeur de sa force de travail (ce dont il a besoin pour vivre). Son salaire est un coût de production.

3- Le capital technique, les machines, permet au salarié d’être efficace dans son acte de production. Le progrès technique en augmentant la productivité du travail humain, relativise, quantitativement, sa présence dans la production. Plus la machine est performante, moins on a besoin du salarié.

4- Le profit, la part de la valeur produite par le salarié, mais qui ne lui est pas restituée, appartient exclusivement aux propriétaires du capital (les actionnaires). Notons que les salariés n’ont aucun droit sur lui puisqu’ils ont été rémunérés à la valeur de leur force de travail (marché dit « du travail », en fait « de la force de travail »).

5- La gouvernance de l’entreprise est constituée par l’assemblée générale des actionnaires (les propriétaires du capital). Notons que les salariés n’ont aucun droit dans ce domaine.

6- Le droit – social – des salariés n’est que le produit de leurs luttes. Rien n’a été accordé par le capital, tout a été conquis soit par la force soit par la peur.

Ces quelques fondamentaux, on les a oubliés, ils se rappellent aujourd’hui à nous. 

Les luttes sociales ont permis aux salariés d’obtenir des avantages substantiels au travers d’une législation du travail : conditions de travail, garantie contre les licenciements, conventions collectives, salaire minimum, hygiène et sécurité, retraites, protection sociale… Tous ces acquis ont transformé la condition salariée grâce au rapport de force instauré,… et ils ont été garantis et maintenus grâce au même rapport de forces… on les a cru éternels ! Erreur !

L’effondrement actuel de ce rapport de force remet en question tous ces acquis.

UNE REMISE EN QUESTION GENERALE

Ces acquis – certainement pas définitifs contrairement à ce que beaucoup de salariés croyaient et croient – ne tenaient que parce que le rapport de forces salariés/capital était en faveur des premiers… le capital ayant alors, encore, peu de marges de manœuvre. Mais le capital ne connaît pas les frontières.

Une des caractéristiques de la mondialisation marchande est évidemment la mondialisation des marchés, aussi bien ceux des matières premières, que celui des capitaux, de la consommation et même ceux de la force de travail.

Cette mondialisation, et en particulier, celle de la force de travail a des conséquences prévisibles sur le rapport des forces entre salariés et entrepreneurs/actionnaires. Le chef d’entreprise et les actionnaires ne sont plus limités au territoire national (l’Etat-nation berceau du capitalisme) pour produire et donc valoriser leur capital. Les salaires plus bas à l’étranger les incitent logiquement à délocaliser. De même que l’ouverture des frontières à la circulation de la force de travail leur permet d’embaucher à des salaires plus bas que ceux habituellement versés.

Cette nouvelle situation se double d’une caractéristique déterminante : l’Etat, dans son désir de libéraliser et de déréglementer, se tient en retrait et n’est plus le garant des conditions d’existence des salariés.

Dés lors, on assiste à une remise en question totale des acquis :

– les salariés en concurrence sur le marché international de la force de travail ne peuvent plus exiger le maintien, et à fortiori, l’augmentation de leurs salaires,

– l’entreprise, lieu essentiel pour les salariés (pas pour les actionnaires) peut quitter le territoire national, voire disparaître,

– tous les acquis sociaux sont remis en question et les syndicats n’y peuvent rien,

– l’exclusion remplace l’exploitation dans la conscience des salariés et le « couteau sous la gorge », ceux-ci sont prêts à tous les sacrifices pour défendre leur emploi.

UNE PRISE DE CONSCIENCE  BIEN TARDIVE

Sont totalement incongrues au regard des principes de fonctionnement de la gestion du capital, ces idées et déclarations que l’on entend couramment dans les médias :

L’idée qu’il serait scandaleux que l’entreprise (les actionnaires) imposent une rentabilité fondée sur la maîtrise du coût de la main d’œuvre (les salaires), 

L’idée qu’il serait scandaleux que l’entreprise (les actionnaires), licencie pour accroître sa rentabilité ( la force de travail variable d’ajustement), 

L’idée qu’il serait scandaleux et inhumain, de liquider une entreprise, et de licencier son personnel, pour des questions de rentabilité financière (liquidation pour spéculer sur les marchés financiers), 

L’idée qu’il serait scandaleux que l’entreprise privilégie les actionnaires au détriment des salariés.

Ces idées, émises, véhiculées, proclamées par les salariés licenciés, ou en voie de licenciements, montrent à quel degrés d’incompréhension, ceux-ci sont en matière de connaissance de ce qu’est véritablement ce système.

Les salariés, la classe ouvrière (comme on disait), l’ensemble des citoyens ont eu cent cinquante ans pour se rendre compte de ce qu’était le capitalisme. Des millions d’articles, des tonnes d’ouvrages, des années de discussions ont dénoncé ce système… pour rien,… ou encore pas grand-chose.

L’immense majorité a cru, et croie encore, qu’il était/est réformable, que les acquis chèrement arrachés à la rapacité du capital, seraient définitifs… elle s’est trompée.

L’immense majorité a cru en la parole des bonimenteurs politiciens qui promettaient, et promettent toujours d’humaniser le capitalisme, de faire des réformes, de défendre l’intérêt du peuple,… et vote pour eux.

Aujourd’hui il est trop tard, l’édifice s’écroule sur nous. Il va falloir faire preuve d’une grande imagination et d’une pratique efficace pour ne pas y laisser notre peau. 

Patrick Mignard, septembre 2012

Vu sur l’En-dehors, 29 septembre 2012, Patrick MIGNARD

NdPN : à ce sujet, on rira (jaune) avec la dernière parodie d’appel syndical, livrée par Pièces et Main-d’oeuvre et relayée par Indymedia Paris.

[Poitiers] Ouste Daoust

La rectrice s’en va : démission ou renvoi ?

Martine Daoust a annoncé de démission, hier, dans L’Express. Trois jours avant un probable limogeage en conseil des ministres.

Chaque mercredi, regardez le Journal officiel après le Conseil des ministres, un jour vous y verrez mon nom… » C’est la réponse qu’avait consenti à faire à la presse — le 4 septembre, jour de la rentrée — Martine Daoust, quant à son avenir à la tête de l’académie de Poitiers ! Ce ne sera pas aujourd’hui mais peut-être bien vendredi que l’on découvrira son nom parmi la liste des recteurs démis de leurs fonctions par le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon. C’est en effet ce jour-là que se tiendra le prochain conseil des ministres. La rectrice s’est confiée — chose rare — à la rédaction de L’Express, hier après-midi. Selon nos confrères, Martine Daoust aurait demandé au ministre de l’Éducation nationale « de la relever de ses fonctions », dans une lettre envoyée, il y a quinze jours.

Un difficile dialogue

C’est « le ras-le-bol » qui l’aurait conduite à prendre cette décision indiquant dans le magazine « avoir passé l’âge de se faire engueuler par les syndicats ». Martine Daoust dénonce une « certaine complaisance » de sa hiérarchie vis à vis des syndicats. On peut s’étonner de ce motif. Il ne colle pas vraiment à la personnalité forte d’une femme qui n’a jamais mâché ses mots quand elle consentait à s’exprimer. Sa notion toute personnelle du dialogue ne l’a pas aidée dans une tâche qu’elle aura menée deux ans, assurant la rentrée 2012. Ses décisions et propos – les derniers – sur les collégiens ruraux « qui font moins d’études supérieures que les urbains », rapportés dans notre édition du 9 septembre ont déclenché mouvements, réactions, levées de boucliers et parfois déception comme en mai dernier lorsqu’elle choisit d’annuler sans préavis un projet de voyage humanitaire de lycéens châtelleraudais au Maroc. Cette décision qu’elle n’a pas souhaité confirmer hier soir n’aurait rien à voir selon elle avec une « chasse aux sorcières ». La rectrice a indiqué «respecter l’alternance démocratique », ajoutant que « la relation au dialogue social sous un gouvernement de droite n’est pas la même ». Comment ce professeur des universités, agrégée de pharmacie en science du médicament qui a exercé plusieurs activités pédagogiques et de recherche entrevoit-t-elle l’avenir. Va-t-elle reprendre l’enseignement supérieur ? N’a-t-elle pas indiqué le 4 septembre dernier, lors de sa conférence de presse de rentrée que « ses étudiants seraient ravis de la voir revenir ? » Ou comme l’indiquent encore nos confrères se consacrer à des projets personnels. Selon L’Express, la rectrice pourrait se lancer dans l’ouverture de chambres d’hôtes.

Nouvelle République, Sylvaine Hausseguy, 26 septembre 2012

Réactions syndicales et de la FCPE

Les représentants syndicats et de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) ont souvent côtoyé Martine Daoust depuis deux ans. Ils réagissent « à chaud » à la décision de la rectrice relayée par nos confrères de l’Express.

>  Isabelle Siroy (FCPE). « La FCPE n’est pas surprise par la démission de la rectrice. Il apparaît normal que le recteur applique les directives ministérielles et il était sans doute difficile pour elle de s’accorder avec l’esprit du nouveau ministre. Pendant deux ans, elle n’a pas été gênée par le fait «  de se faire engueuler par les syndicats  ». Son idéologie est différente de celle de l’école de la République et donc celle attendue. L’école pour tous n’était pas son truc. On peut lui reconnaître qu’elle a assumé jusqu’au bout, jusqu’au la rentrée. Nous nous sommes battus pour la retraite à 60 ans, nous lui souhaitons donc une bonne retraite. »

> Laurent Cardona (SE-UNSA). « Cette annonce est une bravade de plus. Son départ était attendu depuis longtemps. Elle a toujours eu un management et un pilotage très partisan. Avec un zèle certain pour mettre en œuvre une politique politicienne et non éducative. Elle a toujours eu une propension à créer une polémique et à se repaître du spectacle créé par la polémique. Elle a également conduit à une mise en place d’une nouvelle gouvernance académique catastrophique. Notamment, dans le premier degré. »

> Franck Loureiro (Sgen-CFDT). « Selon ses propos, elle ne souhaitait «  pas faire l’inverse de ce qui a été fait précédemment  » et estime avoir «  passé l’âge d’être démolie  » en évoquant sa «  relation avec les représentants du personnel très tendue et pas toujours équitable  ». Le Sgen-CFDT Poitou-Charentes rappelle l’impossibilité de mener un dialogue constructif et se souvient en particulier de la tentative de Mme Daoust de supprimer 10 des 14 Centres d’information et d’orientation (CIO) de l’académie. Seule la mobilisation des personnels, du Sgen-CFDT et des élus avait alors permis de faire échouer ce projet qui aurait porté un coup fatal à un service public d’orientation de proximité. »

> Myriam Lieby (FSU). « Elle semblait un peu loin des affaires depuis un moment. Le travail avec un recteur est toujours difficile. Il y a eu des épisodes difficiles avec des portes claquées. Les rapports ont été tendus et les oppositions fortes en terme d’orientation. Les relations n’ont pas été excellentes mais je veux rester respectueuse de la personne. »

Nouvelle République, 26 septembre 2012

Le Monde libertaire n°1681

Le nouveau Monde libertaire est sorti, dans tous les bons kiosques ou à prix libre en nous contactant. Comme d’hab, un exemplaire est déposé au Biblio Café (rue de la cathédrale), consultable sur place. Voici le sommaire et l’édito (avec trois liens vers les articles lisibles en ligne sur le site du ML). Bonne lecture !

Sommaire du Monde Libertaire # 1681 du 20 au 26 Septembre 2012

«Le travail c’est bien une maladie, puisqu’il y a une médecine du travail.» – Coluche 

Actualité
Lutte des classes plus que jamais, par Fabrice, page 3
PSA, oeil pour oeil, page 4
Une basilique occupée, page 4

Ubuesques pantalonnades de Justhom, page 5
La météo syndicale de J.-P. Germain, page 6
Les pauvres à la belle étoile, par E. Vanhecke, page 7
La chronique néphrétique de Rodkol, page 8
Arguments
Travestissement néolibéral, par J. Langlois, page 9
Dossier santé, par Moriel, J.-M. Destruhaut et M. Silberstein, page 11
International
Congrès de l’IFA à Saint-Imier, les pendules à l’heure, par Fred, page 17
Expressions
Trois panthères en prison, par J. Lesage de La Haye, page 18
Benoist Rey en coffret, par Paco, page 19
Mort de la Voix au chapitre à Saint-Nazaire, page 20
Mouvement
Hommage au vététan de l’insoumission en Turquie, A. Roulland, page 21
Radio libertaire, page 22
Agenda, page 23
Illustrations
Aurelio, Kalem, Krokaga, Némo, Slo, Valère

Editorial du Monde Libertaire # 1681 du 20 au 26 Septembre 2012

Deux ans de serrage de vis libéralement annoncés par Hollande. Et comme on a un peu l’habitude des glissements progressifs, gageons que la vis devrait se serrer encore, par petits coups vicieux, et que les deux ans doivent être vus comme plutôt élastiques. On ne prend pas de risques à supposer aussi que ce sont encore les plus pauvres qui vont souffrir de la dégradation probable du service public et des éventuelles répercussions sur l’économie et le chômage qu’aura le retrait de quelques dizaines de milliards d’euros de la circulation réelle, au profit des banques, c’est-à-dire de la spéculation financière. Et il est à peu près certain que ça sera en pure perte.
L’État a totalement capitulé depuis trente ans devant le capital et son idéologie, le libéralisme. Ceux-là mêmes qui déshonorent le socialisme en arborant son nom, et qui devraient être porteurs, si ce n’est de liberté, du moins d’un point de vue collectif incarné par l’État, se font les serviteurs dociles du capital. Ils sont tout bonnement incapables de sortir de la vision libérale du monde. Un exemple: un grand patron du luxe trouve d’excellentes raisons de devenir Belge. En adoptant le point de vue d’un gouvernement réformiste, devons-nous pleurnicher ? Bien sûr que non. Juste tout lui prendre, jusqu’au dernier bouton de culotte, pour lui apprendre à déserter l’effort commun. Qu’Arnault s’en aille, mais qu’il s’en aille en slip !
Faute donc d’avoir trouvé le levier de la trappe aux riches, nos soi-disant socialistes sont condamnés à courir derrière le cul des banques avec un grand balai pour ramasser ce qui voudra bien en tomber, à chercher l’argent dans les poches des pauvres, où il n’est pas, et à entériner les suppressions d’emplois qui se succèdent.
Quant à nous, nous nous garderons bien d’arbitrer les querelles de ce couple infernal, l’État et le capital, même si l’un des deux a pris sur l’autre un ascendant pathologique. Nous nous tenons, comme toujours, dans le camp des opprimés, des exploités, des dominés. Nous défendons toujours l’idée d’un service au public non étatique, autogéré par les personnels et les usagers. Nous proposons l’expropriation par les travailleurs des moyens de production et la gestion directe des entreprises et des infrastructures. Les réformistes ont capitulé, et face au monstre ne restent que l’anarchie et la révolution.

[Poitiers] Camps de la honte à Poitiers : Route de Limoges et La Chauvinerie

LE CAMP DE POITIERS

Le camp de la route de Limoges, désigné comme  » Centre de séjour surveillé  » fut construit en 1939 pour abriter les réfugiés espagnols (800 le 2 février). Le camp se vida lors de l’invasion allemande. Après l’armistice du 22 Juin 1940, l’administration du camp resta française mais elle fut soumise au contrôle des autorités allemandes. Dès la fin de 1940, l’administration française, sous ordre allemand, recensa les nomades et les Juifs. Dès décembre 1940, un grand nombre de tziganes français et étrangers sont internés. Au total, plus de 500 nomades furent ainsi internés dans des conditions inhumaines : le sol argileux se transformait en véritable bourbier l’hiver, il n’existait aucun chauffage efficace, la nourriture était insuffisante et déséquilibrée, casseroles, sièges, tables manquaient cruellement. Mais le plus pénible pour ces  » gens du voyage  » était sans nul doute la perte de la liberté. Le recensement des Juifs fut fait par l’administration française en avril et mai 1941. Ordre fut donné par les allemands de les arrêter le 15 Juillet et de les interner au camp de la route de Limoges. A la mi-juillet 151 adultes et 158 enfants vinrent partager les affres du camp avec les tziganes. La aussi, les baraques destinées à recevoir les Juifs étaient vétustes, mal entretenues : les toits étaient abîmés et laissaient la pluie passer, il n’y a ni chaise, ni banc, ni table. A cela s’ajoute la plaie des souris et des rats qui dévorent tout et il est courant que des personnes retrouvent le matin leur vêtement, souvent le seul qu’ils possèdent, rongé et troué. Le 1er décembre 1941, le camp contenait 801 internés. Il restait encore 27 espagnols, 452 nomades et 322 israélites s’entassant dans 15 baraques de 50 mètres sur 6 mètres. Bien que séparés les uns des autres par une clôture, l’entente fut parfaite entre eux et le dévouement sans limites. En juin 1942, on distribua les étoiles jaunes au camp. En juillet 1942 commencèrent les déportations par Compiègne pour les hommes tziganes (au total plus de 100 d’entre eux périrent dans les camps de Buchenwald et Sachsenhausen), par Drancy pour tous les Juifs. Le 1er juillet 1942, il y avait 841 internés dont 368 Juifs. Le 1er octobre de la même année, il ne restait plus que 13 Juifs et 459 nomades. Au total, environ 1800 Juifs séjournèrent au camp avant d’être déportés vers les camps de la mort. Quant aux tziganes qui n’avaient pas été déportés en Allemagne, les allemands décidèrent de les transférer au camp de Montreuil-Bellay : 304 personnes sont ainsi transférés le 29 décembre 1943. Cependant, à partir du 10 septembre 1942, le camp devint annexe de la prison de la « Pierre Levée ». Des condamnés de droit commun y furent transférés. Des femmes résistantes politiques poitevines les y rejoignirent. On les y retrouve dès janvier 1943. Au final, 2500 à 2900 internés ont séjourné au camp de la fin 1939 au mois d’août 1944 répartis comme suit : 1800 à 1900 Juifs, 500 à 600 nomades, 200 à 300 politiques auxquels s’ajoutent quelques dizaines d’espagnols et autres victimes de l’arbitraire. Ces chiffres soulignent le rôle primordial de ce camp, dispositif fondamental en Poitou-Charentes-Vendée, dans la mise en place de la solution finale, plus précisément de la Shoah. Tous les Juifs arrêtés dans ces 5 département sont dirigés vers le camp de Poitiers, puis de là, vers Drancy, avant-dernière étape d’un voyage sans retour. En nous référant à la situation nationale, nous mesurons mieux la dimension dramatique de l’hécatombe poitevine. Sur 350 000 à 400 000 Juifs vivant en France juste avant la guerre, à peu près 76 000 ont été déportés soit environ 20%. Dans notre région, environ 2000 Juifs sur 2481 ont été déportés soit environ 80%, ce qui correspond aux chiffres polonais ou d’autres pays dont l’hostilité bien connue aux Juifs est profonde, séculaire voire viscérale. La cause essentielle de cette destruction massive, nous devons la rechercher du côté de la collaboration entre l’administration de Vichy et les autorités allemandes présentes à Poitiers, en particulier au Préfet Bourgain. Méthodique, travailleur, très actif, il s’est placé, sans défaillir un instant, dans le sillage des autorités d’occupation. Ses quelques hésitations ont été vite emportées par le sens du devoir administratif bien rempli. Signalons que le Préfet délégué Holweck n’a pas éprouvé autant de scrupules. En 1943, il est déporté à son tour pour avoir volontairement ignoré certaines décisions de la Feldkommandantur de Poitiers. Une démarche qui ne paraît pas isolée. Des gendarmes, des personnels de préfecture ont apporté leur concours aux réfugiés et internés. Le rabbin Bloch (jusqu’à son arrestation) et le Père Fleury, aumônier des tziganes, se dépensèrent également sans compter pour les internés. Mais ces actes individuels, qui demeurent bien limités, ont permis, certes, de sauver quelques vies humaines mais n’ont pas éviter l’étendue de  » la destruction des Juifs  » en Poitou.

Vu sur V.R.I.D. Mémorial

1940-1946 : l’histoire oubliée des camps de La Chauvinerie

Aux Montgorges, plusieurs camps se sont succédé pendant et à la fin de la dernière guerre. Des heures tragiques enfouies dans la mémoire des Poitevins.

Frontstalag 230 : c’était l’appellation officielle du camp de La Chauvinerie. Nombreux étaient ceux qui croyaient qu’il se trouvait en Allemagne. C’est à Poitiers que ce camp a été ouvert par la Wehrmacht du 20 juillet 1940 au 7 avril 1942. Elle y a incarcéré ceux que l’on appelait « les tirailleurs sénégalais ». Originaires d’Afrique Noire, mais aussi Malgaches, Antillais, Indochinois, arrêtés après l’armistice signé par Vichy. « Le régime nazi n’en voulait pas sur le territoire allemand », a expliqué samedi Jean Hiernard, historien, lors de la conférence donnée au musée Sainte-Croix au titre de la Société des Antiquaires de l’Ouest, dans le cadre des journées du Patrimoine.

Fouilles archéologiques en 2008

De ce camp, les spécialistes en connaissent ce qu’a écrit Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal. Les Poitevins, en tout cas la grande majorité d’entre eux, en ignoraient tout. Jusqu’à la découverte de fossés en 2008 par l’INRAP (Institut national de recherche pour l’archéologie préventive) sur le site du futur quartier des Montgorges.

Jusqu’à 7.000 prisonniers de guerre et 4.000 civils

Sonia Leconte, l’archéologue qui a conduit les sondages : « Nous étions à la recherche de vestiges gallo-romains. Notre découverte fut tout autre. » Un vaste rectangle de 266 m x 144 m entouré de fossés, comblés d’objets de toutes sortes : fils de fer barbelé, vaisselle, objets hétéroclites récents. Un dépotoir ? Le témoignage d’un voisin a conduit les archéologues sur la piste du camp édifié par les prisonniers eux-mêmes au cours de l’hiver 1940-1941 dans des conditions dramatiques, à proximité de la caserne de « la vieille Chauvinerie » réquisitionnée par les Allemands. En fait, ce n’est pas un camp qui a été édifié à l’ouest de Poitiers. Mais plusieurs. De rares photos des baraquements, de prisonniers et de vues du ciel attestent de l’existence de quatre camps ouverts cette fois-ci par le ministère de la guerre français de 1945 à 1946. « Jusqu’à 7.000 prisonniers de guerre y ont été détenus à l’intérieur de trois enceintes », a indiqué Jean Hiernard. 4.000 soldats allemands et 3.000 hongrois faits prisonniers par les armées américaines entre la Suisse et le Luxembourg. Plus surprenant – et dramatique – l’existence d’une enceinte, sous administration du ministère de l’intérieur français. Ce « centre de séjour surveillé » regroupait 66 baraques où étaient détenus des civils, des hommes, des femmes et des enfants, provenant de l’Alsace-Lorraine que les alliés avaient évacués au moment des combats de l’hiver 1944. Au total 4.000 personnes, « pas des criminels, mais des habitants des territoires annexés par l’Allemagne à partir de juin 1940. Allemands, mais aussi Français qui ne s’étaient pas repliés au début de la guerre. » Les conditions de détentions y étaient « effroyables » a expliqué l’historien. Aux vexations et à la vengeance de ceux qui avaient souffert de l’occupation allemande, s’est ajouté un détournement de nourriture organisé par le commandant du camp civil, un colonel de gendarmerie en retraite. A deux reprises – en mai, puis en septembre 1945, le préfet de Poitiers a été alerté par la Croix-Rouge. 65 enfants sont nés dans le camp. Aucun n’a survécu. De 85, le nombre des enfants de moins de trois ans, a chuté à 25 entre juillet et août. On a dénombré une moyenne de deux décès d’adultes par jour. Sept fois plus que dans les autres camps ouverts en France à la même époque. Le colonel sera suspendu, ainsi que le relate la Nouvelle-République des 12 et 14 septembre 1945, très prudente dans la narration des faits.

en savoir plus

Et aussi Rouillé

La conférence de samedi a débuté par une présentation du camp de Rouillé par Véronique Rochais-Cheminée, dont le père était médecin dans le camp, mais aussi résistant. Plus connu – même si des pans entiers de son histoire ne sont que très peu évoqués – ce camp était sous administration civile française à partir du 6 septembre 1939. Y étaient internés : des détenus politiques, principalement communistes, des « marchés noirs », des droits communs, ainsi que des « indésirables étrangers ». Beaucoup seront transférés à Compiègne ou Pithiviers entre 1942 et 1943 puis en Allemagne et n’en reviendront pas. Véronique Rochais-Cheminée a fait une présentation très exhaustive des conditions de vie.

à suivre

Des vies ballottées par la guerre

De ses recherches dans les archives départementales jusque-là inexplorées et sur internet, Jean Hiernard a pu mettre au jour des vies étonnantes. Comme cet Autrichien, Walter Pichl, qui avait traduit en allemand un guide touristique de Poitiers à l’intention des soldats d’occupation, interné à la Chauvinerie puis dans un goulag soviétique, enseignant aux États-Unis et spécialiste des langues africaines. Ou cette actrice allemande, Dita Parlo, réfugiée en France avant guerre, car anti-nazie, puis emprisonnée dans une prison française, avant d’être libérée par les nazis et qui s’est retrouvée à La Chauvinerie d’où elle sortira grâce à l’appui d’un pasteur protestant. Des vies ballottées par la guerre et enfouies dans les baraquements oubliés des Montgorges.

Nouvelle République, Jean-Jacques Boissonneau, 18 septembre 2012