Le camp de la route de Limoges, désigné comme » Centre de séjour surveillé » fut construit en 1939 pour abriter les réfugiés espagnols (800 le 2 février). Le camp se vida lors de l’invasion allemande. Après l’armistice du 22 Juin 1940, l’administration du camp resta française mais elle fut soumise au contrôle des autorités allemandes. Dès la fin de 1940, l’administration française, sous ordre allemand, recensa les nomades et les Juifs. Dès décembre 1940, un grand nombre de tziganes français et étrangers sont internés. Au total, plus de 500 nomades furent ainsi internés dans des conditions inhumaines : le sol argileux se transformait en véritable bourbier l’hiver, il n’existait aucun chauffage efficace, la nourriture était insuffisante et déséquilibrée, casseroles, sièges, tables manquaient cruellement. Mais le plus pénible pour ces » gens du voyage » était sans nul doute la perte de la liberté. Le recensement des Juifs fut fait par l’administration française en avril et mai 1941. Ordre fut donné par les allemands de les arrêter le 15 Juillet et de les interner au camp de la route de Limoges. A la mi-juillet 151 adultes et 158 enfants vinrent partager les affres du camp avec les tziganes. La aussi, les baraques destinées à recevoir les Juifs étaient vétustes, mal entretenues : les toits étaient abîmés et laissaient la pluie passer, il n’y a ni chaise, ni banc, ni table. A cela s’ajoute la plaie des souris et des rats qui dévorent tout et il est courant que des personnes retrouvent le matin leur vêtement, souvent le seul qu’ils possèdent, rongé et troué. Le 1er décembre 1941, le camp contenait 801 internés. Il restait encore 27 espagnols, 452 nomades et 322 israélites s’entassant dans 15 baraques de 50 mètres sur 6 mètres. Bien que séparés les uns des autres par une clôture, l’entente fut parfaite entre eux et le dévouement sans limites. En juin 1942, on distribua les étoiles jaunes au camp. En juillet 1942 commencèrent les déportations par Compiègne pour les hommes tziganes (au total plus de 100 d’entre eux périrent dans les camps de Buchenwald et Sachsenhausen), par Drancy pour tous les Juifs. Le 1er juillet 1942, il y avait 841 internés dont 368 Juifs. Le 1er octobre de la même année, il ne restait plus que 13 Juifs et 459 nomades. Au total, environ 1800 Juifs séjournèrent au camp avant d’être déportés vers les camps de la mort. Quant aux tziganes qui n’avaient pas été déportés en Allemagne, les allemands décidèrent de les transférer au camp de Montreuil-Bellay : 304 personnes sont ainsi transférés le 29 décembre 1943. Cependant, à partir du 10 septembre 1942, le camp devint annexe de la prison de la « Pierre Levée ». Des condamnés de droit commun y furent transférés. Des femmes résistantes politiques poitevines les y rejoignirent. On les y retrouve dès janvier 1943. Au final, 2500 à 2900 internés ont séjourné au camp de la fin 1939 au mois d’août 1944 répartis comme suit : 1800 à 1900 Juifs, 500 à 600 nomades, 200 à 300 politiques auxquels s’ajoutent quelques dizaines d’espagnols et autres victimes de l’arbitraire. Ces chiffres soulignent le rôle primordial de ce camp, dispositif fondamental en Poitou-Charentes-Vendée, dans la mise en place de la solution finale, plus précisément de la Shoah. Tous les Juifs arrêtés dans ces 5 département sont dirigés vers le camp de Poitiers, puis de là, vers Drancy, avant-dernière étape d’un voyage sans retour. En nous référant à la situation nationale, nous mesurons mieux la dimension dramatique de l’hécatombe poitevine. Sur 350 000 à 400 000 Juifs vivant en France juste avant la guerre, à peu près 76 000 ont été déportés soit environ 20%. Dans notre région, environ 2000 Juifs sur 2481 ont été déportés soit environ 80%, ce qui correspond aux chiffres polonais ou d’autres pays dont l’hostilité bien connue aux Juifs est profonde, séculaire voire viscérale. La cause essentielle de cette destruction massive, nous devons la rechercher du côté de la collaboration entre l’administration de Vichy et les autorités allemandes présentes à Poitiers, en particulier au Préfet Bourgain. Méthodique, travailleur, très actif, il s’est placé, sans défaillir un instant, dans le sillage des autorités d’occupation. Ses quelques hésitations ont été vite emportées par le sens du devoir administratif bien rempli. Signalons que le Préfet délégué Holweck n’a pas éprouvé autant de scrupules. En 1943, il est déporté à son tour pour avoir volontairement ignoré certaines décisions de la Feldkommandantur de Poitiers. Une démarche qui ne paraît pas isolée. Des gendarmes, des personnels de préfecture ont apporté leur concours aux réfugiés et internés. Le rabbin Bloch (jusqu’à son arrestation) et le Père Fleury, aumônier des tziganes, se dépensèrent également sans compter pour les internés. Mais ces actes individuels, qui demeurent bien limités, ont permis, certes, de sauver quelques vies humaines mais n’ont pas éviter l’étendue de » la destruction des Juifs » en Poitou.
Vu sur V.R.I.D. Mémorial
1940-1946 : l’histoire oubliée des camps de La Chauvinerie
Aux Montgorges, plusieurs camps se sont succédé pendant et à la fin de la dernière guerre. Des heures tragiques enfouies dans la mémoire des Poitevins.
Frontstalag 230 : c’était l’appellation officielle du camp de La Chauvinerie. Nombreux étaient ceux qui croyaient qu’il se trouvait en Allemagne. C’est à Poitiers que ce camp a été ouvert par la Wehrmacht du 20 juillet 1940 au 7 avril 1942. Elle y a incarcéré ceux que l’on appelait « les tirailleurs sénégalais ». Originaires d’Afrique Noire, mais aussi Malgaches, Antillais, Indochinois, arrêtés après l’armistice signé par Vichy. « Le régime nazi n’en voulait pas sur le territoire allemand », a expliqué samedi Jean Hiernard, historien, lors de la conférence donnée au musée Sainte-Croix au titre de la Société des Antiquaires de l’Ouest, dans le cadre des journées du Patrimoine.
Fouilles archéologiques en 2008
De ce camp, les spécialistes en connaissent ce qu’a écrit Léopold Sédar Senghor, premier président du Sénégal. Les Poitevins, en tout cas la grande majorité d’entre eux, en ignoraient tout. Jusqu’à la découverte de fossés en 2008 par l’INRAP (Institut national de recherche pour l’archéologie préventive) sur le site du futur quartier des Montgorges.
Jusqu’à 7.000 prisonniers de guerre et 4.000 civils
Sonia Leconte, l’archéologue qui a conduit les sondages : « Nous étions à la recherche de vestiges gallo-romains. Notre découverte fut tout autre. » Un vaste rectangle de 266 m x 144 m entouré de fossés, comblés d’objets de toutes sortes : fils de fer barbelé, vaisselle, objets hétéroclites récents. Un dépotoir ? Le témoignage d’un voisin a conduit les archéologues sur la piste du camp édifié par les prisonniers eux-mêmes au cours de l’hiver 1940-1941 dans des conditions dramatiques, à proximité de la caserne de « la vieille Chauvinerie » réquisitionnée par les Allemands. En fait, ce n’est pas un camp qui a été édifié à l’ouest de Poitiers. Mais plusieurs. De rares photos des baraquements, de prisonniers et de vues du ciel attestent de l’existence de quatre camps ouverts cette fois-ci par le ministère de la guerre français de 1945 à 1946. « Jusqu’à 7.000 prisonniers de guerre y ont été détenus à l’intérieur de trois enceintes », a indiqué Jean Hiernard. 4.000 soldats allemands et 3.000 hongrois faits prisonniers par les armées américaines entre la Suisse et le Luxembourg. Plus surprenant – et dramatique – l’existence d’une enceinte, sous administration du ministère de l’intérieur français. Ce « centre de séjour surveillé » regroupait 66 baraques où étaient détenus des civils, des hommes, des femmes et des enfants, provenant de l’Alsace-Lorraine que les alliés avaient évacués au moment des combats de l’hiver 1944. Au total 4.000 personnes, « pas des criminels, mais des habitants des territoires annexés par l’Allemagne à partir de juin 1940. Allemands, mais aussi Français qui ne s’étaient pas repliés au début de la guerre. » Les conditions de détentions y étaient « effroyables » a expliqué l’historien. Aux vexations et à la vengeance de ceux qui avaient souffert de l’occupation allemande, s’est ajouté un détournement de nourriture organisé par le commandant du camp civil, un colonel de gendarmerie en retraite. A deux reprises – en mai, puis en septembre 1945, le préfet de Poitiers a été alerté par la Croix-Rouge. 65 enfants sont nés dans le camp. Aucun n’a survécu. De 85, le nombre des enfants de moins de trois ans, a chuté à 25 entre juillet et août. On a dénombré une moyenne de deux décès d’adultes par jour. Sept fois plus que dans les autres camps ouverts en France à la même époque. Le colonel sera suspendu, ainsi que le relate la Nouvelle-République des 12 et 14 septembre 1945, très prudente dans la narration des faits.
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Et aussi Rouillé
La conférence de samedi a débuté par une présentation du camp de Rouillé par Véronique Rochais-Cheminée, dont le père était médecin dans le camp, mais aussi résistant. Plus connu – même si des pans entiers de son histoire ne sont que très peu évoqués – ce camp était sous administration civile française à partir du 6 septembre 1939. Y étaient internés : des détenus politiques, principalement communistes, des « marchés noirs », des droits communs, ainsi que des « indésirables étrangers ». Beaucoup seront transférés à Compiègne ou Pithiviers entre 1942 et 1943 puis en Allemagne et n’en reviendront pas. Véronique Rochais-Cheminée a fait une présentation très exhaustive des conditions de vie.
à suivre
Des vies ballottées par la guerre
De ses recherches dans les archives départementales jusque-là inexplorées et sur internet, Jean Hiernard a pu mettre au jour des vies étonnantes. Comme cet Autrichien, Walter Pichl, qui avait traduit en allemand un guide touristique de Poitiers à l’intention des soldats d’occupation, interné à la Chauvinerie puis dans un goulag soviétique, enseignant aux États-Unis et spécialiste des langues africaines. Ou cette actrice allemande, Dita Parlo, réfugiée en France avant guerre, car anti-nazie, puis emprisonnée dans une prison française, avant d’être libérée par les nazis et qui s’est retrouvée à La Chauvinerie d’où elle sortira grâce à l’appui d’un pasteur protestant. Des vies ballottées par la guerre et enfouies dans les baraquements oubliés des Montgorges.
Nouvelle République, Jean-Jacques Boissonneau, 18 septembre 2012