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[Traduction] « Je suis anarchiste » – un discours de Lucy Parsons

Voici une traduction d’un discours de Lucy Parsons, paru le 21 décembre 1886. Elle enchaîne alors les interventions publiques pour défendre les inculpés anarchistes de Chicago, condamnés à mort, parmi lesquels son époux. Elle revient sur la fameuse affaire d’Haymarket Square.

« Je suis anarchiste »

discours de Lucy Parsons, 1886

 Traduction : Jean, groupe Pavillon Noir, Fédération Anarchiste 86

Je suis une anarchiste. Je suppose que vous êtes venus ici, pour la plupart d’entre vous, pour voir à quoi pouvait bien ressembler une vraie anarchiste, en chair et en os. Je suppose que certains d’entre vous s’attendaient à me voir avec une bombe dans la main et une torche enflammée dans l’autre, mais sont bien déçues de ne voir ni l’une ni l’autre. Si telle était l’idée que vous vous faisiez sur l’anarchiste, vous méritiez d’être déçus. Les anarchistes sont des gens pacifiques et respectent les lois. Que pensent les anarchistes quand ils parlent d’anarchie ? Le Webster donne au terme deux définitions, à savoir le chaos, ou une façon de vivre sans règles politiques. Nous retenons cette dernière définition. Nos ennemis prétendent que nous ne croyons qu’à la première.

 Vous demandez-vous pourquoi il y a des anarchistes dans ce pays, dans cette grande terre de liberté, comme vous aimez l’appeler ? Allez donc à New York. Prenez les chemins détournés et les ruelles de cette grande ville. Faites le compte des myriades d’affamés ; du nombre croissant des milliers de sans-logis ; comptez donc tous ceux qui travaillent plus dur que des esclaves et vivent de moins encore, avec moins de confort que les esclaves les plus démunis. Vous serez sidérés par vos découvertes, vous qui n’aviez jusque là porté aucune attention à ces pauvres, et les considériez tout juste comme objets de charité et de compassion. Ils ne sont pas objets de charité, ils sont les victimes de l’injustice flagrante qui imprègne le système de gouvernement, et de l’économie politique qui prédomine de l’Atlantique au Pacifique. Son oppression, la misère qu’elle cause, la détresse à laquelle elle donne naissance, se trouvent au plus haut point à New York plus que partout ailleurs. A New York, où il y a quelques jours à peine deux gouvernements se réunissaient pour inaugurer une statue de la liberté, où une centaine d’orchestres jouèrent cet hymne de la liberté, « La Marseillaise ». Mais l’on pourrait faire un constat presque similaire parmi les mineurs de l’Ouest, qui ne sont maintenus dans des conditions de vie sordides et ne portent des haillons que pour que les capitalistes, qui contrôlent cette terre qui devrait être à la libre disposition de tous, puissent encore ajouter davantage à leurs millions ! Oh, il y a tant de raisons pour l’existence des anarchistes.

 Mais à Chicago, ils ne pensent pas que les anarchistes aient le moindre droit que ce soit à l’existence. Ils veulent les y pendre, légalement ou illégalement. Vous avez entendu parler d’un certain rassemblement d’Haymarket. Vous avez entendu parler d’une bombe. Vous avez entendu parler d’arrestations et d’arrestations suivantes par des inspecteurs. Ces inspecteurs ! Il y a cette sorte d’hommes, ou plutôt de bêtes pour vous ! Les inspecteurs de Pinkerton ! Ils feraient n’importe quoi. Je suis persuadée que les capitalistes voulaient qu’un homme jette une bombe au rassemblement d’Haymarket pour pouvoir accuser les anarchistes de l’avoir fait. Pinkerton pourrait avoir fait cela pour eux. Vous avez eu vent d’une grande affaire de bombes. Vous avez entendu dire que les anarchistes parlaient beaucoup de dynamite. On vous a dit que Lingg avait fabriqué des bombes. Il n’a violé aucune loi. Les bombes de dynamite peuvent tuer, peuvent assassiner, comme le peuvent les mitrailleuses Gatling. Supposez que la bombe ait été lancée par un anarchiste. La constitution dit qu’il y a certains droits inaliénables, parmi lesquels la liberté de la presse, la liberté de parole, et la liberté de réunion. La constitution donne aux citoyens de ce grand pays le droit de repousser les atteintes arbitraires portées à ces droits. Le rassemblement d’Haymarket Square était un rassemblement pacifique. Supposez, lorsqu’un anarchiste a vu les policiers arriver sur place, avec le meurtre dans leurs yeux, déterminés à briser ce rassemblement, supposez qu’il ait lancé cette bombe ; il n’aurait enfreint aucune loi. Voilà ce que serait le verdict de vos enfants. Si j’avais été présente, si j’avais vu ces policiers assassins s’approcher, si j’avais entendu cet ordre insolent de dispersion, si j’avais entendu Fielden dire « Capitaine, c’est un rassemblement pacifique », si j’avais vu les libertés de mes concitoyens foulées aux pieds, j’aurais jeté cette bombe moi-même. Je n’aurais enfreint aucune loi, mais j’aurais fait respecter la constitution.

 Si les anarchistes avaient planifié la destruction de la ville de Chicago et le massacre de la police, pourquoi n’auraient-ils emmené que deux ou trois bombes ? Parce que ce n’était pas là leur intention. C’était un rassemblement pacifique. Carter Harrison, le maire de Chicago, était présent. Il a dit que c’était un rassemblement tranquille. Il avait dit à Bonfield [Capitaine John Bonfield, Commandant du Commissariat de Desplaines] d’envoyer les policiers vaquer à leurs tâches diverses. Je ne suis pas là pour me réjouir de la mort de ces policiers. Je méprise le meurtre. Mais lorsqu’une balle de revolver d’un policier tue, il s’agit bien plus d’un meurtre que lorsque la mort résulte de l’explosion d’une bombe.

 La police s’est ruée sur ce rassemblement alors même qu’il était sur le point de se disperser. Mr Simonson a parlé à Bonfield au sujet de ce rassemblement. Bonfield a dit qu’il voulait se faire les anarchistes. Parsons est allé au rassemblement. Il a emmené avec lui son épouse, deux dames et ses deux enfants. Vers la fin du rassemblement, il a dit : « Je crois qu’il va pleuvoir. Rendons-nous au Zeph’s Hall ». Fielden a répondu qu’il était d’accord avec cette proposition et qu’il fallait s’arrêter dès à présent. Les gens commencèrent alors à se disperser, un millier des plus enthousiastes s’attardèrent encore un peu malgré la pluie. Parsons, et ceux qui l’accompagnaient, prirent le chemin de la maison. Ils étaient arrivés à hauteur du commissariat de police de Desplaines street lorsqu’ils virent la police partir à toute vitesse. Parsons s’arrêta pour voir quel était le problème. Ces deux cents policiers se ruaient pour se faire les anarchistes. Alors nous partîmes. J’étais au Zeph’s Hall quand j’entendis cette détonation terrible. Elle se fit entendre à travers le monde entier. Les tyrans furent ébranlés et sentirent que quelque chose ne tournait pas rond.

 La découverte de la dynamite et son utilisation par des anarchistes est une répétition de l’histoire. Quand la poudre fut découverte, le système féodal était au faîte de sa puissance. Sa découverte et son usage engendrèrent les classes moyennes. Sa première détonation sonna le glas du système féodal. La bombe de Chicago a sonné la chute du système salarial du dix-neuvième siècle. Pourquoi ? Parce que je sais qu’à l’avenir plus aucune personne intelligente ne se soumettra au despotisme. Elle signifie la dispersion du pouvoir. Je ne dis à personne d’en user. Mais ce fut une réalisation de la science, non de l’anarchie, faite pour les masses. Je suppose que la presse dira que ce que je viens de vomir là est une trahison. Si j’ai enfreint la moindre loi, arrêtez-moi, mettez-moi en procès et donnez-moi la sanction adéquate, mais laissez le prochain anarchiste qui s’approche parler librement de ses idées sans lui faire obstacle.

 Et bien, la bombe explosa, les arrestations furent menées et alors vint cette grande farce judiciaire, qui commença le 21 juin. Le jury fut constitué. Y a-t-il un chevalier du travail dans l’assistance ? [ndt : les « knights of labor » étaient une organisation de travailleurs] Alors sachez qu’un chevalier du travail ne fut pas considéré comme assez compétent pour siéger dans le jury. « Etes-vous un chevalier du travail ? », « avez-vous quelque sympathie pour les organisations de travailleurs ? », telles furent les questions que posait chacun de ces fins limiers. Si une réponse affirmative était donnée, le fin limier s’emballait : « N’êtes-vous pas une sorte de franc-maçon, un chevalier templier ? Sapristi, non ! [Grands applaudissements] Je vois bien là à cette expression que vous croyez lire le signe que les temps sont proches ! » Hangman Gary, nommé à tort « juge », établit de son propre chef que si un homme avait des préjugés contre les accusés, cela ne l’empêcherait pas de siéger dans le jury. Car un tel homme, a dit Hangman Gary, porterait une attention plus soutenue à la loi et aux preuves, et serait plus apte à rendre un verdict sur les accusés. Y a-t-il un juriste dans l’assistance ? Si c’est le cas, il sait qu’une telle règle n’a aucun précédent et qu’elle est contraire à toute loi, à toute raison et à tout sens commun.

 Dans la chaleur du patriotisme les citoyens américains versent parfois une larme pour le nihiliste de Russie. Ils se plaignent que le nihiliste ne puisse obtenir justice, qu’il soit condamné sans procès. Combien devraient-ils davantage pleurer sur le sort de leur voisin de palier, l’anarchiste, qui voit les conditions de son procès frappées d’une telle règle !

 Il y eut des « mouchards » qui furent présentés à la barre comme témoins par le ministère public. Il y en eut trois. Chacun, je dis bien chacun d’entre eux, a bien été obligé d’admettre qu’ils avaient été achetés et menacés par le ministère public. Pourtant Hangman Gary tint leurs témoignages pour valables. Il fut démontré au procès que le rassemblement d’Haymarket n’était le résultat d’aucun complot, mais advint de la façon suivante. La veille du jour où les esclaves salariés de l’usine McCormick firent grève pour la journée de travail de huit heures, McCormick, de son luxueux bureau, d’un seul coup de crayon tenu par ses doigts oisifs et ornés de bagues, avait privé 4.000 hommes de leurs emplois. Certains se sont réunis et ont bloqué l’usine. C’est donc qu’ils étaient anarchistes, a déclaré la presse. Mais les anarchistes ne sont pas idiots ; seuls les idiots bloquent des bâtiments. Les policiers furent envoyés et ils tuèrent six esclaves salariés. Et cela, vous ne le saviez pas. La presse capitaliste passa cela sous silence, mais elle fit grand bruit de la mort de quelques policiers. Alors ces fous d’anarchistes, c’est ainsi qu’ils furent appelés, pensèrent qu’un rassemblement devrait être tenu pour réfléchir sur le meurtre des six camarades et discuter du mouvement des huit heures. Le rassemblement se tint. Il était pacifique. Quand Bonfield ordonna à la police de charger ces pacifiques anarchistes, quand il hissa le drapeau américain, il aurait dû être flingué sur le champ.

 Alors que la farce judiciaire se poursuivait, des drapeaux rouges et noirs furent apportés à la cour, pour prouver que les anarchistes avaient jeté la bombe. Ils furent accrochés au mur et pendirent là, spectres affreux devant le jury. Que signifie le drapeau noir ? Quand un câblogramme rapporte qu’il a été porté à travers les rues d’une ville européenne, cela signifie que les gens souffrent – que les hommes sont sans emploi, que les femmes sont affamées, que les enfants sont pieds nus. Mais, dites vous, ça se passe en Europe. Qu’en est-il de l’Amérique ? Le Chicago Tribune a révélé qu’il y a 30.000 hommes dans cette ville qui se retrouvent sans rien à faire. Une autre source, que 10.000 gosses ont été pieds nus au milieu de l’hiver. La police a rapporté que des centaines de gens n’avaient aucun lieu pour dormir ni se réchauffer. Quand le président Cleveland a achevé son discours de remerciements de Thanksgiving, les anarchistes ont formé un cortège en portant le drapeau noir pour montrer qu’il y avait des milliers de gens qui n’avaient aucune raison de lui retourner un quelconque remerciement. Quand la Bourse de Commerce, cet antre du jeu d’argent, s’est consacrée à organiser un dîner de gala à trente dollars l’assiette, là encore le drapeau noir fut hissé, pour montrer qu’il y avait des milliers de gens qui ne pouvaient même pas se réjouir d’un repas à deux cents.

 Mais le drapeau rouge, cet horrible drapeau rouge, que signifie-t-il ? Non que le sang doit couler dans les rues, mais que le même sang rouge coule dans les veines de toute la race humaine. Il symbolise la fraternité humaine. Quand le drapeau rouge flottera sur le monde, l’oisif devra se mettre au travail. Ce sera la fin de la prostitution pour les femmes, de l’esclavage pour l’homme, de la faim pour l’enfant.

 La Liberté a été nommée anarchie. Si cette sentence de mort est mise à exécution, ce sera le glas de la liberté en Amérique. Vous et vos enfants serez des esclaves. Vous n’aurez de liberté qu’en en payant le prix. Si cette sentence est mise à exécution, mettez en berne le drapeau de notre pays et inscrivez le mot « honte » sur chacun de ses replis. Laissez notre drapeau traîner dans la poussière. Laissez les enfants des travailleurs placer des lauriers sur le front de ces héros modernes, parce qu’ils n’ont commis aucun crime. Brisez le double joug. Le pain c’est la liberté et la liberté c’est le pain.

 The Kansas City Journal, 21 décembre 1886, p.1

 http://www.blackpast.org/?q=1886-lucy-parsons-i-am-anarchist

[Traduction] « La voix du peuple se fera encore entendre », paroles et écrits de Lucy Parsons

Nouvelle traduction de Lucy Parsons, une petite compilation d’extraits d’articles de journaux de l’époque :

La voix du peuple se fera encore entendre

Paroles et écrits de Lucy Parsons – traduction par Jean (groupe Pavillon Noir, Fédération Anarchiste 86)

Le vingtième anniversaire du 11 novembre, qui vient d’être commémoré à Chicago, a été un grand succès à de nombreux égards, notamment quand au nombre croissant de jeunes gens qui y ont pris part…

Avec ces années si vite passées, les vies de nos camarades sont mieux comprises ; leur grande oeuvre pour le bonheur de l’humanité comprise et reconnue. Comme cela fut toujours le cas des martyrs de toutes les époques…

« La voix du peuple » se fera encore entendre.

The Demonstrator, 20 novembre 1907

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Voilà maintenant 18 mois que j’ai publié les Discours célèbres des martyrs d’Haymarket. Durant tout ce temps, j’ai voyagé de Los Angeles, Vancouver état de Washington et Vancouver en Colombie Britannique, à New York, à deux reprises. J’ai consacré toutes mes énergies à rendre visite à tous les gens de la Fédération Américaine du Travail. J’ai toujours reçu d’eux l’accueil le plus courtois, partout où je me suis rendue. Quelques-uns des organismes les plus connus de ce pays m’ont témoigné leur attention, y compris l’Union fédérale centrale de New york. J’ai frappé sans relâche aux portes des gens de chaque coin, qui m’ont reçu et acheté les Discours. Résultat, j’en ai vendu 10.000 exemplaires et suis sur le point de passer commande pour une sixième édition de 12.000 exemplaires.

Je considère ces Discours comme le plus grand volet de la littérature de propagande qui subsiste ; et suis convaincue qu’en circulant parmi les travailleurs organisés, ils porteront leurs fruits.

The Agitator, 15 décembre 1911

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Le rassemblement d’Haymarket se réfère historiquement à « l’émeute des anarchistes d’Haymarket ». Il n’y a eu aucune émeute à Haymarket, si ce n’est une émeute policière. Le maire Harrison s’est rendu au rassemblement d’Haymarket, et a pris position au procès des anarchistes, pour leur défense, et non pour l’Etat.

La grande grève de Mai 1886 fut un événement historique de première importance, dans la mesure où ce fut… la première fois que les travailleurs eux-mêmes se mobilisaient pour obtenir une journée du travail plus courte par une action unie, et simultanée… cette grève fut la première action véritabement directe sur une large échelle…

Bien entendu, la journée de huit heures peut aujourd’hui sembler désuète, ainsi même que les corporations syndicales. Aujourd’hui, nous devrions lutter pour une journée de travail de cinq heures.

The Industrial Worker, 1er mai 1912

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Le Onze Novembre est devenu une journée d’envergure internationale, chère aux coeurs des amoureux sincères de la Liberté, comme un jour de martyre. Ce jour-là furent sacrifiés à la potence des martyrs aussi sincères pour leurs idéaux qu’on ne le fût jamais à toute autre époque…

Nos camarades ne furent pas assassinés par l’Etat pour avoir eu le moindre rapport avec la bombe, mais parce qu’ils étaient actifs dans l’organisation des esclaves du salariat. La classe capitaliste n’avait pas l’intention de trouver le lanceur de la bombe ; cette classe avait la bête croyance qu’en livrant à la mort les esprits vifs du mouvement des travailleurs de l’époque, elle pourrait terroriser la classe ouvrière au point de la faire retomber dans l’esclavage.

The Agitator, 1er novembre 1912

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Parsons, Spies, Lingg, Fischer and Engel : bien que tout ce qui était mortel en vous repose désormais sous le beau monument du Cimetière de Waldheim, vous n’êtes pas morts. Vous commencez seulement à vivre dans les coeurs de tous les amoureux sincères de la Liberté. Car à présent, après ces quarante années passées depuis votre départ, des milliers de gens qui n’étaient alors pas encore nés désirent ardemment apprendre de vos vies et de votre martyre héroïque, et plus les années passent, plus brillants sont vos noms, plus vous êtes reconnus, et aimés.

Ceux qui vous ont au contraire si abjectement assassinés, sous les prétextes d’une loi – une loi assassine – dans une cour de prétendue justice, sont à présent tombés dans l’oubli.

Reposez en paix, camarades, reposez en paix. Tous les lendemains sont les vôtres !

The Labor Defender, novembre 1926

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Une fois encore ce 11 novembre un rassemblement pour la mémoire se tiendra pour commémorer la mort des martyrs d’Haymarket de Chicago. 1937 est le cinquantième anniversaire, et ce rassemblement s’annonce véritablement bien plus large que tous ceux des quarante-neuf années précédentes…

En ce sombre matin du 11 novembre 1887, j’ai emmené nos deux enfants à la prison pour tenter de dire adieu à mon mari bien-aimé. J’ai trouvé la prison fermée par de lourdes chaînes. Des policiers avec des pistolets patrouillaient dans l’enceinte.

Je leur ai demandé de nous permettre de retrouver celui que nous aimions une dernière fois, avant qu’ils ne l’assassinent. Ils ne répondirent rien.

Alors je dis, « laissez au moins ces enfants dire aurevoir à leur père ; laissez-les recevoir ses bénédictions. Ils ne peuvent faire aucun mal. »

En quelques minutes un fourgon cellulaire arriva et nous fûmes enfermés dans un commissariat de police, pendant que l’acte infernal était perpétré.

Oh, Misère, j’ai bu ta coupe de chagrin jusqu’à la lie, mais je suis toujours une rebelle.

The One Big Union Monthly, novembre 1937

Source : Roediger, Dave, et Franklin Rosemont, éditions Haymarket Scrapbook. Charles H. Kerr Publishing Co., Chicago, 1986.

http://www.lucyparsonsproject.org/writings/voices_of_people.html

Traduction – « Les principes de l’anarchisme », une conférence par Lucy Parsons

ndPN : Nouvelle livraison, pour la nouvelle année ! 🙂 

Les principes de l’anarchisme, une conférence par Lucy E. Parsons

Traduction : Jean, groupe Pavillon Noir – Fédération Anarchiste 86 – 2 janvier 2011

Camarades et amis :

Je crois que je ne peux mieux ouvrir mon discours qu’en relatant mon expérience, celle d’un long engagement dans le mouvement des réformes.

C’est pendant la grande grève des chemins de fer de 1877 que j’ai commencé à m’intéresser à ce que l’on appelle « la question ouvrière ». J’ai alors cru, comme des milliers de gens sérieux et sincères le croient, qu’un pouvoir centralisé oeuvrant dans la société humaine, autrement dit un gouvernement, pourrait être un instrument entre les mains des opprimés pour soulager leurs souffrances. Mais une étude plus rigoureuse de l’origine, de l’histoire et des tendances des gouvernements, m’a convaincue que c’était une erreur. J’en vins à comprendre comment les gouvernements organisés ont utilisé leur pouvoir centralisé pour retarder le progrès, toujours prêts à faire taire les contestations, si celles-ci s’élèvent en protestations vigoureuses contre les machinations de quelques intrigants. Intrigants qui ont toujours dominé, domineront toujours et toujours devront dominer, dans toutes les assemblées des nations où la règle de la décision majoritaire est reconnue comme le seul moyen de régler les affaires du peuple. J’en vins à comprendre qu’un tel pouvoir centralisé ne peut jamais s’exercer que pour l’intérêt de quelques-uns et aux dépens du plus grand nombre. En dernière analyse, le gouvernement est ce pouvoir réduit à une science. Les gouvernements ne guident jamais le progrès ; ils le suivent. C’est lorsque ni la prison, ni le pal ni l’échafaud ne peuvent plus contenir la voix de la minorité qui proteste, que le progrès fait un pas ; jamais avant.

Je vais énoncer cela autrement : j’ai appris par une étude rigoureuse que peu importaient les belles promesses qu’un parti politique de l’opposition pouvait faire au peuple en vue d’obtenir sa confiance, car une fois sûrement établi au contrôle des affaires de la société, on constate qu’il ne s’agit finalement que d’hommes comme d’autres, avec tous les attributs bien humains des hommes politiques. Notamment les suivants : premièrement, conserver le pouvoir contre tout ce qui peut le menacer ; et si le pouvoir ne peut être conservé par un individu, alors il l’est par tous ceux qui ont les mêmes vues, à savoir maintenir l’administration sous contrôle. Deuxièmement, afin de conserver le pouvoir, il est nécessaire d’édifier une puissante machine ; assez forte pour écraser toute opposition et réduire au silence tous les murmures persistants de contestation – sinon la machine du parti pourrait être brisée et de ce fait, le parti pourrait perdre le contrôle.

Quand j’en suis arrivée à constater les failles, les faiblesses, les insuffisances, les aspirations et les ambitions de l’homme toujours faillible, j’ai conclu que ce n’était ni le plus sûr, ni le meilleur fonctionnement politique pour la société dans son ensemble, que de confier la gestion de toutes ses affaires, avec toute leur complexité et leurs ramifications, dans les mains d’un seul homme forcément limité ; ni d’être contrôlé par un parti quel qu’il soit, et il n’y a selon moi pas la moindre différence, entre un parti qui accède au pouvoir et donc se retrouve parti majoritaire, fût-ce depuis dix années, et les promesses d’un parti de l’opposition. La possibilité même qu’un parti, une fois bien établi et solidement assis au pouvoir, ait le pouvoir d’écraser l’opposition, et de réduire au silence la voix de la minorité, et ainsi de retarder le pas en avant du progrès, n’est pas faite pour dissiper mes craintes.

Mon esprit est épouvanté, à l’idée d’un parti politique prenant le contrôle de tous les détails qui font la somme totale de nos vies. Songez juste un instant, que le parti au pouvoir ait toute autorité pour dicter les types de manuels qui sont utilisés dans nos écoles et universités, pour contrôler les médias officiels du gouvernement, l’impression et la diffusion de nos écrits, l’histoire, les magazines et la presse, pour ne rien dire des mille et une activités de la vie dans lesquelles les gens s’investissent dans une société civilisée.

À mon avis, la lutte pour la liberté est trop grande et les quelques progrès que nous avons obtenus, conquis avec trop de sacrifices, pour que la masse immense des gens de ce XXème siècle puissent consentir à remettre à quelque parti politique que ce soit la gestion de nos affaires sociales et industrielles. Parce que tous les gens qui connaissent un tant soit peu l’histoire savent combien les hommes abusent du pouvoir lorsqu’ils le possèdent, pour ces raisons et tant d’autres, pour ma part, après une étude attentive et non par sentiment, je suis passée d’un socialisme sincère, sérieux, mais politicien, à une phase non-politicienne du socialisme, l’anarchisme, parce que dans sa philosophie, je suis convaincue de trouver les conditions adéquates au développement le plus complet des individus dans la société – ce qui ne peut jamais s’accomplir sous les restrictions d’un gouvernement.

La philosophie de l’anarchisme est incluse dans le mot « Liberté » ; pourtant elle est assez vaste pour inclure tout ce qui est aussi propice au progrès. L’anarchisme n’impose aucun obstacle que ce soit au progrès humain, à la pensée, ou à la recherche ; rien ne peut être considéré comme si vrai ou si certain, que les découvertes futures ne puissent en définitive démontrer comme faux ; par conséquent, l’anarchisme n’a qu’une seule et infaillible, et immuable devise, « Liberté ». Liberté de découvrir toute vérité, liberté de s’épanouir, de vivre naturellement et pleinement. D’autres écoles de pensée se composent d’idées-principes cristallisées, qui sont capturées et empalées entre les planches de longues plateformes, et considérées comme trop sacrées pour être incommodées par un examen minutieux. Dans tous les autres « sujets » il y a toujours une limite ; quelque ligne imaginaire de démarcation au-delà de laquelle la recherche n’ose pénétrer, de peur que quelque idée bien apprivoisée ne dégénère en mythe. Mais l’anarchisme est le gardien de la science – le maître des cérémonies pour toutes les formes de la vérité. Il peut éliminer tous les obstacles entre l’être humain et le développement naturel. Ecarter toutes les restrictions artificielles des ressources naturelles de la terre dont le corps pourrait être nourri, et tous les barreaux des préjugés et des superstitions, de la vérité universelle que l’esprit pourrait symétriquement cultiver.

Les anarchistes savent qu’une longue période d’éducation doit précéder tout grand changement fondamental dans la société, par conséquent ils ne croient pas aux suppliques votardes, ni aux campagnes politiciennes, mais plutôt dans le développement d’ individus pensant par eux-mêmes.

Nous détournons nos regards du gouvernement pour notre secours, car nous savons que la force (légalisée) envahit la liberté personnelle de l’homme, s’empare des éléments naturels et intervient entre l’homme et les lois de la nature ; de cet exercice de la force par les gouvernements découle toute misère, pauvreté, criminalité et confusion existant dans la société.

Alors, nous percevons bien, et ils sont bien là, les obstacles matériels qui nous barrent la route. Ceux-ci doivent être éliminés. Si l’on pouvait espérer qu’ils se dissolvent d’eux-mêmes, ou qu’ils puissent être amendés par le vote ou priés de disparaître, nous serions contents d’attendre et de voter et de prier. Mais ils sont comme de grands rocs renfrognés et imposants entre nous et la terre de la liberté, tandis que les sombres gouffres d’un rude passé de luttes béent derrière nous. S’effondrer, certes ils le pourraient, sous leur propre poids et avec l’érosion du temps ; mais nous tenir silencieux jusqu’à ce qu’ils tombent, c’est s’enterrer sous leur chute. Il y a quelque chose à faire dans un cas comme celui-là : les rochers doivent être détruits. La passivité, lorsque l’esclavage nous dépouille, est un crime. Pour le moment, nous devons oublier que nous sommes anarchistes – quand le travail sera accompli, nous pourrons oublier que nous étions révolutionnaires – c’est pourquoi la plupart des anarchistes croient que le changement à venir ne peut venir que par une révolution, parce que la classe possédante ne permettra pas à qu’un changement pacifique puisse s’accomplir ; nous voulons peut-être oeuvrer pour la paix à tout prix, mais certainement pas au prix de la liberté.

Et que dire de ce resplendissant objectif, qui est si lumineux que ceux qui broient les visages des pauvres nous disent que ce n’est qu’un rêve? Ce n’est pas un rêve, c’est la réalité, dépouillée des distorsions mentales matérialisées dans les trônes et les échafauds, les mitres et les fusils. C’est la nature agissant par ses propres lois, ainsi que dans toutes ses autres combinaisons. C’est un retour aux principes premiers, car les terres, l’eau, la lumière, n’étaient-elles pas gratuites, avant que les gouvernements ne leur confèrent modèle et forme ? Dans cet état libre, nous oublierons à nouveau de considérer ces choses comme « propriétés ». C’est une réalité parce que nous, en tant que race, sommes en train de nous élever à elle. L’idée de moins de restriction, et de plus de liberté, et un espoir confiant dans le fait que la nature est égale à son oeuvre, cette idée imprègne toute la pensée moderne. Depuis ces sombres années – pas si éloignées encore – où l’on croyait couramment que l’âme humaine était totalement dépravée et que chaque impulsion humaine était mauvaise ; quand chaque action, chaque pensée et chaque émotion étaient contrôlées et jugulées ; quand le corps humain, malade, était saigné, contaminé, étouffé et gardé aussi loin que possible des remèdes naturels ; quand l’esprit était saisi et déformé avant qu’il n’ait le temps d’évoluer de façon naturelle – de ces années jusqu’à nos jours, le progrès de cette idée a été rapide et régulier. Il devient de plus en plus évident que dans tous les cas, nous sommes « les mieux gouvernés, là où nous sommes le moins gouvernés ».

Toujours insatisfait peut-être, l’enquêteur cherche les détails, les méthodes et moyens, les tenants et aboutissants. Comment allons-nous, comme humains, continuer de manger et de dormir, de travailler et d’aimer, d’échanger et de commercer, sans gouvernement ? Nous avons été si habitués aux « autorités organisées » dans chaque activité de nos vies, que nous ne pouvons concevoir comme normal le fait que les activités les plus banales puissent être effectuées sans leur intervention et leur « protection ». Mais l’anarchisme n’est pas obligé de décrire l’organisation complète d’une société libre. Le faire avec quelque argument d’autorité, ce serait placer un nouvel obstacle dans la voie des générations à venir. La meilleure pensée d’aujourd’hui peut devenir le caprice inutile de demain, et la cristalliser en un dogme c’est en faire quelque chose d’encombrant.

Nous jugeons d’après l’expérience que l’homme est un animal grégaire, et qu’il s’associe et coopère instinctivement avec ses semblables, qu’il se réunit en groupes, qu’il travaille à meilleur profit lorsqu’il s’organise avec des partenaires que lorsqu’il demeure seul. Ceci incite à la formation de communautés coopératives, dont nos présentes unions de métiers sont des modèles embryonnaires. Chaque branche de l’industrie aura sans aucun doute sa propre organisation, ses réglementations, ses responsables, etc ; chacune mettra en place des méthodes de communication directe avec chaque membre de cette branche industrielle dans le monde, et établira des relations équitables avec toutes les autres branches. Il y aura probablement des assemblées d’industrie auxquelles les délégués assisteront, et où ils pourront négocier autant que nécessaire, puis qu’ils pourront clore et dès lors, cesser d’être délégués pour redevenir simples membres d’un groupe. Rester membres permanents d’un congrès continuel, ce serait établir un pouvoir dont il est certain que l’on abuserait tôt ou tard.

Aucun grand pouvoir central, du genre d’un congrès composé d’hommes qui ne savent rien des métiers des gens, de leurs intérêts, de leurs droits ou obligations, ne serait au-dessus des différentes organisations ou des groupes ; pas plus n’emploiraient-ils de shérifs, de policiers, de tribunaux ou de geôliers pour faire respecter les conclusions élaborées en session. Les membres des groupes pourraient profiter des connaissances acquises grâce à l’échange mutuel des propositions développées par les assemblées s’ils le souhaitent, mais ils ne seront jamais obligés de le faire par quelque force extérieure que ce soit.

Les droits acquis, privilèges, chartes, titres de propriété, défendus par tout l’attirail du gouvernement – le symbole visible du pouvoir – pas plus que la prison, l’échafaud et les armées n’auront d’existence. Il ne peut y avoir de privilège acheté ou vendu, ni de transaction sacralisée à la pointe de la baïonnette. Chaque homme sera sur un pied d’égalité avec son frère dans la course de la vie, et ni les chaînes de l’asservissement économique, ni les boulets de métal de la superstition, n’handicaperont l’un pour avantager l’autre.

La propriété perdra un certain attribut qui la sanctifie maintenant. L’appropriation absolue – « le droit d’utiliser ou d’abuser »- sera supprimée, et la possession, au sens d’usage, sera le seul titre. On verra combien il sera impossible à une personne de « s’approprier » un million d’acres de terres, sans un titre de propriété procuré par un gouvernement prêt à protéger ce titre de tout risque, même au prix de la perte de milliers de vies. Cette personne ne pourrait tout simplement pas utiliser ces millions d’acres par elle-même, ni ne pourrait arracher de leurs profondeurs les éventuelles ressources possibles qu’ils recèleraient.

Les gens sont devenus si habitués à voir l’empreinte de l’autorité sur chaque main que la plupart d’entre eux croient honnêtement qu’ils tourneraient très mal s’il n’y avait la matraque du policier ou la baïonnette du soldat. Mais l’anarchiste dit: « Supprimez ces témoignages de force brutale, et laissez l’homme éprouver les influences revivifiantes de la responsabilité de lui-même et de la maîtrise de lui-même, et voyons comment nous allons répondre à ces meilleures influences. »

La croyance littérale en un lieu de tourments s’est récemment effacée ; et au lieu des conséquences épouvantables qui étaient prédites, nous avons un niveau plus élevé et plus juste d’humanité et de féminité. Les gens ne se soucient pas de mal tourner quand ils découvrent qu’ils peuvent aussi bien faire en ne faisant pas mal. Les individus sont inconscients de leurs propres motivations à bien faire. Alors même qu’ils agissent en fonction de leur nature, selon leur environnement et leur condition, ils croient toujours qu’ils sont maintenus dans le droit chemin par un pouvoir extérieur, par des contraintes jetées autour d’eux par l’Eglise ou par l’État. C’est ainsi que le contradicteur croit qu’avec le droit de se rebeller et de faire sécession, tabou pour lui, il se rebellerait et ferait sécession pour toujours, engendrant alors confusion et agitation permanentes. Est-il vraiment probable qu’il le ferait pour la seule raison qu’il pourrait le faire ? Les hommes sont, pour une large mesure, des créatures d’habitude, et aiment se développer dans l’amour de l’association ; dans des conditions raisonnablement bonnes, l’homme se tiendrait où il a commencé, s’il le souhaitait ; et s’il ne le souhaitait pas, qui prétendrait avoir le droit naturel de le contraindre à de déplaisantes relations ? Dans l’ordre actuel des choses, des personnes se joignent à la société et en restent à jamais des membres bons et désintéressés, là où le droit de se retirer est toujours admis.

Ce pour quoi nous anarchistes nous luttons, c’est une plus grande possibilité de développer les associations au sein de la société, de sorte que l’humanité puisse avoir le droit, pour une existence saine, à développer ce qui est le plus grand, le plus noble, le plus haut et le meilleur, sans être handicapée par une quelconque autorité centralisée où il faut attendre que des permis soient signés, tamponnés, approuvés et retransmis avant de pouvoir s’engager dans le moindre projet actif de vie avec son semblable. Nous savons par dessus-tout tout qu’en même temps que nous serons de plus en plus éclairés en vertu de cette liberté plus large, nous nous soucierons de moins en moins de cette distribution exacte de la richesse matérielle, qui, pour nos sens nouris d’égoïsme, semble si impossible à concevoir de façon spontanée. L’homme et la femme de plus haute intelligence, dans le présent, ne pensent pas tant à la richesse qu’ils peuvent acquérir par leurs efforts, qu’au bien qu’ils peuvent faire pour leurs semblables. Il y a une source innée de saine activité en tout être humain qui n’a pas été écrasé et pincé par la pauvreté et la corvée depuis sa naissance, qui le pousse vers l’avant et vers le haut. Il ne peut pas être sans occupation, même s’il le voulait ; il est aussi naturel pour l’être humain de se développer, de s’étendre et d’utiliser les capacités en lui, s’il n’est pas réprimé, qu’il est naturel pour la rose d’éclore à la lumière du soleil et de jeter son parfum à la brise qui passe.

Jamais les plus grandes oeuvres du passé n’ont été accomplies par appât du gain. Qui pourrait quantifier la valeur d’un Shakespeare, d’un Michel-Ange ou d’un Beethoven en dollars et en cents ? Agassiz a dit qu’il « n’y a pas assez de temps pour gagner de l’argent », il y a de plus grands et de meilleurs buts que cela dans la vie. Et il en sera bien ainsi ; une fois que l’humanité sera libérée de la peur pressante de la famine, du manque et de l’esclavage, on se souciera de moins en moins de s’approprier de vastes accumulations de richesses. De telles possessions ne seraient alors plus vues que comme contrariétés et ennuis. Lorsque deux, trois ou quatre heures de travail facile et sain produiront tout le confort et le luxe dont chacun aura besoin, et que l’occasion de travailler ne sera plus refusée à quiconque, les gens se montreront indifférents de savoir à qui appartient telle richesse dont ils n’ont pas besoin. La richesse ne servira plus à grand chose, et l’on découvrira que les hommes et les femmes ne l’accepteront même plus pour être payés, d’être corrompus par elle pour faire ce qu’ils ne feraient guère volontairement ni naturellement. De plus grandes motivations doivent supplanter, et de toute évidence supplanteront, l’avidité pour l’argent. L’aspiration naturelle et innée de l’être humain à réaliser le meilleur de lui-même, à être aimé et apprécié par ses semblables, à « rendre le monde meilleur pour y avoir vécu », le poussera à de bien plus nobles actions que jamais la motivation sordide et égoïste du profit matériel ne l’aura jamais fait.

S’il est déjà possible, dans la présente lutte chaotique et honteuse pour l’existence, où la société organisée offre une prime à l’avidité, à la cruauté et à la tromperie, de trouver des hommes qui se tiennent à l’écart et presque seuls dans leur détermination à travailler pour de bonnes choses plutôt que pour de l’argent, qui souffrent du manque et de la persécution plutôt que de renoncer à leurs principes, qui peuvent courageusement aller à l’échafaud pour le bien qu’ils font pour l’humanité, alors combien pouvons-nous attendre des hommes quand ils seront libérés de l’écrasante nécessité de vendre le meilleur d’eux-mêmes pour du pain ? Les terribles conditions dans lesquelles le travail est accompli, l’horrible issue pour qui ne prostitue pas son talent et sa morale au service de Mammon, et le pouvoir acquis avec la richesse obtenue par de si injuste moyens, se sont combinés pour rendre quasi inenvisageable l’idée même d’un travail libre et volontaire. Et cependant, il y a des exemples de ce principe aujourd’hui même. Dans une famille normalement constituée, chaque personne a certains devoirs, qui sont accomplis gaiement, et ne sont ni mesurés ni payés pour correspondre à quelque standard pré-déterminé ; quand ses membres réunis s’asseoient à la table bien remplie, le plus fort ne se rue pas sur le meilleur pendant que le plus faible s’en abstient ; ils n’amassent pas avidement autour d’eux plus de nourriture qu’ils n’en peuvent consommer. Chacun attend patiemment et poliment son tour pour se servir, et laisse ce dont il ne veut pas ; il est assuré que lorsqu’il aura à nouveau faim, une abondance de bons mets lui sera proposée. Ce principe peut être étendu à toute la société, quand les gens seront assez civilisés pour bien le vouloir.

Encore une fois, l’impossibilité totale de rétribuer chacun de façon exacte selon la quantité de travail accomplie rendra le communisme absolument nécessaire tôt ou tard. La terre et tout ce qu’elle contient, sans lesquels le travail même ne pourrait s’accomplir, n’appartient à aucun homme, mais à tous, pareillement. Les inventions et découvertes du passé sont l’héritage commun des générations à venir ; et lorsqu’un homme s’empare de l’arbre que la nature lui a fourni gratuitement, et le façonne en un objet utile, ou en une machine perfectionnée et transmise à lui par les nombreuses générations passées, qui pourrait bien déterminer la part qui doit lui revenir à lui et lui seul ? Il aurait fallu une semaine à l’homme primitif pour façonner une grossière réplique de cet objet avec ses outils rudimentaires, là où le travailleur moderne n’y passe qu’une heure. Son objet fini est de bien plus grande valeur que celui produit il y a bien longtemps, et pourtant l’homme primitif aurait peiné plus longuement et durement à la tâche. Qui peut déterminer avec juste précision quelle devrait être la rétribution de chacun ? Il doit enfin venir le temps où nous cesserons d’essayer de le faire. La terre est si prodigue, si généreuse ; l’intelligence de l’homme si active, ses mains si agitées, que l’abondance jaillira comme par magie, prête pour l’usage des habitants du monde. Nous deviendrons aussi honteux de nous quereller au sujet de sa possession que nous le serions à présent si nous nous chamaillions au sujet de la nourriture étalée devant nous sur une table pleine de mets. « Mais tout cela, insistera le contradicteur, est bien beau dans un futur bien lointain, quand nous serons devenus des anges. Mais il ne serait pas bon d’abolir dès maintenant les gouvernements et les contraintes légales ; les gens ne sont pas prêts pour cela. »

C’est une question. Mais nous avons constaté, en consultant l’histoire, que partout où les restrictions d’autrefois avaient été abolies, les gens n’ont pas abusé de leur nouvelle liberté. Une fois qu’il est jugé nécessaire de contraindre les hommes pour sauver leurs âmes, avec l’aide des échafauds gouvernementaux, l’Eglise écartèle et empale. Jusqu’à la fondation de la république américaine, il était considéré comme absolument essentiel que les gouvernements secondassent les efforts de l’Eglise pour forcer les gens à suivre les moyens de la grâce ; et cependant il s’est trouvé que le niveau de moralité parmi les masses s’est élevé, depuis qu’elles sont laissées libres de prier comme bon leur semble, voire pas du tout si elles le préfèrent. On croyait que les esclaves que l’on possédait ne travailleraient plus si le contremaître et le fouet étaient abolis ; ils sont pourtant une si meilleure source de profits à présent, que les anciens propriétaires d’esclaves ne voudraient plus revenir à l’ancien système, quand bien même ils en auraient la possibilité.

Bien des auteurs compétents ont démontré que les institutions injustes, qui ont engendré tant de misère et de souffrance parmi les masses, trouvent leurs racines dans les gouvernements et doivent leur entière existence au pouvoir issu du gouvernement. Nous n’y pouvons rien mais croyons que si chaque loi, chaque titre notarié, chaque tribunal, et chaque officier de police ou soldat était aboli demain d’un bon coup de balai, nous en serions bien mieux qu’aujourd’hui. Les choses actuelles et matérielles dont l’homme a besoin existeraient toujours ; sa force et sa compétence demeurerait et ses instinctifs penchants sociaux conserveraient leur force ; les ressources vitales rendues gratuites pour tous les gens feraient qu’ils n’auraient besoin d’autre force que celle de la société, et que l’assurance de vivre en bonne harmonie les garderait moraux et honnêtes.

Libéré des systèmes qui l’ont rendu si misérable avant, l’homme ne se ferait pas volontiers plus misérable par manque de ceux-ci. Il y a bien plus dans la pensée que les conditions font de l’homme ce qu’il est, et non les lois et les sanctions faites pour son conseil, qu’on ne le supposerait par une observation négligente. Nous avons assez de lois, de prisons, de tribunaux, d’armées, de fusils et d’arsenaux pour faire de nous tous des saints, si c’étaient là les vrais moyens de prévention du crime ; mais nous savons qu’ils ne préviennent pas le crime ; cette vilenie et cette dépravation existent en dépit d’eux, non, plutôt augmentent d’autant plus que la lutte entre les classes se fait plus féroce, la richesse plus grande et puissante, et la pauvreté plus désolante et désespérée.

A la classe gouvernante, les anarchistes disent : « Messieurs, nous ne demandons aucun privilège, nous ne proposons aucune restriction ; d’ailleurs, nous ne les permettrons pas. Nous n’avons pas de chaînes à proposer, nous cherchons l’émancipation de toutes nos chaînes. Nous ne sollicitons pas d’autorisation légale, parce que la coopération entre les gens ne demande qu’un champ libre et non des faveurs ; nous ne permettrons pas non plus leur interférence. » Ceci affirme que c’est dans la liberté de l’union sociale que réside la liberté de l’état social. Ceci affirme que c’est dans la liberté de posséder et d’utiliser la terre que résident le bonheur social, le progrès et la mort de la rente. Ceci affirme que l’ordre ne peut exister que lorsque la liberté prévaut, guide le progrès et ne suit jamais d’ordre. Ceci affirme, enfin, que cette émancipation inaugurera la liberté, l’égalité, la fraternité. Que le système industriel existant a outrepassé son utilité, s’il tant est qu’il en eût jamais une, c’est ce que je crois admis par tous ceux qui ont réfléchi avec sérieux aux conditions sociales de cette époque.

Les manifestations de mécontentement qui surgissent de tout côté montrent que la société est conduite par de faux principes et que quelque chose doit être fait bientôt, ou la classe salariée sombrera dans un esclavage pire que le servage féodal. Je dis à la classe salariée : pensez clairement et agissez rapidement, ou vous êtes perdus. Ne luttez pas pour quelques cents de plus de l’heure, parce que le coût de la vie s’élèvera encore plus vite ; mais luttez pour tout gagner, ne vous satisfaites de rien de moins.

Lucy Parsons (1905)

Texte original :

http://www.lucyparsonsproject.org/writings/principles_of_anarchism.htm

ndPN : Retrouvez aussi sur ce blog la traduction du texte « Aux vagabonds », et un article sur Lucy Parsons sur le site du Monde Libertaire.

Quelques billes pour une critique anarchiste de la démocratie

Une critique anarchiste de la démocratie

(ébauche d’arguments pour introduire une discussion)

Nous nous proposons d’analyser la démocratie et ses définitions en cherchant à débusquer les structures d’oppression et de domination où qu’elles se trouvent et en mettant en cause leur légitimité et, advenant qu’elles ne peuvent se justifier – ce qu’elles ne peuvent faire que très rarement – en cherchant des façons de les éliminer. Et c’est bien çà aller vers et être dans l’anarchisme.  

Définissons donc la démocratie autour de la volonté du peuple. Le peuple qui va introduire la notion de collectif, par rapport à l’individu premier sujet de l’oppression vécue ou du vécu de l’oppression, prémisse à la révolte vers l’aspiration « révolutionnaire » au changement anarchiste.

Prenons par exemple la source wikipédia,.

La démocratie est le régime politique dans lequel le peuple est souverain. La formule d’Abraham Lincoln, la démocratie est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple », est l’une des définitions canoniques couramment reprise, comme dans la Constitution de 1958 de la Cinquième République française.

Le peuple renvoie à la notion plus restrictive de citoyens (la citoyenneté n’étant pas forcément donnée à toute la population). On notera qu’aujourd’hui encore, il n’existe pas de définition communément admise de ce qu’est ou doit être la démocratie.

Le premier élément de réflexion sera de savoir ce qu’est le peuple, et s’il existe une conscience populaire.

Le deuxième élément sera de réfléchir aux formes différentes de démocratie. Démocratie directe et démocratie indirecte ou représentative, délégataire. Mais aussi des formes dites mixtes comme la démocratie semi-directe par référence à l’usage plus ou moins important du référendum ou comme la démocratie participative par référence à l’information, à l’enquête et au contrôle plus ou moins important des décisions des représentants. Il peut aussi être fait état de système où le représentant est tiré au sort parmi le peuple. Ce fut le cas parfois dans la démocratie athénienne, c’est le cas aujourd’hui dans les cours d’assises pour le choix des jurés représentant le peuple.

 Pour continuer dans les critiques, on pourra en distinguer deux types :

  • celles extérieures visant à la critique de la définition de la démocratie commune aux différentes formes de démocratie ;
  •  celles internes au système, sur son fonctionnement, sur le fonctionnement des élections, plus spécifiques à la démocratie représentative.

Pour celles extérieures visant à la critique de la définition de la démocratie :

  •  fiction du peuple qui aurait des intérêts politiques convergents alors que l’égalité économique n’est pas réalisée, voire s’aggrave au sein d’une même population regroupant le renard et la poule dans un poulailler ;
  •  fiction de la liberté du choix dans un système où les moyens de la propagande sont détenus en majorité par les détenteurs du capital, une partie d’entre eux au moins ;
  • limite du champ de la démocratie aux décisions politiques, laissant le champ immense de l’économie et de l’entreprise hors jeu démocratique, l’entreprise est dans son espace un régime autoritaire de pouvoir quasi absolu, sans droit de parole des travailleurs salariés sur leur travail, et une représentation syndicale acquise par la lutte mais aux pouvoirs limités et circonscrits à certains champs (santé au travail, salaire, arrêt de travail, expression, …) ;
  • limite de l’égalité d’accès aux connaissances nécessaires pour établir une position « en toutes connaissances de cause », car limites de l’accès à la formation, à l’information, … ;

 Et pour celles internes au système sur son fonctionnement, sur le fonctionnement des élections :

  • limite de la démocratie représentative en ce sens que les représentants ont les pleins pouvoirs par rapport à leurs électeurs, une fois élus, absence de mandat impératif et de révocabilité ;
  • limitation du corps électoral par définition : tous les citoyens ne sont pas électeurs, il y a des conditions (âge, nationalité, doits civiques, … voire sexe, imposition/cens) ;
  • limitation du corps électoral par érosion : tous les citoyens « exclus » ne participent pas d’un droit qui les a déçus, leur choix ne leur semble pas présenté ;
  • limitation de l’offre soumise au corps électoral par l’argent : toutes les propositions n’ont pas les moyens d’être représentées (parrainages, coûts d’une campagne, …) ;
  • limitation par le suffrage : le suffrage majoritaire rend nul ou quasi nul l’intérêt pour les minorités, si ce n’est « se compter », le suffrage proportionnel connaît lui aussi bien souvent des seuils minimaux ;
  • limitation par le suffrage : la non-prise en compte du vote blancs ou des votes nuls, ne permet pas à des expressions non proposées de s’exprimer ;
  • limitation de la capacité à soumettre ses propositions en dehors du système des partis politiques, à la fois machine d’élaboration et filtre des propositions. Le processus d’émergence des propositions à adopter suit moins une voie ascendante de la base vers le représentant ou mandaté qu’une voie descendante de l’oligarchie, des lobbys, des leaders pour demander la validation par le peuple, (voir le rôle essentiel de la propagande, et les travaux de Noam Chomsky sur la fabrication du consentement) ;
  • limitation par la représentation : représentation des territoires et rarement représentation des projets ;
  • limitation par le poids marginal du projet : absence d’engagement sur les propositions du projet du candidat, impossibilité de mixer les propositions, fonctionnement programmatique (c’est tout ou rien), argumentation ad hominem, arguments de rhétoriques et peu de débats de sociétés ;
  • limitation par l’opacité des décisions et des actions, absence de contrôle citoyen. En principe, les parlementaires peuvent sous certaines conditions contrôler l’exécutif qu’ils ont nommé ;
  • limitation par le poids d’un homme dans le cas des régimes présidentiels rendant encore plus éloignés du peuple le système, régime proche des empires, même si plus limités dans le temps ;
  • limitation par le tempo : les débats soumis sont souvent ceux entre deux échéances électorales alors que les problèmes de la collectivité varient entre l’immédiateté et la génération ;
  • interrogation sur l’isoloir : comment un système basée sur le choix individuel peut-il rendre clandestine l’expression de ce choix ? comment ne se donnent-ils tous les moyens pour que chaque électeur puisse être fier de ses opinions, quitte à en changer, et être assuré que cela n’aura aucun impact sur le respect de ses droits élémentaires, …
  • la démocratie à mains levées fait plus « peuple », mais comment se garantit-on alors des effets de foule et manipulations des groupes de pressions ?

Question : doit-on décider de tout pour tout le monde ? La conception républicaine d’une société fait que « le peuple » décide de tout ce qui est dit « public » pour tout le « peuple ». On peut en tant qu’anarchiste considérer, au contraire, que toute décision doit être prise par et seulement par les individus qui sont concernés, pensent pouvoir être concernés. Par exemple : pour des questions de transports seront concernés celles et ceux qui travaillent dans le transport ou son environnement (aménagement, entretien, …), celles et ceux qui sont ou peuvent être les usagers du transport, celles et ceux qui sans utiliser le transport en son impactés comme mes riverains.

En conclusion, l’anarchisme n’est pas vraiement démocrate mais encore moins républicain.

En annexes, des définitions, des citations, d’autres réflexions sur les décisions collectives

Blog du cercle libertaire Jean Barrué (FA 33), 31 décembre 2011

 

ndPN – pour (re)lire le tract du groupe Pavillon Noir sur la critique des élections* :

http://fa86.noblogs.org/?p=1219

 

 

* notre tract en PDF :  http://fa86.noblogs.org/files/2011/12/tract-v3.pdf

Bonne année

 A toi qui suces des nouilles

à toi qui dégommes les panneaux publicitaires

à toi que le béton étouffe

à toi qui baisses plus la tête

à toi qui détestes ton taf de merde

à toi qui pleures un chien mort

à toi qui te fais harceler par les keufs

à toi qui survis avec tes allocs

à toi qui trouves moches les mannequins

à toi qui tagues les murs gris

à toi qui te branles en taule

à toi qui veux casser ta télé

à toi qui te retrouves sans papiers

à toi qui sais dire je t’aime

à toi qui tapes la manche

à toi qui luttes contre la maladie

à toi qui ris des blagues des mômes

à toi qui ne votes plus

à toi qui n’en penses pas moins

à toi qui te prends des sales remarques

à toi qu’on traite d’utopiste

à toi qui te blindes pour tenir

à toi qui te sens parfois si seul-e

à toi qui fais des rimes sur ton carnet

à toi qui tiens sa promesse

à toi qui te traînes en manif sans y croire

à toi qui ne supportes plus ce monde

à toi qui ne te résignes pas

 

bonne année 2012

 

quant à toi flic

toi le maton

toi qui as le bras long

toi qui radies des chômeurs

toi le préfet

toi qui balances ceux qui t’ont rien fait

toi qui dis votez pour moi

toi qui te crois plus malin que les autres

toi qui rackettes les filles à la rue

toi le galonné qui envoies les autres se faire éventrer

toi qui t’engraisses sur le dos de tes salarié-e-s

toi qui votes pour la haine

toi dont c’est jamais ton problème

toi qui chies ton article moisi dans ton canard bourgeois

toi qui « ne fais qu’appliquer les ordres »

toi qui fais tes blagues sur les noirs les pédés et les blondes

toi qui parles au nom des autres

toi le violeur

toi qui négocies dans le dos des syndiqué-e-s

toi qui te donnes bonne conscience

 

t’inquiète, on t’oublie pas