La vieille femme

La vieille femme

Il y a quelques années de cela, sur un chemin du sud, par un après-midi brûlant d’été, un jeune homme voyageait. Alors qu’il traversait un hameau dans la vallée, il parvint à une ferme, aux abords de laquelle il prit un peu de repos, sous l’ombre fraîche d’un figuier. A quelques pas de là, dans la cour illuminée par le soleil, il aperçut soudain une vieille femme, courbée par les années.

Elle disposait d’une main, brin par brin, en silence, des herbes sauvages sur les pierres polies de la cour, l’autre main appuyée sur un bâton. Les plantes étaient séchées pour quelque usage ultérieur. Pour la nourriture, pour la médecine, pour la vannerie, il n’aurait su dire. Mais une telle tâche était sans doute épuisante ; elle l’aurait été pour n’importe quelle personne, même jeune. Elle l’était encore plus pour une personne aussi âgée. La vieille femme semblait pleinement absorbée par ce travail harassant.

Le jeune homme s’avança doucement vers la vieille femme et la salua. Il crut discerner de sa part un hochement de tête, mais ne sut distinguer s’il s’agissait d’une réponse, ou d’un tremblement de ce vieux corps penché vers l’avant dans l’effort. Au bout d’un moment, il lui demanda : « Quel âge avez-vous ? ». Elle se redressa lentement, fixant le jeune homme. La sueur brillait sur son front ridé. « Quatre-vingt-onze ans », répondit-elle. Le jeune homme fut étonné par son assurance, mais inquiet pour la vieille femme, il demanda : « Une personne de votre âge ne devrait pas faire un tel travail, c’est dangereux pour votre santé. Pourquoi ne demandez-vous pas à un voisin de s’en occuper ? » Alors la vieille femme répondit « Les autres ne sont pas moi ».

Le jeune homme, très impressionné, s’assit par terre. La vieille femme reprit son travail, disposant lentement, savamment, ces herbes variées sur les pierres brûlantes. Au bout d’un long moment, il s’adressa de nouveau à la vieille femme : « Oui, sans doute, les autres ne sont pas vous. Mais je pense que vous devriez tout de même vous reposer un peu, attendre un autre moment ». La vieille répondit sèchement : « Et quel autre moment devrais-je attendre ? ».

Le jeune homme, encore plus impressionné, se sentant incapable d’ajouter quoi que ce soit, se releva, salua la vieille femme et reprit sa route. En gravissant la colline, pas après pas, il songeait. En cette période confuse où nul ne savait ce qu’il adviendrait du monde, dans ce monde déboussolé où l’on ne pouvait plus compter sur rien, cette vieille femme était maître d’elle-même. Ici et maintenant, avec elle, il s’était senti plus vivant que jamais.

J.