NdPN : un article critique rédigé par un compagnon, en réaction à cet article de la Nouvelle République en forme d’ode au tout-numérique dans l’Education Nationale.
Débauche de pognon public pour les gadgets électroniques à l’école, « édutablettes », tableau blanc numérique et ordinateurs portables, à généraliser dès le plus jeune âge… Pourquoi une telle priorité, à l’heure où tant d’autres choses semblent prioritaires à redéfinir en profondeur pour une véritable éducation ?
A « l’heure du numérique », l’apprentissage (rudimentaire) de ces outils numériques peut certes être présenté comme un « atout » dans la vie, ne serait-ce que pour se débrouiller comme on peut dans un monde saturé par ces technologies imposées. Un apprentissage pertinent pourrait aussi apprendre à ne pas devenir esclaves de ces machines, en comprenant leur fonctionnement et leurs dangers, en apprenant à naviguer de façon anonyme, etc.
Mais force est de constater que ce n’est pas le cas, et que l’éducation proposée ne consiste qu’en une utilisation passive, en rien critique ni émancipatrice. Ces outils en eux-mêmes n’améliorent en rien la transmission et le partage des connaissances – si ce ne sont celles relevant de ce monde numérique, qui en lui-même n’a aucune vertu éducative, bien au contraire. Quid du partage des connaissances, de l’apprentissage de la vie collective et de la responsabilisation, fondements de toute éducation digne de ce nom ? Le recours encouragé et systématisé à ces outils atomisant les individus devant des écrans réduit de fait notre autonomie à bien des égards : capacités cognitives, d’attention et de mémoire, capacités sociales d’écoute et de présence à l’autre, capacités d’organisation collective. Les profs eux-mêmes, quand ils s’enthousiasment pour ces technologies (ce qui est loin d’être toujours le cas), se félicitent surtout de mieux capter l’attention des élèves, car l’image est captivante. Comme à la télé, quoi ! Attirer l’attention par la forme et non par le contenu ou l’organisation d’un apprentissage, voici bien toute la misère que la « société » du spectacle en déliquescence avancée offre à sa progéniture.
Alors pourquoi un tel engouement des autorités nationales et locales (économiques, politiques, médiatiques) pour le numérique à l’école, comme un enjeu déterminant de l’éducation ? Peut-être parce que les autorités n’ont, par nature, pas la même vision de l’éducation que la nôtre, anti-autoritaire.
Les technologies numériques, loin d’être neutres, sont devenues l’un des dispositifs principaux de la servitude moderne. Elles répondent parfaitement aux impératifs du système de domination sociale, aussi bien économiques (dans le cadre d’un capitalisme d’opérations financières toujours plus rapides et de gestion des « ressources humaines » à flux tendu) que politiques (fichage généralisé, géolocalisation, transformation totale des activités humaines en bases de données exploitables, croisables, vendables et contrôlables). Plus profondément, comme évoqué plus haut, la mise des individus devant les écrans les isole socialement (sous le discours trompeur de la « communication »), et dissipe l’attention à soi, aux autres et au monde.
Sans parler de l’acceptation de tout ce qui est relié au monde numérique, de façon bien réelle et non « virtuelle », comme trop souvent dit. Caméras de vidéosurveillance, traçage des marchandises et des individus, recueil de données proprement policières sur les individus et leurs habitudes. Le numérique est une arme massive de contrôle social, que les dominés doivent apprendre dès leur plus jeune âge à s’appliquer à eux-mêmes.
L’éducation de la jeunesse (ou son décervelage, ce qui n’est pas forcément opposé quand on parle d’éducation nationale), et de la population en général, a toujours constitué un enjeu crucial pour le pouvoir. L’école, aujourd’hui comme hier, apprend surtout à obéir, à se conformer, à développer les habitudes les plus adéquates au pouvoir, en forme de réflexes pavloviens. Ce n’est pas un hasard si profs, parents et élèves sont contraints à se familiariser avec l’outil numérique, à entrer et partager de force les données de leurs travaux (pour l’acquisition de compétences définies par le patronat au niveau européen), de leur hiérarchisation et de leur contrôle social (notes, évaluations, nationalité, adresse, projet professionnel), de leur situation dans le dispositif panoptique (emploi du temps, présence et localisation dans l’établissement), et ce dans des bases de données pérennes et centralisées… appelées à être croisées avec les données professionnelles voire médicales.
Sans compter une autre dimension, toute aussi importante pour la bonne marche de la sainte Economie : les partenariats public-privé. Car à travers le déferlement de gadgets pour nos chères têtes blondes ou crépues, il s’agit bien entendu pour les politicards d’offrir des contrats plus que juteux aux potentats capitalistes qui fabriquent lesdits outils numériques.
Sur toutes ces questions, nous constatons qu’une fois de plus, la dynamique capitaliste est indissociable de la dynamique étatiste. Nous constatons aussi combien les journalistes de la presse nationale et locale sont complices de cette propagande éhontée pour les dispositifs du pouvoir.
J., Pavillon Noir, 7 janvier 2014