Aujourd’hui dans la Nouvelle République, le maire de Poitiers Alain Claeys se flatte de la « réussite » du Théâtre-Auditorium de Poitiers. Citation :
« Le TAP c’est un élément fort de la culture à Poitiers, même si ce n’est pas le seul. Et la culture est absolument essentielle, surtout en temps de crise, car elle permet aux gens de sortir de leur isolement. »
Mais quelles gens ? Et quelle culture ? Pour ma part, je n’ai quasiment jamais mis les pieds au TAP. Il y a peut-être des jolies choses qui s’y font avec notre pognon, je sais pas trop, c’est juste que ce lieu ne m’attire pas, il me fait plutôt l’effet d’un repoussoir, et je ne crois pas être le seul si je considère l’opinion de mes proches. Je ne considère pas pour autant comme passive notre approche des formes d’expression artistique. Il m’arrive même souvent de fréquenter des artistes. Oh certes, des pas connus. Des qui n’exposent pas, ou alors dans des galeries sympas et peu visitées par les braves gens. Manquerions-nous donc de « culture », souffririons-nous d’un quelconque « isolement » ? A la bonne heure, ça va bien pour nous.
La mairie de Poitiers passe pour aimer la culture, car elle consacre une partie non négligeable de son budget à subventionner des associations diverses. Mais si nous définissons la culture comme l’ensemble des repères communs et de la créativité au sens large, issue d’expérimentations spontanées et autonomes de toute emprise politique ou économique, comme la construction de lieux sociaux, comme l’invention d’un langage et d’une esthétique née de ces rencontres et expériences, force est de constater que la mairie s’oppose résolument à cette culture. Du reste, les collectifs d’artistes de Poitiers n’ont pas attendu les subventions de la mairie pour faire des pieds-de-nez à la routine urbanistique !
Tandis que le TAP touche des subventions de la ville et de l’Etat, force est de constater que la mairie et la police s’attaquent quasi-systématiquement (elles s’en flattent parfois) à la sociabilité de la rue, qu’elles dénigrent et pourchassent les graffeurs, les tagueurs, les rappeurs, les contestataires, les colleurs d’affiches, les détourneurs de pub, les gueuleurs de slogans inopportuns, les squatteurs et les Roms, et autres prolos gratifiés du charmant épithète de « marginaux ». Tous ces indésirables produisent pourtant au quotidien des repères, une sociabilité chaleureuse, un langage et une créativité de tous les instants… qui n’ont rien à envier aux professionnels de la beauté subventionnée. La mairie les dégage. Place à la magnifique place de l’hôtel de ville façon Pyongyang, à la galerie marchande partout, à la spéculation immobilière, à la gentrification tous azimuts. Galerie d’art morbide, surveillée par des vigiles à la couleur uniforme.
La culture, pas plus que l’art, ne saurait s’inscrire dans des lieux cantonnés par le pouvoir, ni à des activités esthétiques spécifiées par le pouvoir. La culture, comme réappropriation du vécu subjectif et collectif, comme créativité mijotée à la marmite des liens sociaux, est et sera toujours subversive – face à toutes les aliénations, face à toutes les représentations figées. L’esthétique n’est créatrice que si elle s’extirpe des normes imposées. La culture s’oppose donc fondamentalement au pouvoir, ainsi que l’affirmait Rudolf Rocker.
Nous laissons donc la récupération, la digestion, la fossilisation et la mise en mausolées des formes de subversivité passées (et en leur temps réprimées) à la bourgeoisie politique et économique. Pour nous la culture est et sera toujours ailleurs que dans les geôles du spectacle.
J., Pavillon Noir