L’emploi semble mettre tout le monde d’accord, des investisseurs aux salarié.e.s en passant par les politiciens de tous bords ! Cet argument n’est qu’un enfumage pour dissimuler les intérêts divergents entre nous, prolos, et les dominants. La vraie question est : pourquoi l’emploi ?
Pour le capitaliste, l’emploi n’est synonyme que de profit, de plus-value. Ce profit consiste en un détournement, un vol présent ou spéculé du travail collectif forcé des prolétaires. Pour le capitaliste, l’emploi n’est qu’une variable d’ajustement de ce profit, et si le profit nécessite de licencier, il le fait sans vergogne. Le chef des patrons, Pierre Gattaz, a d’ailleurs avoué récemment ce qu’il pensait du « pacte de responsabilité », consistant en une aide de 65 milliards d’argent public en échange d’emplois : « Il n’y a pas de contreparties ».
Pour le politicien, l’emploi est synonyme de recettes rentrant dans les caisses de l’Etat ou de la « collectivité » qu’il gère, lui permettant d’accroître son pouvoir et, en échange de contrats juteux concédés aux magnats capitalistes, d’asseoir son réseau. Il est aussi synonyme de « paix sociale », et donc de votes favorables dans les urnes, lui permettant de se maintenir au pouvoir.
On comprend donc bien pourquoi ces deux-là sont comme larrons en foire pour nous matraquer leur ode à l’emploi, toujours accompagnée du fameux refrain sur la sacro-sainte Croissance… du capital. L’emploi est pour eux un argument-massue, ayant pour fonction de désamorcer toute contestation contre leurs « grands projets » productivistes (TGV, aéroports et autres grands chantiers). Ces grands projets inutiles sont l’occasion de détournements massifs d’argent public, pris par l’Etat dans nos poches pour le mettre dans celles des capitalistes (baptisés « subventions », « aides », « partenariats public-privé »).
Pour eux donc, peu importe que ces grands projets soient socialement inutiles, tant que ça leur rapporte. Peu importe que leurs dispositifs technocratiques démantibulent nos sociabilités et nos lieux de vie, il suffit de dire : « ça crée des emplois ». Peu importe que leurs affreux chantiers massacrent l’environnement (voir le cas de cette entreprise de granulats), il suffira de badigeonner le tout d’une couche de vert.
Et pour nous, l’emploi, c’est quoi ? De prime abord, c’est se sortir de la misère, c’est gagner assez pour survivre. C’est pour cela que certain.e.s d’entre nous peuvent être sensibles à cette rhétorique… Mais à bien y réfléchir, l’emploi c’est aussi et surtout la contrainte de vendre notre force de travail sous la férule des puissants, qui en échange de notre soumission daignent nous accorder le « droit » de toucher les miettes moisies de ce que nous produisons ensemble.
A notre époque, où il nous suffirait de quelques heures d’activité par semaine pour répondre à tous nos besoins individuels et collectifs à condition de nous organiser pour les satisfaire, le système capitaliste (fondé sur la valeur monétaire produite par l’exploitation au travail et l’abrutissement publicitaire) nous oblige à mourir à petit feu, à sacrifier le plus clair de nos vies sur l’autel du profit, comme des esclaves obéissants, dans des emplois le plus souvent abrutissants et sans aucune utilité sociale (et même souvent nuisibles socialement), où nous ne décidons de rien. Et le reste du temps, on nous enjoint à acheter la merde toxique qu’on nous fait produire, ici ou ailleurs.
Nous, prolos anti-autoritaires (anarchistes, communistes, socialistes, sans étiquette, rayer les mentions inutiles) ne prônons donc pas le retour à « l’emploi » (sur la nature et les conditions duquel le salarié n’est pas libre de décider, car en tant qu' »employé.e.s » nous ne sommes que des outils). Nous prônons et défendons l’activité libre des êtres humains, leur permettant de répondre à leurs besoins réels. Nous prônons l’organisation sociale en fonction des désirs et des besoins réels.
Or l’espace, les ressources et les moyens de production sont détenus symboliquement (légalement, financièrement, politiquement), et militairement, par le Capital et l’Etat. Si nous voulons en finir avec l’emploi absurde pour mettre enfin en oeuvre l’activité libre des êtres humains, si nous voulons en finir avec l’esclavage salarial pour enfin décider de nos vies, si nous voulons en finir avec le saccage de nos sociabilités et de notre environnement pour vivre enfin dans un monde d’entraide et de partage où l’air redevienne respirable, nous ne pouvons nous passer de lutter résolument contre le Capital et l’Etat.
Or, que nous proposent les candidats à ces énièmes élections municipales ? Voter pour eux bien sûr… pour l’emploi, toujours l’emploi. C’est le même discours de gestionnaires du capital, d’aspirants au pouvoir pseudo- « représentatif », dans un véritable concours de novlangue pour rendre acceptable l’horreur de l’esclavage salarial et de la dépossession politique. Pour les gestionnaires du système capitaliste et étatique, la novlangue est disponible en plusieurs coloris.
Illustration sur Poitiers :
-Pour Duboc (candidat « centre ») : l’emploi doit reposer sur un « écosystème favorable aux entreprises » (on admirera l’oxymore), sur le développement du « numérique » (et tant pis si le monde ressemble à 1984), et sur le maintien des « services publics » (où usagers et salarié.e.s ne décident de rien, mais tellement pratique pour le flicage social et la gestion de la misère pour endiguer les révoltes !).
-Pour Gaillard (Lutte Ouvrière) : il faut « maintenir et créer des emplois » avec le « partage du travail » et la mesure « interdire les licenciements ». Gaillard veut « un emploi et un salaire corrects » (et une exploitation décente ?), et nous joue un couplet larmoyant sur les « artisans et petits commerçants » (des exploiteurs de salarié.e.s bien plus décents, eux, c’est bien connu). La solution consisterait à « prendre sur les profits passés et présents du patronat »… sans remettre en question le fait même que ces profits existent… vieux couplet de gauche sur le « partage des richesses » entre les exploité.e.s et leurs exploiteurs ! Rappelons que Lutte Ouvrière est censée être une organisation politique « anticapitaliste » et « marxiste »… Anticapitalistes et lecteur.ice.s de Marx, ne vous privez pas de rire un bon coup !
Pour Verdin (Front National) : aucune surprise, on retrouve le leitmotiv de l’extrême-droite à travers toute sa répugnante histoire, qui sous un discours prétendument « anti-système », flatte la croupe du MEDEF avec un appel du pied éhonté aux capitalistes : « allégement de la fiscalisation des entreprises et des PME », « création de zones défiscalisées sur la commune », allégement du « taux d’imposition fixé par la commune afin de faire baisser la Cotisation Fiscale des Entreprises » (on dit pas plutôt cotisation sociale ?). Il faut bien sûr limiter « les dépenses de la ville ». Tout ça pour « l’emploi », comme de bien entendu…
-Pour Claeys (Parti « Socialiste ») : alors là, c’est feu d’artifice. Florilège : « la priorité de notre programme : l’emploi ». Il faut développer « l’attractivité »… comprendre « les conditions d’accueil optimales pour les entreprises », « spécialiser le commerce de centre-ville », « développer le tourisme d’affaires et les salons », « mettre en place des coopérations internationales capables de dynamiser l’export de nos entreprises », « poursuivre notre stratégie de filières autour du numérique, des biotechnologies et des énergies renouvelables ». Claeys mérite bien sa médaille de député-maire, son discours est sans nul doute le plus « attractif » pour les capitalistes. Pauvre « socialisme »…
-Pour Daigre (Union pour un Mouvement Populaire) : « Nous ne pouvons être généreux que si nous sommes économiquement forts ! » En bref, le progrès social viendrait du profit capitaliste, qui ferait ensuite la charité. On retrouve bien là toute l’hypocrisie de la droite… mais la suite n’est pas mal non plus : « La politique locale a son rôle à jouer et celui d’un maire est avant tout d’aider les entreprises et tout le milieu économique afin de conserver l’emploi durablement. Mais il doit aussi faire en sorte de rendre sa ville attractive afin que de nouvelles entreprises ou des investisseurs aient envie de venir s’y installer. C’est l’emploi de demain qu’il faut préparer. Pour cela, il est impératif d’avoir une véritable politique volontariste et visionnaire en faveur de l’emploi : défendre les entreprises locales, soutenir les porteurs de projets, aider à la structuration de nouvelles filières, mais également accompagner les personnes en difficulté vers le chemin de l’emploi. ». Claeys a du souci à se faire, une autre postulante éhontée à la gestion du capitalisme est sur les starting-blocks !
-Pour Fraysse (liste « rouge-verte ») : nous tenons peut-être avec elle le grand prix de la Novlangue, avec cette superbe et énorme phrase, « L’emploi c’est le partage » : alors là, bravo l’artiste ! La candidate propose la création d’emplois publics « d’ambassadeurs de la rénovation énergétique du bâtiment, chargés de faire connaître les aides et les avantages financiers existantes pour tous travaux d’isolation. Nous y proposons une aide de 500 € supplémentaires sous conditions écologiques et sociales ». Titre ronflant pour faire la pub aux dispositifs d’aide au profit des entreprises de BTP… mais Fraysse ne s’intéresse pas qu’au peinturlurage en vert du profit, elle veut aussi favoriser les entreprises adeptes de Big Brother : « Nous mettrons en place un lieu emblématique de rayonnement et de convergence numériques d’entreprises 2.0. » La candidate finit sur les « emplois pérennes » dans les services publics, contre la « précarité ». Fait-elle semblant d’ignorer que pérenniser le salariat c’est prendre le parti de la misère ? Qu’en pense le nouveau parti anticapitaliste, associé à cette candidate ?
Pour nous, ce sera l’abstention active aux élections. Ne laissons plus à quiconque la prétention de nous « représenter » ! Luttons ici, maintenant, partout et toujours, contre le salariat, l’argent, le pouvoir, et pour l’activité et l’organisation libre des êtres humains. Pour cela, résistons pied à pied pour socialiser réellement l’espace, contre tous les thuriféraires de la dépossession générale, qu’elle soit « privée » ou « publique ». Contre leur droit bourgeois, leurs forces armées ; mais aussi leurs discours aussi pipés qu’aliénants.
Pavillon Noir, 11 février 2014