NdPN : la mémoire des luttes sociales ne s’efface pas, contrairement aux tags, sans doute dégagés très vite… Il y a notre histoire et il y a la leur.
Des tags anarchistes sur la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre
Des inscriptions à connotations anarchistes ont été peintes à la bombe sur l’édifice dans la nuit du 17 au 18 mars, date anniversaire de la Commune.
L’INFO. La façade et des piliers à la base de la basilique du Sacré-Cœur, symbole de Paris et du quartier de Montmartre, dans le nord de la capitale, ont été vandalisés dans la nuit de lundi à mardi. Selon les éléments recueillis par Europe 1, venant confirmer différents témoignages qui ont émergé sur les réseaux sociaux, les murs et les piliers situés au bas, à l’extérieur de l’édifice, ont été recouverts d’inscriptions d’une hauteur d’1,80 m en moyenne, peintes à la bombe rouge.
Le 18 mars, date anniversaire de la Commune de Paris. On peut ainsi lire « 1871 vive la commune », « Ni dieu, ni maître, ni Etat », « Feu aux chapelles », ou encore « à bas dieu », autant de slogans appartenant au vocable anarchiste. Le choix de la basilique et de la date, le 18 mars, apparaît comme symbolique. L’édifice religieux a en effet été bâti à l’issue de la Commune de Paris qui a débuté le 18 mars 1871.
Un édifice symbolique. La construction du Sacré-Cœur, débutée en 1875, avait été validée au préalable par un vote de l’Assemblée nationale, pour « laver Paris de l’affront de la Commune », et de ses 30.000 morts en deux mois de violences. Une enquête a été ouverte et confiée au commissariat du 18e arrondissement. Une plainte a été déposée mercredi, selon le diocèse de Paris qui ne souhaite pas communiquer davantage « pour ne pas attiser la haine ».
Vu sur Europe1.fr, 19 mars 2014
La profanation, c’est la basilique du Sacré-Cœur, pas les tags
Qu’est-ce que j’apprends ce mercredi soir à la radio ? Des graffitis anarchistes à l’entrée de la basilique du Sacré-Cœur à Paris ?
- « Ni Dieu ni maître ni Etat » ;
- « Feu aux chapelles » ;
- « A bas toute autorité » ;
- « Fuck tourism ».
Qu’est-ce que j’entends dans les commentaires ? TOUS les candidats à la mairie (ainsi que le ministre de l’Intérieur, grand tartuffe des religions dans ce pays) condamnent cette « profanation » (« odieuse » selon Jean-François Copé) ?
Nous ne saurons sans doute jamais qui sont les auteurs de ces actes, sauf si la police se donne des moyens en disproportion du délit incriminé. Je ne le souhaite pas, car j’imagine par avance la sévérité « exemplaire » et hypocrite des sanctions pénales.
Et à quoi bon critiquer « là-bas » les pays qui mettent en prison des chanteuses punks « blasphématoires » si c’est pour faire pareil ici ?
« Profanation » dans toutes les bouches
Par contre, si je rencontre ces « anarchistes », je les engueule, parce que leur acte est contre-productif par rapport… mais par rapport à quoi en fait ? On ne vous l’a pas dit ? Je vais y revenir.
En fait, ce qui me pousse à réagir, ce ne sont pas les graffitis, car à quoi bon rappeler que les actes de personnes qui se pensent irresponsables de ce monde ne peuvent être qu’irresponsables dans ce monde ? Ce qui me donne envie de réagir, ce sont les réactions des responsables politiques.
« Profanation ». Tous utilisent ce mot. Pas délit, pas vandalisme, pas dégradation : profanation. Soit un rapport au sacré. Aucun recul, aucune neutralité dans l’exercice d’une fonction publique. Le fait religieux est posé comme une évidence, et pas question de rappeler que si l’action publique organise la libre expression religieuse, elle ne reconnaît rien.
Des communards tués à cet endroit
Maintenant, venons-en au cœur de cette affaire du Sacré-Cœur, celui qu’aucun politique n’a relevé : pourquoi commettre pareil acte à cette date et à cet endroit ?
Le 18 mars 1871, le peuple parisien, assiégé et affamé, se soulève contre l’Assemblée versaillaise, réactionnaire, monarchiste et cléricale. Les Parisiens montent au sommet de la colline de Montmartre, à l’époque dépourvue de cette fameuse basilique, simple vignoble urbain, sur laquelle se trouvent des canons de l’armée. Le peuple s’empare des armes, proclame la Commune, et en appelle au pays pour défendre la « vraie République ».
Nul n’ignore la fin de l’épisode : lors de « la semaine sanglante » (21-28 mai 1871), l’armée de Thiers reprend la ville au prix de 20 000 à 30 000 morts (vous vous rendez compte ? Quasiment le bilan de l’insurrection du ghetto de Varsovie), exécutés à la chaîne et enterrés sous les rues (on retrouvera plusieurs charniers pendant les travaux de percement du métro dans les années 1897-1902).
L’humiliation par l’édification d’un basilique
Avant leurs exécutions, traînés dans la ville sous les crachats des possédants, les Communards étaient contraints de s’agenouiller devant chaque église, chaque croix et chaque image sainte rencontrée. C’est que le peuple parisien était déjà, et de longue date, très profondément anticlérical et largement « athéisé », convaincu depuis plusieurs révolutions (1792, 1848) du rôle réactionnaire du clergé.
Et que fait l’Assemblée versaillaise après la reprise de la ville, après ce triomphe face aux gueux ? Car les morts ne lui suffisent pas. Il faut rééduquer les vivants par la pénitence. Il faut leur imposer « l’ordre moral ». Pour ce faire, est votée une loi qui destine la colline de Montmartre à l’érection d’une basilique. Rien que ça. L’humiliation par l’édification.
Une blessure jamais refermée
Les quartiers populaires sont contraints de taire leurs milliers de morts tandis que, lors du discours d’inauguration du chantier, en 1875, on peut entendre que :
« Cette butte [était] sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Eglise semblait surtout animer. »
L’anarchisme français est né dans cette blessure jamais refermée au cœur du peuple parisien. De cette obscénité. Car s’il y a profanation, c’est d’abord dans la dissimulation du crime sous cette basilique.
Alors messieurs les politiques, quelques tags à effacer… vous qui faites afficher vos trombines à des milliers d’exemplaires sur TOUS les espaces publics disponibles, souffrez qu’on voit la profanation là où elle se trouve : dans l’existence même de cette basilique à cet endroit.
Roland T., Nouvel Obs-Rue 89, 20 mars 2014