Lettre d’Enguerrand aux manifestant-e-s du 17 mai

« Que crèvent l’aéroport et son monde ! ». Lettre d’Enguerrand aux manifestant-e-s du 17 mai

Le 17 mai, nous étions 1500 à manifester avec rage et détermination contre les répressions, et notamment celle qui s’est abattue sur la manifestation du 22 février contre l’aéroport et son monde. Du fond de son cachot, notre ami emprisonné tenait à en être lui aussi. Voici le message qu’il adresse à tou-te-s les manifestant-e-s solidaires.

Camarades,

Voilà maintenant 1 mois et demi que je suis coincé derrière ces murs, ces grillages, ces barbelés.
1 mois et demi coupé de ma vie normale. Privé de ma liberté, de ceux que j’aime, de la joie de voir ma fille d’un an grandir et progresser de jour en jour. Où la possibilité de voir mes proches se résume à une pièce sombre et exiguë pendant une heure.

Tout ça pour avoir osé fabriquer et lancer quelques fumigènes, sur des flics dont la violence s’est déchaînée le 22 février dernier, mutilant 3 camarades, et en blessant des dizaines d’autres avec leurs gomme-cognes, aspergeant la foule avec leurs blindés lanceurs d’eau ainsi que près de 2000 grenades lacrymogènes ou assourdissantes, dont un certain nombre lancées en tir tendu au niveau de la tête… Si violences il y a eu le 22 février, elles sont bien du côté de la police.
Je n’ai, nous n’avons fait que résister.

A mes yeux, les événements du 22 ont été savamment orchestrés afin de semer la division parmi ceux qui luttent, et manipuler l’opinion. L’État sait très bien s’y prendre pour déclencher des émeutes : en bloquant le centre-ville, en ouvrant les hostilités en gazant une foule totalement pacifique, les donneurs d’ordres savaient très bien que nombre d’entre nous n’aurions su rester impassibles… la suite était prévisible.

Mais si leur but était de nous diviser, il semblerait que cela ait échoué.
Les porteurs de ce projet à bout de souffle, moribond, ont abattu une de leurs dernières cartes, en vain.

Alors voilà : il fallait des coupables.
Mon ADN laissé sur un fumigène, et mon casier déjà alourdi par mon passé militant en faisaient de moi un tout désigné. Il aura fallu, en plus, tomber sur un juge cynique pour doubler les réquisitions de la procureure, déjà lourdes.

1 an. J’avais déjà imaginé que je pourrais finir ici.
C’est un risque à prendre lorsque l’on milite sans concession contre ceux qui nous gouvernent.
Le montage policier de l’an dernier – qui a lamentablement échoué, fort heureusement ! – visant à me faire enfermer, ne m’avait que davantage préparé à affronter une telle situation.
Ça m’a sûrement aidé à ne pas craquer en arrivant ici.
Ne pas péter les plombs, sans, non plus, tomber dans la résignation.

Mais surtout, ce qui me fait tenir le coup, depuis ce 1er avril de merde, c’est vous tous, qui à votre échelle, apportez du soutien à mes proches et à moi-même.
Que ce soient les courriers que je reçois, qui me permettent de m’évader quelques instants ; les photos de tags « Liberté pour Engué » redécorant les murs de leur métropole gentrifiée, aseptisée ; les dons qui me permettent de subsister à l’intérieur de la taule ; l’aide apportée à ma famille, que j’avais si peur de laisser seule, en galère. Tous ces gestes de soutien me touchent droit au cœur !

Merci à vous tous, j’espère que vous êtes nombreux aujourd’hui à cette manif, qui ne m’est pas seulement destinée. Je pense aussi aux camarades mutilés le 22.
Leurs blessures me font relativiser le temps que j’ai à passer ici.
Je retrouverai la liberté, ils ne retrouveront pas la vue.
Soyez forts les gars !

Ils peuvent m’enfermer moi, ils ne peuvent pas nous enfermer tous !
Ne nous laissons pas terroriser, ne les laissons pas gagner !

Solidarité avec les blessés du 22 !
Solidarité avec les camarades No-TAV
Et avec toutes les victimes de la répression policière dans le monde.

QUE CRÈVENT L’AÉROPORT ET SON MONDE !

Publié par le comité de soutien à Enguerrand sur Indymedia Nantes, 18 mai 2014