Blé : L’assemblée nationale interdit la réutilisation des semences
L’Assemblée nationale a adopté lundi soir la loi sur les Certificats d’obtention végétale (COV), votée le 8 juillet par le Sénat, alors à majorité UMP. Elle réduit la possibilité pour les agriculteurs de semer les produits issus de leurs propres récoltes, en étendant le droit exclusif de son détenteur sur la variété protégée des graines. Des dérogations seront possibles sous réserve du paiement d’une indemnité, mais toute autre utilisation de semences sera considérée comme une contrefaçon.
La Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), le principal syndicat agricole français, soutenait la loi, estimant qu’elle « légalise l’utilisation des semences de ferme et permet d’éviter les contentieux juridiques ». Selon elle, grâce aux nouvelles dispositions, la France évite de recourir au système de brevets et se dotera d’une recherche dynamique, permettant d’améliorer la sélection génétique.
En revanche, la Confédération paysanne dénonce « la confiscation des toutes les semences par des droits de propriété industrielle », qui va à l’encontre de la pratique ancestrale de réutilisation des semences issues de la précédente récolte. « La souveraineté politique de la France deviendrait dépendante du bon vouloir d’entreprises qui, pour la plupart sont des multinationales. »
Commodesk, 29 novembre 2011
Droit de propriété sur les semences : l’agro-industrie obtient sa redevance
Après un débat vif, les députés ont voté la loi sur le Certificat d’obtention végétale, qui supprime le droit de ressemer librement sa propre récolte sans verser de taxe. Les élus UMP, et le ministre de l’agriculture Bruno Lemaire, ont rejeté tous les amendements proposés par l’opposition de gauche. L’industrie semencière peut être satisfaite, tandis que la Confédération paysanne appelle à l’abrogation de la loi, et à son boycott.
Orge, avoine, blé, pois, trèfle, luzerne…. 21 variétés de semences seront soumises à une taxe, la Contribution volontaire obligatoire, si l’on veut les replanter (lire notre précédent article à ce sujet). Un droit de propriété sur les semences que viennent de voter les députés UMP à l’Assemblée. Pire : les semences de ferme pour les autres espèces (cultures intermédiaires, légumes, soja) sont interdites. « Les paysans qui ne respecteront pas cette loi seront des contrefacteurs, donc des délinquants », proteste la confédération paysanne. Les éleveurs qui, souvent, réutilisent leurs semences pour des cultures destinées à nourrir leurs bêtes, sont les premiers visés. Les grands semenciers (Limagrain, Monsanto, Syngenta, Vilmorin, Pioneer Semences…), qui percevront une partie de la « contribution volontaire obligatoire », auront bientôt « la mainmise totale sur les semences alors qu’actuellement ils ne fournissent que 50% des volumes, avertit le syndicat agricole. Nous nous trouverons alors dans une totale dépendance qui peut mettre en péril la capacité même à ensemencer tous nos champs. » Comment en est-on arrivé là ?
Le débat a pourtant été vif à l’Assemblée. D’un côté, la gauche et les écologistes. De l’autre, l’UMP, le ministre de l’Agriculture Bruno Lemaire et Xavier Beulin, président de la FNSEA et dirigeant de la pieuvre agroalimentaire Sofiproteol. « Nous considérons que le droit des agriculteurs de réutiliser une partie de leur récolte est un droit inaliénable auquel nous n’avons pas à déroger », leur lance le député socialiste Germinal Peiro. Avec sa collègue écologiste Anny Poursinoff, il est monté au créneau pour défendre des amendements visant à limiter la portée de la nouvelle loi sur le Certificat d’obtention végétale (COV).
La moitié des agriculteurs français concernés
En face, le député UMP Thierry Lazaro, rapporteur de la commission des affaires économiques, défend le texte avec zèle, aux côtés du ministre de l’Agriculture. Ils invoquent à tour de rôle l’importance de la propriété intellectuelle (des seuls semenciers) ou une nécessaire harmonisation entre droit français et droit européen (voir également notre article). L’un des objectifs des amendements proposés par la gauche était l’élargissement des cultures exemptés de taxe [1] Cet amendement « inverse la logique du texte », s’est insurgé Bruno Lemaire, qui estime « qu’il y a lieu de restreindre de façon positive la liste des espèces qui peuvent bénéficier de cette exemption afin de coller au plus près à la réalité des pratiques agricoles ». Une « restriction positive » qui profite directement à l’industrie semencière. An vendant ses semences, elle devient aussi propriétaires des graines tirées de leur récolte.
« Vous êtes en train de livrer les agriculteurs français aux semenciers. Il faut le reconnaître et l’assumer ! », s’emporte Germinal Peiro. Le député de Dordogne rappelle que la moitié des agriculteurs français réutilisent leurs semences de ferme : 60 % pour les céréales à paille, 80 % pour les plantes fourragères, entre 40 % et 60 % pour les protéagineux, et entre 20 % et 40 % pour le soja. Ils se verront donc taxés.
Deux visions de l’agriculture s’opposent
L’un des arguments avancés par l’UMP et la FNSEA, est le nécessaire financement de la recherche. Anny Poursinoff s’étonne que l’on souhaite faire payer la recherche agronomique par les agriculteurs. Germinal Peiro estime de son côté que les semenciers, du fait de leurs recherches, « orientent l’agriculture mondiale et les pratiques agricoles, sans tenir compte des usages locaux ancestraux, lesquels peuvent aussi donner d’excellents résultats agronomiques et préserver la diversité des agricultures ».
Le président de la FNSEA, Xavier Beulin, peut se réjouir : la totalité de ses arguments ont été repris par l’UMP. Le dirigeant de Sofiproteol ne voit pas en quoi la reproduction à la ferme serait un facteur de biodiversité : « Pour les grandes cultures, aucune variété utilisée n’est le fruit d’une conservation ancestrale ; toutes ont été développées grâce à la création variétale ». Faux, estime Guy Kastler, du réseau Semences paysannes : « Des caractères nouveaux apparaissent, permettant à la plante d’être mieux adaptée au sol, au climat, aux conditions locales. Il est alors possible de réduire les engrais et les pesticides. A l’inverse, les semenciers adaptent les plantes aux engrais et aux pesticides, qui sont partout les mêmes. » Deux visions de l’agriculture et de l’alimentation s’affrontent, y compris dans les travées de l’Assemblée.
Des paysans fraudeurs et voleurs ?
Le président de la FNSEA souhaite par ailleurs que le montant des redevances soit discuté au niveau interprofessionnel… où souvent la FNSEA siège seule. La gauche a voulu poser la condition du pluralisme syndical. En vain. Et Bruno Lemaire de renchérir : « Je rêve qu’un jour, le monde agricole puisse, comme tous les mondes économiques en France, travailler avec l’ensemble des syndicats représentatifs, qui discuteraient des différents sujets de manière responsable et constructive, chacun essayant de comprendre les positions de l’autre… » A l’image de ce que pratiquent le gouvernement et l’UMP ?
Tout n’est pas terminé. Le texte doit désormais passer devant le Conseil constitutionnel. Reste donc une possibilité de révision. Parmi les défenseurs du droit à semer et planter librement, on espère aussi que la tolérance sur la possibilité de ressemer qui régnait depuis 1991, date de création du Certificat d’obtention végétal (qui recense les variétés et leurs propriétaires), se poursuivra. Mais vu le zèle avec lequel le ministre a défendu les positions du lobby semencier à l’Assemblée nationale, il est peut probable que ce soit le cas. La maréchaussée débarquera-t-elle demain dans les granges pour lutter contre la « fraude » aux semences et arrêter les paysans voleurs ? De son côté, la Confédération paysanne demande à tous les candidats aux prochaines élections présidentielles de s’engager à « abroger cette loi scandaleuse » et invite les paysans à refuser de payer la dîme aux multinationales.
Basta Mag, Nolwenn Weiler, 30 novembre 2011
Notes
[1] « Les agriculteurs peuvent utiliser sur leur propre exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur, à des fins de reproduction et de multiplication, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture d’une variété protégée, sauf pour les espèces énumérées par décret en Conseil d’État. »