Réponse à l’article de 7 à Poitiers concernant les « marginaux »

NdPN : Il y a un mois est paru un article de 7 à Poitiers (journal dit « gratuit », largement diffusé à Poitiers), concernant les gens de la rue. Tout simplement à vomir ! Nous avons reçu un article d’une certaine Anne Bonny, apportant un autre point de vue.

Réponse à l’article d’o-presse Les marginaux, reparlons-en ! de Nicolas Boursier

7 à Poitiers n°220, du 4 au 10 juin 2014, page 4

http://www.7apoitiers.fr/enquete/1250/les-marginaux-reparlons-en (l’article incriminé)

http://www.7apoitiers.fr/enquete/853/poitiers-est-elle-marginale (le 1er article)

Attention, relents de marée brune ! Nicolas Boursier, rédacteur en chef de 7 à Poitiers et pourfendeur de marginaux remet le couvert. En plus de prendre clairement parti pour la répression, il offre une tribune abjecte et mensongère aux autorités, riverains et commerçants les plus obtus.

Audacieux, l’article est rédigé dans la rubrique « droit de suite », terme qui dans le jargon journalistique désigne l’opportunité pour un journaliste d’écrire un article sur un sujet déjà abordé, afin par exemple de mettre une personne précédemment interrogée face à ses contradictions. Alors que le premier papier donnait la parole à l’un des dits marginaux – comme si un témoignage suffisait à représenter la réalité du milieu, tandis que la partie adverse avait tout loisir de se défouler – ce second article est tout simplement un lynchage public qui ne laisse place à aucune défense.

L’article débute en nous parlant « d’un phénomène de marginalisation dans le centre-ville de Poitiers ». L’emploi du mot marginalisation est amusant. En effet, il est utilisé ici pour exprimer l’accentuation de la présence des dits marginaux dans le centre-ville, comme on parlerait d’embourgeoisement ou de gentrification pour désigner un espace qui est investi par les plus riches et se transforme à leur profit (d’ailleurs, c’est davantage ce phénomène que j’aurais souligné à Poitiers). En réalité, marginalisation désigne le fait d’écarter une personne ou un groupe de la norme et de la société. Si ce phénomène existe à Poitiers, il est donc du fait de fantasmes populaires, d’ailleurs entretenus par la régularité de ce genre d’article. Mais 7 à Poitiers n’est pas le seul à blâmer, Centre-République-Nouvelle-Presse est maintenant passé maître dans l’acharnement anti-zonard. Poitiers c’est cela. D’une seule et même voix, les médias locaux dressent des portraits de flics sans peur et sans reproche, se font tribune de l’équipe municipale façon cirage de pompe, offrent une vitrine gratuite aux commerces nantis de Coeur d’Agglo, et se soutiennent mutuellement dans un processus d’épuration sociale.

Bref. Parler de marginaux pose plusieurs problèmes. D’abord parce que c’est enfermer un ensemble d’individus sous un terme commun, alors qu’il ne reflète aucune identité commune. On identifie un groupe par les caractéristiques qui lient ses membres (culture, comportements, sentiment d’appartenance, etc). Or, lorsqu’on désigne ces gens comme étant marginaux, les seules particularités qu’on veut bien leur accorder sont l’alcool, la drogue, la violence, les chiens, les incivilités, le bruit et l’odeur. Il en est de même lorsqu’on parle de punks à chiens, alors que tous ne se réclament pas du mouvement punk et n’ont pas tous des chiens. Ces généralisations peuvent paraître anodines, mais alors que le politiquement correct nous conduit à la retenue lorsqu’il s’agit de caractériser des groupes minoritaires (handicapés ou immigrés par exemple) nous n’hésitons pas à stigmatiser les personnes vivant dans la rue, déniant leur individualité et la dignité qui devrait incomber à n’importe quel être humain. Pour illustrer cette discrimination décomplexée, saluons la déclaration de Christian Petit adjoint délégué au maire à la prévention, la sécurité, la police municipale, l’hygiène publique, et moult autres choses : « Individuellement, leur comportement ne pose pas de problème. Le hic, c’est lorsqu’ils se regroupent ». Remarquez le pastiche grossier de Brice Hortefeux à propos des arabes.

Le second problème avec le terme marginaux est qu’il n’a aucun sens. Le clergé catholique français est un groupe restreint, partageant une culture commune, et vivant à une distance relative de la société. Parle-t-on pour autant de marginaux ? Non. Ce mot veut en fait stigmatiser. Désigner quelqu’un comme en marge, c’est refuser de lui reconnaître une quelconque appartenance à notre société. On cherche donc à l’exclure symboliquement. Il a pour but de créer une ségrégation en asseyant la peur et le repli. On n’hésite pas à présenter ces personnes « démunies » comme un poids pour la société dont elles profiteraient, fainéantes qu’elles sont, délinquantes, sans volonté, et rendez-vous compte, ils maltraiteraient leurs chiens ! Un démenti évident est d’ailleurs à faire sur l’allégation d’un commerçant sûrement alcoolisé, qui affirme avoir « compté jusqu’à 40 chiens réunis ». Divisons sans crainte ce chiffre par 3 ou 4.

On y apprend aussi le ras-le-bol de la mendicité forcée, expression encore maladroite puisqu’elle désigne l’exploitation de personnes, souvent d’enfants, forcés à faire l’aumône dans la rue au profit de réseaux organisés de traite. Dans notre cas, les mendiants sont volontaires, et n’imposent pas le don, il n’y a donc pas contrainte. On pourrait, au pire, parler dans certains cas de mendicité insistante. Mais si les passants se sentent obligés de donner à chaque demande et se culpabilisent de ne pas vouloir ou pouvoir le faire, je les invite à apprendre à refuser gentiment et à passer à autre chose.

Et Monsieur Petit de surenchérir : « Socialement et médicalement […] la vingtaine de marginaux sédentaires qui fréquentent le plateau sont très bien suivis ». Le contrôle social classique quasi vétérinaire appliqué à toute déviance (malades mentaux, délinquants, et peut-être bientôt simples électrons trop libres ?). Pis, faute d’arriver à intégrer de force l’individu au système ou de l’y faire adhérer de lui-même, il convient de le surveiller d’une manière ou d’une autre pour anticiper et repérer toute velléité contestataire, et réprimer les comportements déviants sous prétexte de sécurité. Malheureusement, pour ces personnes, le harcèlement est quotidien (fouilles, insultes, contrôles, amendes, interpellations), autant de techniques visant à épuiser la mauvaise graine et lui montrer qui possède et décide en ces lieux.

Bien sûr, ne faisons pas d’angélisme, la situation des gens de la rue est souvent précaire, qu’elle soit choisie ou non. Et des problèmes y existent, mais dans des proportions semblables à ce qui peut exister dans la sphère privée. Ce qui dérange finalement, c’est la pauvreté visible, ce pourquoi il conviendrait de « leur trouver un coin bien à eux, où ils pourraient se réunir sans gêner la population » (dixit un commerçant de Poitiers Le Centre).

La peur qu’inspire les gens de la rue, et donc leur exclusion sociale, est finalement davantage liée à la doxa (aux préjugés populaires) plus que par les comportements en eux-mêmes. Et la mafia mairie-commerces-médias s’engouffre dedans la tête la première pour justifier sa politique plus blanc que blanc. Le premier article était limpide à ce sujet : « À l’heure où le centreville se refait une beauté, la marginalisation de la rue fait parfois tache dans le décor et dérange à plus d’un titre riverains et commerçants. ». Les marginaux, sont donc des boucs-émissaires mais utiles. De parfaits alibis pour mettre en place des politiques hygiéniste et prohibitionniste, qui donnent aux autorités les moyens d’imposer un savoir-être, un « bien vivre ensemble » en centreville, et qui permettent de le rendre plus attractif, de le valoriser et d’attirer une population plutôt aisée où seuls les comportements consuméristes y sont privilégiés. L’occasion également pour Alain Claeys d’installer enfin la vidéo-surveillance autrement injustifiable dont il a toujours rêvé. Vient une question : jusqu’où se limitera la municipalité dans cette ingérence de nos vies publiques ? Qui est-elle pour décider de qui dispose du droit de cité en centre-ville ?

Quoi qu’il en soit, il serait sage de mettre le holà sur cet acharnement, et de commencer tous et toutes à considérer les « gens de la rue » comme nos pairs. Des êtres sensibles comme vous et moi, ici estimables et là imparfaits. Remarquez qu’ils sont souvent prompts à la discussion, pour peu que vous les respectiez – n’en est-il pas de même pour vous ? Leurs expériences et leurs histoires personnelles sont souvent intéressantes et enrichissantes. Il serait honnête de constater que leurs chiens sont particulièrement bien traités, aimés, et toujours nourris avant leurs maîtres eux-mêmes. Il vous surprendrait d’observer que bien souvent, alors que personne ne bouge jamais d’un pouce, les plupart des gens de la rue interviendront lors d’une agression et ne laisseront pas passer quelques comportements déplacés. Alors avant de vous laisser intimider par la vision prémâchée qu’on vous offre à voir, allez leur parler de faites-vous votre avis. Un grand combat d’ouverture d’esprit et de dépollution mentale est encore à gagner !

Anne Bonny

mail reçu il y a quelques jours