CEIT : un couple sur la liste des licenciés
Jonathan et Delphine travaillaient à Loudun, pour CEIT. La trentaine, parents de trois enfants, ils ont été licenciés mardi.
Aujourd’hui, nous sommes en congés non décomptés. Jonathan, 33 ans, un solide gaillard parle d’un ton calme, presque posé. Sa compagne, Delphine, 34 ans, fait des efforts pour ne pas craquer.
Ils ne l’oublieront jamais ce quart d’heure si long qui n’en finissait pas. C’était mardi à 16 h 30. A la Compagnie pour équipement intérieur des transports (CEIT). Debout, dans l’atelier, ils attendent. La déléguée syndicale annonce, dans un silence de plomb, ceux qui partent. Licenciés. « Interminable, c’était la liste de Schindler », lâche Delphine, des sanglots dans la voix. Une mort sociale. Jonathan, acheteur, fait partie de la charrette. Sa compagne, secrétaire au service achat, aussi. « Nous avions mis un toit sur nos trois enfants ».Des jumeaux, Enzo et Hugo, 9 ans, nés d’une première union pour Delphine, devenue veuve, et la petite Lisa, 2 ans, qu’ils ont eu ensemble.
» Interminable, c’était la liste de Schindler «
L’administrateur judiciaire a tranché – c’est lui qui a désigné les personnes licenciées selon certains critères sociaux. « Nous pensions que Jonathan allait rester », raconte Delphine. Pas du tout. Leur destin s’est joué à moins d’un point . « 0,75 », précise le trentenaire. Comme un examen. Sauf que dans cette boîte-là, il n’y a pas de rattrapage. Pas de seconde chance. Ce mardi-là, les larmes succèdent à la colère. Des femmes pleurent, des hommes laissent monter leur dégoût. C’était un sale jour. Et la compassion chez l’administrateur ne fait pas partie de sa culture professionnelle : « Je pars en vacances nous a-t-il fait savoir, rapporte Jonathan, je ferai la lettre à mon retour. » Question de priorité (comptable?) pour celui qui joue avec les nerfs de ces hommes et femmes privés d’emploi !
Les copains sont là dans cette entreprise familiale « Entre nous, l’ambiance est bonne. Ce sont des amis. Nous avons fait un barbecue, nous étions une soixantaine. Nous nous fréquentons en dehors de l’entreprise ».
Jonathan et Delphine bénéficient de 80% de leur salaire brut durant une année et de la prime supra légale de 5.000 euros chacun. Après ? « On ne sait pas ». Ils veulent travailler, restent mobiles, jusqu’à 50 km de leur domicile.
En attendant, les traites de la maison continuent de tomber tous les mois : 950 euros ….pendant 16 ans. La nourrice, à plein-temps, pour la petite Lisa, Jonathan ne veut pas la licencier « pour l’instant ».
Les problèmes se démultiplient : il faut rassurer les jumeaux qui s’interrogent : « Comment on va faire pour manger maintenant qu’on est pauvre », nous ont-ils dit. Les vacances pour le mois d’août étaient déjà payées. « Je voulais les annuler mais nous en avons besoin, nous allons partir dans le Sud. »
Nouvelle République, 1er août 2014