[Etel] Pour Noël je voulais de la neige, pas du mazout

Pour Noël je voulais de la neige, pas du mazout *

* Slogan peint la nuit de vendredi à samedi par un ou une anonyme sur la coque du cargo échoué

 Récit de la manifestation

 Samedi après-midi, route vers Etel pour dénoncer les aberrations du transport maritime, pilier de la circulation des marchandises dans le cadre du capitalisme, et pour manifester notre colère face à l’échouement du cargo battant pavillon maltais. Un pavillon de complaisance parmi d’autres. La France a le sien, pas de quoi faire la leçon !

Les affiches de la fédération anarchiste de 2000 éditées au moment du naufrage de l’Erika, « logique de profit : logique de mort« , sont ressorties. Rien n’a donc changé ? A l’époque, nous criions révolution, face aux incuries du capitalisme et de l’Etat, nous mettions en avant l’autogestion… L’idée n’a pas pris. Alors les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Pas encore arrivé sur le lieu du rassemblement, qu’au bord de la route, des hommes vêtus de kaki et gilets jaunes sont en armes… Des chasseurs en battue ! A quelques kilomètres de là, un immense navire laisse échapper son fioul dans la mer et sur la plage. Ne pouvant être remis en mer, il faudra plusieurs mois pour démanteler les dizaines de milliers de tonnes de métal… Et des humains en sont encore à traquer les quelques mammifères sauvages qui restent dans les petits bois d’à côté… Pffff !

Il fait beau. Dans le bourg d’Etel, parmi les dizaines de personnes déjà présentes, quelques têtes connues… Des militantes et militants écolos, de gauche. Les copains du groupe libertaire qui ont pu se rendre disponibles arrivent. Les drapeaux noirs sont de sortie, les poussettes pour les enfants aussi. Nous partageons ce sentiment de Léo Ferré, « je préférerai toujours le drapeau noir à la marée en robe noire. »

Nous sommes maintenant près de 400 à partir en cortège, vers la barre d’Etel, où se trouve le bateau. On sort le mégaphone, on scande de temps à autre, « le capitalisme : ça tue, ça pue et ça pollue« , « Fukushima irradié, Erdeven mazouté, c’est le capitalisme qu’il faut éliminer« , « ce n’est pas les immigrés qu’il faut expulser, mais le capitalisme et les autorités« … Grâce aux mobilisations populaires, Erdeven a déjà échappé à une centrale nucléaire en 1975, à l’extraction de granulats marins par le cimentier Lafarge en 2009… Le Peuple des dunes sait réagir. Pourtant, en 1999-2000, les plages avaient été souillées par le pétrole de l’Erika. En 2011, du fioul à nouveau, certes en moins grande quantité, se répand mais le bateau (poubelle ?) restera immobilisé sur la plage durant un paquet de temps…

Alors que l’on marche, tel dans un décor de cinéma d’anticipation, ou dans une BD de fiction, le haut du cargo échoué surgit par dessus les dunes… Etrange, on dirait que c’est faux, qu’il a été ajouté. Mais non, on s’approche, il est bien réel : horreur ! Un hélicoptère de gendarmerie survole la marche, sans doute en nous filmant copieusement…

gendarmes et manifestantsOn retrouve d’autres manifestant-e-s sur la plage et c’est un demi millier de personnes qui convergent vers la masse métallique où s’agitent quelques hommes en blanc, personnels de nettoyage.

Alors qu’elle avait en principe été négociée par le Préfet, l’autorisation d’inscrire « Joyeux Noël, les arma-tueurs » sur la coque nous est refusée. Une première haie de gendarmes (pas agressifs, ni casqués… mais quand même !) nous barre la route. Des négociations / tergiversations sont entamées avec le chef des gendarmes. Le Préfet a renié sa parole… (de la part de « l’autorité déconcentrée de l’Etat » (comme cela s’appelle !), sont surpris ceux et celles qui veulent bien l’être…). On se masse devant cette haie. Les flics discutent aussi avec nous. Ils savent que la démarche est pacifique… Ca traine un peu. Des slogans fusent par intermittence. Une 2ème haie de gendarmes se met en place, puis une troisième. Ca fait une heure que l’on poireaute, on sait que l’on ne nous laissera pas passer.

 gendarmes.JPG Il fait froid au bord de mer. Des familles ont déjà décampé. On décide de forcer tranquillement la première haie. Une sorte de mêlée de rugby se forme, sans coups portés, la 2ème ligne de gendarmes vient renforcer la première. Ils nous contiennent. Tel un ailier, un copain, drapeau noir en main, tente une sortie en rasant les vagues. Il se fait prendre, tombant même à l’eau ! Pour ce qu’on en a vu, il semble que les flics un peu plus anciens aient pris notre tentative de forcer le barrage, sans trop s’énerver ; d’autres, plus jeunes, nous ont poussés sans ménagement, les gazeuses à portée de main. Il n’en sera pas fait usage, ni de matraques… heureusement !

Le copain arrêté est relâché au bout de 10 minutes par un autre chemin. Les gendarmes lui ont même dit « vous avez raison de faire ce que vous faites« … !! Ce n’est pas sans rappeler un sketch de Coluche :
Dans une dictature, « un flic interroge un passant :
– Qu’est-ce t’en penses, toi ?
– Eh bien, comme vous !
– Je t’arrête alors ! »

Il est quand même remarquable qu’il n’y ait aucune autorité étatique pour empêcher un immense et vieux bateau de prendre la mer depuis le port de Lorient, alors qu’une puissante tempête se déchaîne… En revanche, l’Etat retrouve l’usage de sa force légale pour retenir des manifestant-e-s qui voulaient juste faire un tag sur la coque…
Et on s’étonne qu’on soit anarchiste !
On aimerait aussi que la facture de cette mobilisation des forces gendarmesques soit adressée aux groupes privés affrêteurs du bateau et/ou à l’armateur… Mais, ne nous racontons pas d’histoires, c’est bien la collectivité qui assumera ces dépenses.

Une enquête va être menée pour définir la chaîne des responsabilités. Le commandant de bord est apparemment seul maître à bord, selon la Loi. L’autorité maritime n’est pas en mesure de l’empêcher de partir… Il restera à voir s’il n’a pas eu d’ordre de l’armateur (basé en Turquie) ou de l’affrêteur qui voulait que sa cargaison soit rapidement récupérée. C’est que la rotation du capital est en mode accéléré en ce début du XXIème siècle.

Les politiciens parlent de légiférer plus drastiquement. N’est-ce pas le simple bon sens qui aurait du faire en sorte que le navire reste à quai ? Mais la logique de profit s’asseoit sur ce simple bon sens.

En société autogérée, sans classes ni Etat, parce qu’il n’y aurait pas de capital à accumuler, une bonne partie de la production / consommation serait relocalisée et des marchandises-gadgets même pas fabriqués ! Le transport de fret maritime serait ainsi réduit.

D’ailleurs, il en serait fini de la propriété privée des navires et cargaisons : bien commun de l’Humanité. Les navires seraient uniquement commandés par le collectif des marins, en autogestion, qui y travaillent et qui s’assureraient de leur fiabilité …

En attendant la rupture révolutionnaire, nous plaidons pour le contrôle syndical des navires, pour des normes internationales définies par les organisations de travailleurs-marins et la réappropriation du transport maritime par la population (sécurité, écologie, conditions de travail…).

Blog des Groupes Lochu-Ferrer (Fédération Anarchiste 56)