[Ile d’Oléron] Des habitants de Boyardville victimes de Xynthia contre l’expropriation d’Etat

Dernier carré des expropriables

Vingt-cinq maisons restent dangereuses et expropriables, selon la préfète. Le combat continue face à l’administration.

 La maison appartient à la famille Chaty depuis 1899. Un géomètre détermine aujourd’hui si le seuil de l’habitation dépasse les 2,90m fatidiques fixés par la préfecture – photo Benoît Martin

En tout, 25 habitations : 20 maisons et 5 appartements. Près de vingt-deux mois après le passage de la tempête Xynthia, 25 habitations demeurent donc dangereuses et expropriables, dans le secteur de Boyardville, à Saint-Georges-d’Oléron, selon les critères retenus par la préfecture de la Charente-Maritime.

« Demeurent dangereuses les habitations dont l’altitude du seuil est inférieure à 2,90 m NGF (1) et celles qui ne possédaient pas un étage facilement accessible lors de la tempête », détaille la préfète, Béatrice Abollivier, dans un courrier adressé ces derniers jours aux propriétaires concernés.

Le risque pour ces maisons et leurs habitants, selon l’État, en cas de Xynthia bis ? Voir l’eau monter à 1 mètre et plus dans les habitations, « en cas de défaillance mineure » des digues et autres murets de protections.

Se battre jusqu’au bout

« Nous avons bien eu 1 mètre d’eau, le 28 février 2010, lors du passage de Xynthia. Je m’en souviens bien : ma femme et moi étions montés sur une poubelle pour échapper à l’eau ! », raconte Pierre Quevauviller, 75 ans, propriétaire d’une maison à Boyardville depuis 1977.

La lettre de la préfète, ce fut « un coup de théâtre. Je pensais être exclu de la zone de solidarité grâce à ma mezzanine de 2,50 m. Mais les services de l’État ne veulent pas en tenir compte, sous prétexte qu’elle ne peut accueillir 20 personnes. Un nombre pareil, chez moi, c’est rarissime ! Et puis on pourrait toujours monter dans les combles », explique Pierre Quevauviller.

Comme l’ancien ingénieur refuse d’être « la victime de fonctionnaires tatillons qui perdent de vue la réalité », il va prendre un avocat : « Je suis décidé à me battre jusqu’au bout, quitte à ce que mes quatre enfants reprennent le flambeau. »

Pierre Quevauviller va jouer perso, mais aussi collectif avec l’Association de sauvegarde du site de Boyardville (ASSB). « Tout n’est pas perdu pour ceux qui veulent rester. Il y a encore tellement d’incertitudes. Le combat continue », souligne le secrétaire général de l’ASSB, Patrice Favoccia.

50 cm, ça change tout !

D’abord, sauver les maisons dont le seuil est inférieur au couperet des 2,90 m. Et ce, avant le 5 février (2). « L’État a nivelé depuis les jardins ou la rue, sans prendre en compte un porche ou des marches. 50 ou 60 cm, ça change tout », souligne Patrice Favoccia.

Pour apporter la preuve à l’État, Jacqueline Chaty, propriétaire d’une maison de l’avenue de la Plage, fait venir aujourd’hui, à ses frais, un expert géomètre. Jacqueline fera tout pour sauver sa maison qui appartient à la famille depuis six générations. Dans la cuisine, l’antique et superbe foyer charentais en faïence est protégé par de vieux journaux.

Avec son mari, Bernard, ils ont commencé les travaux de rénovation en août dernier. « On a attendu un an et demi avant d’entreprendre quoi que ce soit. On ne se savait pas où on allait. Aujourd’hui, je veux croire à une espérance individuelle et collective », avance Jacqueline, dans sa salopette de travail blanche.

Après le passage des géomètres, « trois à quatre maisons devraient encore être sauvées », soutient le secrétaire général de l’ASSB. Restera 15 à 16 habitations à sauver. Uniquement des résidences secondaires, sauf une.

« Pas de problème pour ceux qui veulent encore vendre leur bien à l’État, à l’amiable », souligne Olivier Schmitt, président de l’ASSB. Problème d’héritage, maladie, éloignement, grand âge… De nombreux propriétaires ont profité de l’aubaine pour se séparer de leur maison à un prix avantageux, au-dessus du prix du marché.

Ni le Var, ni La Faute-sur-Mer

Pour sauver la poignée de résistants, l’association considère que tout n’est pas perdu : « Beaucoup de portes sont encore ouvertes. » Marteler et marteler encore qu’un rehaussement des digues et la création de murets permettraient de protéger Boyardville, comme le montre une double étude dûment approuvée par le Conseil général.

« Boyardville, ce n’est pas le département du Var et ses torrents de boue. Ce n’est ni Charron, ni Ré, ni La Faute-sur-Mer ! Entre l’obligation d’appliquer une doctrine nationale et la diversité des situations locales, la préfecture se retrouve dans une situation extrêmement embarrassante, s’exclame Pierre Quevauviller. Et puis, de toute façon, l’État est censé ne plus avoir d’argent ! »

(1) Nivellement général de la France. (2) Date limite fixée aux propriétaires par la préfecture pour demander l’évaluation des biens immobiliers par la Direction départementale des finances publiques et bénéficier de l’acquisition amiable de l’habitation par l’État.

Sud-Ouest, Benoît Martin, 5 janvier 2012

Le géomètre leur vient en aide

« Les zones inondables existaient avant Xynthia. Désormais, elles sont renforcées. » Expert géomètre, Thierry Gilloots établit un constat susceptible de lui donner un peu de travail… Surtout si des propriétaires décident d’ajouter des éléments d’altimétrie au dossier de leur éventuelle procédure contradictoire.

Nous parlons ici de la procédure offerte aux habitants par la préfecture. Laquelle vient de définir ce fameux seuil de 2,90 m, en-dessous duquel les maisons de la zone Saint-Georges – Boyardville seront considérées comme dangereuses pour leurs occupants (lire notre édition de mardi). Le travail de Thierry Gilloots, basé à Rochefort, consiste justement à définir l’altitude NGF (1) du seuil des habitations, mais aussi de la voirie ou des digues. « Nous sommes intervenus sur Boyardville avant et après Xynthia, explique-t-il. Après, il s’agissait d’établir des mesures pour le Conseil général et son programme de travaux. » Toutefois, Xynthia n’a pas surchargé l’agenda du cabinet Tournier-Gilloots. D’autant qu’un état des lieux quasi exhaustif avait été réalisé en 2007.

Complexe

« Ce qui intéresse l’État, c’est de connaître le niveau des seuils, nous ne sommes jamais intervenus sur les zones refuges. » Autrement dit, sur des demi-étages et autre planques placées plus haut.

D’après Thierry Gilloots, il est rare de tomber sur un particulier lambda désireux de connaître l’altitude de son terrain ou des étages de sa maison. De plus, le contexte oléronnais semble complexe à ses yeux car, dit-il, « Saint-Georges est occupée par des demeures privées, mais aussi par des propriétés de l’État avec une autorisation d’occupation pour des particuliers. »

Pour tout projet nécessitant un permis de construire, l’expert géomètre fournira un certificat de nivellement. Le seul faisant état de garantie en cas de litige. Or voilà qu’à titre exceptionnel, ces experts seront peut-être amenés à expertiser des maisons pour lesquelles les propriétaires nourrissent un tout autre projet : obtenir un permis de non-démolition.

Sud-Ouest, Thomas Villepreux, 5 janvier 2012