Faucheurs volontaires : un procès agité
Des témoignages d’un haut intérêt scientifique mais aussi les malheurs d’une avocate ont émaillé un procès qui s’annonçait plutôt technique.
Le président de la cour d’appel, Francis Lapeyre vient tout juste d’annoncer qu’il refuse de visionner le « témoignage » enregistré par Stéphane Hessel en faveur des huit faucheurs volontaires qui sont jugés ce jour-là. Un cri de femme s’élève des bancs de la défense. L’espace d’une seconde, on s’imagine que la bouillante Me Marie-Christine Etelin, défenseur depuis dix ans des opposants aux OGM à travers la France, exprime ainsi son indignation.
Il n’en est rien. L’avocate vient de s’effondrer, victime d’un douloureux déplacement de sa prothèse de hanche. Audience suspendue, pompiers, SAMU… Me Etelin est conduite au CHU où elle est opérée dans l’après-midi. Me Simone Brunet la remplace à la barre aux côtés de l’autre avocat des faucheurs, Me Nicolas Gallon.
Condamnationou relaxe ? Une affairede droit délicate
Cet incident aussi douloureux qu’inattendu vient rompre le déroulé d’une audience où les exposés scientifiques venaient jusqu’alors contrebalancer la sécheresse des débats purement juridiques.
En juin dernier, le tribunal correctionnel avait relaxé les huit prévenus, parmi lesquels deux « vedettes » : François Dufour, vice-président vert du conseil régional de Basse-Normandie, et surtout José Bové, le leader paysan devenu député européen d’Europe Écologie les Verts.
Relaxés, non qu’il existe le moindre doute sur la réalité des faits qui leur sont reprochés : le 15 août 2008, quelque 200 militants anti-OGM (dont les huit prévenus, qui le revendiquent) s’en prennent à deux champs de maïs transgéniques appartenant à la société Idémaïs, que gère Jean-François Charles, agriculteur à Valdivienne. Il s’agit de deux expérimentations menées pour le compte de la multinationale Monsanto. Ces expérimentations ont été dûment autorisées en 2006. Ce n’est qu’au mois d’octobre 2008, soit bien après le fauchage, que le Conseil d’État va dire que cette autorisation était illégale. Sur le papier, les faucheurs sont donc coupables : depuis 2002, tous les cas similaires se sont traduits au final par une sanction des contrevenants.
Mais le parquet commet une bévue dans les poursuites en visant l’article qui poursuit les destructions de cultures destinées à la mise sur le marché et non celui qui sanctionne les destructions d’essais scientifiques. Le tribunal prend acte de cette erreur et relaxe les prévenus au grand dam du parquet, qui fait appel. Suivant ou non des directives données par le Ministère, selon qu’on s’en tient à la version officielle (défendue hier par l’avocat général) ou à l’officieuse.
Le débat juridique a donc essentiellement porté sur ce point de droit délicat. La cour s’est donné jusqu’au 16 février pour le trancher.
Des peines d’amende requises
Après avoir affirmé avec force que l’appel du parquet ne devait rien à une quelconque intervention du Ministère, l’avocat général Frédéric Chevalier a demandé à la cour de requalifier les faits poursuivis, ce que le tribunal avait refusé de faire. Il a requis des peines d’amende de 300 à 600 € contre la plupart des prévenus, à l’exception des récidivistes multiples, menacés de jours-amendes, plus sévères. José Bové, s’il est condamné, pourrait ainsi avoir à régler, sous peine de prison, 200 jours- amendes à 10 euros.
Nouvelle République, Vincent Buche, 14 janvier 2012
Des scientifiques à la barre
Ce procès, largement moins médiatisé que le précédent devant le tribunal correctionnel, a donné l’occasion à deux grands scientifiques, le professeur Jacques Testart, « père » du premier bébé-éprouvette français, et le professeur Pierre-Henri Gouyon, d’amener le débat sur le terrain de l’éthique.
Jacques Testart est revenu trente ans en arrière, quand ses travaux sur la fécondation in vitro suscitaient eux-mêmes interrogations et oppositions. Le Pr Testart n’en est pas moins aujourd’hui un farouche opposant aux OGM. « Il y a toujours un risque quand on mène une expérimentation ». Ce risque, lui et son équipe l’ont assumé parce qu’en face d’eux, il y avait des centaines de parents désespérés de ne pas avoir d’enfants qui leur demandaient une solution.
« Là, poursuit le Pr Testart, je n’ai vu personne réclamer de manger du maïs transgénique. Il n’y a donc aucune raison de prendre ce risque ». Un risque totalement contesté par les avocats de Monsanto et, qui, c’est vrai, n’est pas plus démontré que l’innocuité des OGM. « Les connaissances sont insuffisantes, estime cependant Jacques Testart, pour qu’on passe à l’expérimentation dans les champs. »
Nouvelle République, 14 janvier 2012
Bon enfant
En dépit des rodomontades rigolardes d’un José Bové au mieux de sa forme, ce procès s’est déroulé dans une excellente ambiance comme en témoigne cette photo où l’on voit Jean-François Charles, propriétaire des champs ravagés à Civaux et Valdivienne, plaisanter avec José Bové, le meneur des faucheurs volontaires.
Nouvelle République, 14 janvier 2012