Un point de vue du sociologue Jean Baubérot sur la laïcité. Nous ne le partageons pas totalement car notre lutte antireligieuse se positionne clairement contre toute forme de répression étatique. Nous jugeons néanmoins intéressant de relayer ici cette analyse sur l’instrumentalisation xénophobe qui est faite de cette loi de 1905, par des partis politiques – à droite et à gauche.
Une laïcité méconnue, mais brandie par tous en étendard, selon Jean Baubérot
Plus célèbre que connue, la loi de 1905, invoquée de façon incantatoire par les politiques, est volontiers manipulée et déformée à des fins partisanes, selon Jean Baubérot, qui publie « La Laïcité falsifiée », sujet revenu au premier plan de la campagne présidentielle.
Ce professeur émérite de la chaire « histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des Hautes Etudes évoque ces « escamotages » dans un entretien à l’AFP.
« L’évolution de l’emploi du terme laïcité au cours des dix dernières années a abouti à réduire la laïcité à des problèmes de neutralité. Et la manière dont on traite de la neutralité est de plus en plus éloignée de la loi de séparation de 1905 » de séparation des Eglises et de l’Etat.
Or, dit-il, « cette loi, vraiment équilibrée, instaure une laïcité qui est la même pour tous. Elle fait les mêmes peines pour les atteintes à la liberté religieuse et à la liberté de convictions non religieuses. C’est une laïcité qui est incompatible avec la stigmatisation des immigrés ».
« Inscrire dans la Constitution la loi de 1905 serait à mes yeux un progrès, parce qu’on cesserait alors de penser uniquement à l’Islam quand on parle de laïcité », poursuit-il en allusion à la récente proposition du candidat socialiste François Hollande. « Mais cela reviendrait à briser la loi du silence sur le statut concordataire en vigueur en Alsace-Moselle », prévient-il.
Pour Jean Baubérot, la « mutation » de la loi a commencé en 2003, quand a surgi le concept d’une « nouvelle laïcité, culturelle et identitaire, qui ne serait pas acceptée par une partie des immigrés, notamment des musulmans ».
De gauche à droite
« La laïcité, considérée comme une valeur de gauche, a alors glissé vers la droite où il a été dit que jusqu’à un certain point elle était incompatible avec les Droits de l’Homme ».
« A force de parler de communautarisme et d’intégrisme, sans en définir les termes, on a permis que le Front national s’empare de ce sujet, comme l’a fait Marine Le Pen avec l’occupation par les musulmans de pans du territoire soumis à la loi religieuse. Un habile tour de passe-passe ».
Une logique de « laïcité culturelle et identitaire » qui a, selon lui, été « reprise par d’autres comme Jean-François Copé et la droite populaire ».
En avril dernier, le débat de l’UMP que Jean-François Copé voulait lancer sur l’Islam dans la république, a suscité des remous, y compris au sein de son parti, relève Jean Baubérot.
« Mais cela montre bien que la laïcité était utilisée comme un mot-leurre, un masque et que sa véritable intention était de faire un débat sur l’Islam et la République. Une partie de la droite a refusé d’abonder dans le débat, comprenant qu’il y avait, là aussi, un tour de passe-passe ».
Interrogé sur la proposition de loi adoptée au Sénat, majoritairement à gauche, sur le principe de laïcité dans les crèches, centres de loisirs et pour les assistantes maternelles, Jean Baubérot se dit « très étonné ».
« On a l’impression d’une certaine improvisation. Elle me semble aller contre les équilibres de la loi de 1905, en stigmatisant le port du simple foulard à domicile, plus que tout autre signe religieux et alors qu’on peut soumettre un un enfant à n’importe quelle ânerie à la télévision ».
« La loi permettrait, dans un gouvernement autoritaire une intrusion policière au domicile, ce que ne veulent pas les auteurs de la loi. Reste qu’ils ne seront peut-être pas toujours au pouvoir et que leur loi pourrait être appliquée de manière liberticide. »
La laïcité falsifiée, Editions La Découverte (paru en janvier)
AFP, 26 janvier 2012