A bas toutes les armées

La nouvelle a été réduite à quelques lignes dans Le Monde et à peine évoquée ailleurs. Le quotidien du 27 janvier écrivait : « L’arrangement judiciaire qui a permis au sergent des marines américain Frank Wuterich, accusé de la mort de 24 civils irakiens (dont 10 femmes et enfants tués à bout portant) en novembre 2005 à Haditha, d’échapper à la prison a provoqué l’écœurement en Irak. En plaidant coupable devant une cour martiale de Camp Pendleton, M. Wuterich n’encourt que la dégradation et une peine maximale de trois mois aux arrêts. Le président de la commission des droits de l’homme du Parlement irakien, Salim Al-Joubouri a dénoncé une “atteinte à la dignité des Irakiens”. [1 » Point final, aucun commentaire, aucun éditorial indigné, ni dans Le Monde, ni dans les autres médias. Le porte-parole du Quai d’Orsay, si prompt à s’émouvoir de toute violation des droits humains, est resté silencieux.

Rappelons les faits. Le 19 novembre 2005 à Haditha, une ville de la province d’Al-Anbar, une mine artisanale explose sur le passage d’un convoi américain ; elle provoque la mort d’un caporal. En représailles, les marines tueront un grand nombre de civils et tenteront de camoufler le crime en prétendant que la grande majorité des morts avait été provoquée par la bombe. Mais les incohérences de cette version et le travail de la presse, notamment du Time Magazine, amèneront l’ouverture d’une enquête et la reconnaissance du fait que les troupes américaines ont délibérément tiré sur des civils. En 2007, Hollywood produit même un film, Battle for Haditha (Nick Broomfield), qui raconte le crime.

Pourtant, le procès qui s’est déroulé il y a quelques jours et qui a abouti à l’abandon des poursuites contre six marines et une peine légère pour le dernier, montre à quel point la justice des Etats-Unis est biaisée quand il s’agit de crimes de guerre commis par ses propres citoyens. On comprend mieux pourquoi Washington, si empressé de vouloir envoyer devant la Cour pénale internationale tel ou tel dirigeant d’un petit pays, refuse d’en signer le statut, de peur d’y voir traînés ses propres responsables, dont ceux qui ont déclenché la guerre contre l’Irak (lire « Du Liban à l’Irak, juger les criminels ?  »).

Dans un article du New York Times du 27 janvier, « An Iraqi Massacre, a Light Sentence and a Question of Military Justice », Charlie Savage et Eilsabeth Bumiller écrivent : « Les informations limitées disponibles montrent que même quand les militaires ont essayé de poursuivre des soldats pour meurtre ou massacre en zone de combat, le taux d’acquittement a été bien plus élevé que pour des cas civils. » Ce taux élevé d’acquittement confirme, bien évidemment, aux yeux des Irakiens comme des peuples de la région, que le discours démocratique et humanitaire tenu par l’Occident est la couverture d’une politique cynique.

Monde diplo, Alain Gresh, 29 janvier 2012

Crimes de guerre en Croatie : des casques bleus danois ont fermé les yeux sur une tuerie à Dvor

Les justices serbe et croate vont pour la première fois auditionner ensemble dans le cadre de deux enquêtes distinctes concernant une tuerie à Dvor-na-Uni, en août 1995. Des casques bleus danois auraient assisté, sans réagir, à l’exécution de neuf civils serbes handicapés. Une affaire révélée au printemps 2011 par la télévision danoise.

Pour la première fois, les justices serbe et croate vont écouter ensemble les témoins d’une tuerie perpétrée dans la ville de Dvor-na-Uni contre des civils serbes par les forces armées croates en août 1995, au dernier jour de l’opération Oluja.

« C’est la première fois que des représentants du parquet serbe et du parquet croate vont entendre ensemble des témoins pour déterminer ce qui c’est vraiment passé là-bas. » a déclaré Vladimir Vukčević, le procureur serbe pour les crimes de guerre, à la radio-télévision serbe (RTS).

Les témoignages de quatre casques bleus danois et d’un journaliste ayant révélé les faits seront considérés comme des preuves valides sur la base desquelles les justices serbe et croate pourraient ou non décider d’une inculpation. Pour l’instant, Zagreb et Belgrade ne ont désigné des suspects dfférents.

Selon une enquête menée par le Centre de documentation et d’information Veritas, une ONG qui cherche à établir la vérité sur les victimes serbes pendant la guerre en Croatie, neuf handicapés serbes ont été transférés d’une institution de la ville de Petrinja vers une école de Dvor où ils ont été exécutés le 8 août 1995.

Le journaliste danois qui doit être auditionné a révélé le témoignage de casques bleus danois qui avaient rapporté que douze soldats, portant des uniformes sans insignes avaient tué de sang-froid plusieurs civils sans défense, dont certains en fauteuils roulants.

La question de la responsabilité du crime avait été soulevée le 23 avril 2011 par BT TV, une chaîne danoise. Selon ces informations, la tuerie a eu lieu devant 200 soldats des forces onusiennes de maintien de la paix, stationnés à quelques mètres à peine de l’école. Ils ne l’ont pas empêchée parce qu’ils avaient reçu l’ordre de ne pas intervenir.

Balkans courrier info, traduit par Jacqueline Dérens, 28 janvier 2012