[Bolivie] Campement d’handicapé-e-s révolté-e-s

Mobilisation désespérée des handicapés en Bolivie, le pouvoir embarrassé

Certains se sont mutilés, ont écrit des slogans avec leur sang, cousu leurs lèvres: aux portes de la présidence de Bolivie, un groupe d’handicapés mène une lutte poignante et déjà gênante pour le gouvernement, pour obtenir une aide de quelques centaines de dollars.

« Nous sommes prêts à mourir », grimace Sandro Arnez, un unijambiste de 33 ans, diabétique, épileptique, dans cette cour des miracles improvisée d’environ 100 personnes campant près de la place d’Armes de la Paz, une tache croissante pour un gouvernement autoproclamé champion des exclus.

« Lundi, je me suis cousu les lèvres, j’ai eu quelques convulsions, mais comme vous voyez, je tiens toujours », poursuit-il, ayant retiré ses sutures, sur conseil de son médecin. « J’aime la vie, Dieu nous l’a donnée, elle est belle. Mais c’est le gouvernement qui nous oblige à faire cela, qui veut que nous mourions ainsi », affirme-t-il. 

En novembre, une cinquantaine d’entre eux avaient entamé une longue marche depuis Trinidad Nord) vers la Paz, pour attirer l’attention sur leur sort. Et réclamer du gouvernement socialiste d’Evo Morales des subsides, une loi handicapés, promis depuis des années.

La marche, en fauteuil roulant, en béquilles, sur des épaules amies, et bien sûr en voiture par tronçons, a rallié la Paz, trois mois et 1.400 km plus loin.

Depuis huit jours, ils campent dans une rue adjacente à la présidence avec proches et parents, et l’embarrassant spectacle d’un cordon de police barrant l’accès de la place principale à des handicapés.

Pis pour l’image, jeudi, des heurts entre la police et des manifestants, Invalides et sympathisants, ont fait 20 blessés (dont 10 policiers) et entraîné huit arrestations – dont deux handicapés.

Pour le gouvernement, la présence d' »infiltrés » – une ministre a brandi des photos d’un étudiant attaquant un policier puis simulant ensuite une invalidité – démontrerait une manipulation politique par des agitateurs d’opposition.

Mais la répression a fait tiquer à l’étranger. « Je n’en reviens pas qu’il existe encore des polices qui puissent s’en prendre à un des groupes les plus vulnérables de la société », a sermonné le vice-président équatorien Lenin Moreno, lui-même en chaise roulante.

Le gouvernement Morales, qui a fait pourtant bien plus que ses prédécesseurs pour les 88.000 handicapés du pays, est mal à l’aise, a fortiori après ses récents déboires avec des indiens amazoniens, une autre population défavorisée et elle aussi déçue par leur président.

Il a fait accélérer l’examen au Parlement d’une « Loi de traitement préférentiel », touchant notamment l’emploi ou l’accès au crédit, mais à l’image du ministre des Finances Luis Arce, il soutient qu’aller au-delà de la prime octroyée depuis cette année aux handicapés « lourds » (1.000 bolivianos par an, soit 143 dollars), vers les 3.000 bolivianos qu’ils réclament, serait insoutenable pour le budget.

En outre, a grincé M. Arce, mieux vaut une aide à un travail stable qu’une prime annuelle: « Ils ont démontré qu’ils pouvaient mener des actions, donc ils peuvent travailler… »

Près de la place d’Armes, le médecin bénévole William Aguirre assure à l’AFP qu’il y a un « réel risque » que Sandro Arnez ne meure, s’il n’est pas médicalisé. A proximité, des manifestants se sont enchaînés, certains ont entamé une grève de la faim, d’autres veulent se crucifier avec de vrais clous.

AFP, 2 mars 2012