[Vaulx-en-Velin] Un camp de Roms attaqué au cocktail Molotov
Les familles Roms de Vaulx-en-Velin vivent depuis plusieurs jours un véritable enfer.
Du squat parti en fumé au gymnase
Tout commence dans la nuit du 23 au 24 février 2012. Environ 140 Roms qui occupent une usine abandonnée sont réveillés en pleine nuit par un incendie qui détruit leur squat. L’origine du sinistre est inconnu. Il n’y a pas de victime. Relogés en urgence dans un gymnase municipal par la mairie de Vaulx-en-Velin, les familles qui comptent de très nombreux enfants, pensent trouver là un répit pour quelques jours, le temps de se retourner. C’est mal connaître les élus de gauche et leur politique vis-à-vis des Roms. À Vénissieux, déjà, en novembre 2011, madame Picard, maire communiste avait demandé au préfet d’expulser des familles qui occupaient son centre social pour réclamer… des places d’hébergements d’urgence.
Monsieur Génin, maire communiste de Vaulx-en-Velin accorde donc une nuit. Pas plus. Dès le lendemain, il affiche sur la porte de son gymnase un arrêté municipal de fin d’autorisation d’occupation des lieux. Dans le même temps, il engage une procédure en référé pour demander leur expulsion à un juge. Les familles doivent partir. Pour aller où ? « Ce n’est pas mon problème dit le maire. C’est le problème de l’État, de l’Europe… » C’est ce qui s’appelle se refiler la patate chaude.
Mais la mairie ne se contente pas de saisir la justice. Elle saisit aussi la préfecture. Pour sauver les apparences et expulser sans avoir l’air d’expulser, le maire de Vaulx-en-Velin et la préfecture inventent une méthode inédite : l’invitation à libérer les lieux. Avec le référé engagé, les familles ne peuvent plus être expulsées sans décision de justice. Mais si elles partent d’elles-mêmes… C’est gagné pour la mairie qui récupère son gymnase.
La mairie décide donc d’autoriser la police à rentrer dans le gymnase pour procéder à des contrôles d’identité. À la fin des contrôles, les policiers demandent fermement aux familles de sortir du gymnase. Et que croyez-vous qu’il arrive ? Oh surprise, les familles acceptent bien gentiment de quitter les lieux. La mairie s’empresse de nettoyer et de fermer le gymnase. Elle va aussi probablement brûler un cierge pour remercier la préfecture qui lui enlève une sacrée épine du pied.
Quand il s’agit des Roms, droite, gauche, centre, tout le monde apporte la même réponse : « dégage ! »
Du gymnase au nouveau squat
Les familles se retrouvent donc sur un petit square où elles passent la journée avant de prendre la direction d’un terrain avec des hangars abandonnés et une maison attenante. Le terrain appartient à Grand Lyon Habitat. À l’entrée est affiché un permis de démolir… Pour y construire des logements sociaux. Très rapidement un attroupement se forme. Les Roms prennent possession des lieux et la course aux 48 heures commence. Lorsqu’un squat est occupé, le propriétaire peut demander à la préfecture l’expulsion qui doit être réalisée dans les 48 heures. Au delà, le recours à un juge est obligatoire. La procédure peut prendre des mois. Les riverains sortent de chez eux et commencent à s’époumoner : « pas de ça chez nous… », « qu’ils rentrent dans leur pays », « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde », je vous passe la litanie, on la connaît tous. Des représentants de la mairie sont là ainsi que quelques militants associatifs. Après quelques minutes, la police elle aussi arrive. Un déploiement impressionnant de plusieurs dizaines de fonctionnaires qui commencent à se positionner devant le squat. Ils sont là pour expulser les familles. Bien que la loi exige une demande du propriétaire avant d’expulser des squatteurs d’un lieu, le préfet Carenco n’hésite pas à appliquer sa propre loi. En l’occurrence une disposition de la loi Loppsi2 qui avait pourtant été censurée par le Conseil Constitutionnel et qui permettait au préfet d’expulser des gens de votre jardin, même si vous étiez d’accord pour les accueillir. Face aux militants associatifs, aux riverains et à la présence de fonctionnaires municipaux, la police renonce finalement à expulser illégalement les familles et bat en retraite.
Comble de l’hypocrisie dans cette affaire, on apprendra plus tard par un représentant de Grand Lyon Habitat que la préfecture a bien été saisie d’une demande d’expulsion le lendemain de l’occupation mais que le préfet a choisi de l’ignorer. Ce faisant, il permet aux familles de s’installer sur les lieux pendant plusieurs mois, le temps qu’un juge décide de leur sort. Il ne faudrait pas croire que la préfecture permet aux Roms d’occuper des terrains. Il s’agit tout simplement d’une stratégie qui lui permet de fixer les personnes sur un site pour ensuite leur délivrer des OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) en masse et les expulser du territoire français.
Jour après jour, le squat s’organise. Des palettes en bois sont récupérées pour construire des cabanes. Le terrain est nettoyé, de vieux pneus sur lesquels on installe des planches servent de sommier. Les enfants retrouvent le sourire. Un large mouvement de solidarité commence à s’installer. Les voisins qui le premier soir étaient très remontés reviennent discrètement pour apporter de la nourriture ou des vêtements. Ils se disent touchés par tous ces enfants. Des associations organisent des repas, des particuliers amènent des sacs de vêtements, des couches, des entreprises amènent du bois. Même la mairie participe à cet élan de solidarité en apportant une benne pour les détritus. La contribution municipale a tout de même des limites. Pas question d’apporter des toilettes ou de l’eau. « Ça coûte trop cher. »
Tout se passe à peu près bien jusqu’au 8 mars. Là, vers 7 heures du matin, une dizaine de véhicules de police arrive et de nombreux policiers rentrent sur le terrain. « Des policiers ont sauté par dessus le grillage comme des terroristes » dira un habitant. Un véhicule se positionne à l’entrée du bâtiment et allume ses feux pour éclairer le hangar plongé dans l’obscurité. Les fonctionnaires tambourinent aux portes. Certaines sont fracturées à coups de pied. Les enfants sont tirés de leur sommeil, c’est la panique.
Tout le monde est regroupé dehors contre le mur et les contrôles commencent avec une interprète. Nom, prénom, date de naissance, depuis combien de temps êtes-vous en France ? L’interrogatoire dure quelques secondes et le fonctionnaire de police demande aux gens de signer leur déclaration qui servira de base pour rédiger l’OQTF. Certains refusent de signer. Les Roms en sont pris en photo. Des policiers qui prennent leur beau métier particulièrement à cœur font des remarques : « Vous n’avez pas le droit d’être ici. De toutes façons, vous allez bientôt dégager. » Une heure après l’opération de police est terminée. La vie reprend.
Le lendemain, rebelotte. La police refait une descente. Mais cette fois, c’est pour délivrer des OQTF en s’appuyant sur l’opération de la veille. Les fonctionnaires de la préfecture ont du travailler sur le dossier toute la journée pour être prêts dès le lendemain. « Selon votre déclaration lors du procès-verbal du 8 mars 2012… » La boucle est bouclée. On laisse les Roms s’installer sur le terrain, on ne répond pas à la demande d’expulsion du propriétaire dans les 48 heures, on recense tout le monde, on leur fait signer un papier et le lendemain on distribue des OQTF. La méthode est bien rôdée. Le préfet applique à la lettre la circulaire illégale du 5 août 2010 demandant le démantelement des camps de Roms.
Attaque à coups de pierres
Le 9 mars au soir, lors d’une distribution alimentaire organisée par une association, un riverain très excité rentre sur le terrain. Il explique qu’il vient de se faire cambrioler et qu’il est certain que les auteurs sont des Roms. Le ton monte puis l’homme repart. Vers 23 heures 30, alors que tout le monde dort, plusieurs jeunes pénètrent dans le camp et commencent à jeter des pierres et des parpaings sur toutes les vitres. Dans la maison attenante au garage, les volets sont ouverts. Les pierres fusent et traversent les carreaux. Les vitres volent en éclat. Toutes les vitres de la maison sont détruites. Puis les agresseurs s’en prennent à une voiture qui est garée dans le squat. Quelques instants suffisent pour qu’elle se retrouve sans vitre. Un des habitants appelle la police. Quand celle-ci arrive sur place, les deux groupes se font face. D’un côté des jeunes très excités qui viennent de saccager le camp, de l’autre des femmes apeurées avec leurs enfants dans les bras. Selon plusieurs personnes présentes sur place, on assiste alors à des scènes pour le moins surprenantes. En arrivant, des policiers serrent la main de certains jeunes qui viennent de caillasser le camp. D’autres leur font signe de la main de partir discrètement. Un témoin choqué raconte : « Ils insultaient les Roumains et les menaçaient, la police n’a même pas essayé de les calmer. »
Soudain, une menace effrayante est lancée : « Nous reviendrons demain tout brûler ». Les policiers présents font mine de ne rien entendre. Les jeunes décident finalement de repartir. La police n’a procédé à aucun contrôle d’identité ni aucune arrestation.
L’heure est au bilan : plusieurs personnes dont des enfants ont reçu des jets de pierre. En traversant une des vitres, un gros caillou est tombé sur la tête d’une enfant endormie. Elle présente une bosse de la taille d’un œuf. Elle aurait pu être blessée beaucoup plus gravement. Toutes les vitres de la maison sont cassées, même celles des étages. Une voiture a été saccagée. La police repartie, la menace des agresseurs empêche de dormir beaucoup de monde. « Nous reviendrons tout brûler… »
Attaque aux cocktails Molotov
Le lendemain, comme on pouvait s’y attendre, les jeunes sont revenus. Et ils ont tenu parole. Alors que les familles se trouvent réunies dans la cour autour d’un feu et que les hommes font des rondes pour protéger le squat, un premier cocktail Molotov tombe dans le jardin qui se trouve derrière le bâtiment. Un second cocktail Molotov tombe sur le toit d’un atelier voisin et déclenche un début d’incendie. Soudain, plusieurs explosions retentissent. Les agresseurs viennent de mettre le feu à un véhicule appartenant à l’un des occupants du squat. Les riverains sont réveillés en sursaut : « J’ai entendu plusieurs explosions. Je suis sorti de chez moi et j’ai vu le véhicule en flamme. » Quand la police et les pompiers arrivent, les agresseurs, eux, ont déjà disparu.
Le lendemain, c’est l’heure des comptes. Tout le monde se réveille comme s’il sortait d’un mauvais rêve. La carcasse calcinée de la voiture et les traces du cocktail Molotov rappellent que tout cela est bien réel. Chez les roms, une vive polémique éclate. Certains reprochant à d’autres de ne pas avoir dormi sur place afin de mettre à l’abri leur famille. « Pour se protéger, nous avons besoin d’hommes ». Chez les riverains, le traumatisme est aussi important. « Voilà 20 ans que j’habite le quartier. Je n’ai jamais vu une voiture brûlée avant leur arrivée. » Et oui, pour les riverains, les coupables ne sont pas ceux qui ont attaqué le camp. Les coupables, ce sont les Roms. Du côté de la préfecture, on assure qu’une enquête est ouverte et que l’on recherche activement les responsables. Tiens, c’est bizarre. Deux jours avant la police avait tous les coupables sous la main, pas un n’a été arrêté. Aujourd’hui, ils les recherchent…
En attendant de retrouver les coupables, la réponse de la préfecture ne s’est pas faite attendre. Dès le lendemain matin, mardi 13 mars, une vingtaine de policiers se présente devant le squat. Des policiers cassent les cadenas qui protègent l’entrée et pénètrent sur le terrain. Comme l’autre matin, ils tambourinent aux portes réveillent tout le monde et procèdent à des contrôles d’identité. Recherchent-ils les agresseurs parmi les agressés ? Non, c’est juste une opération de police pour s’assurer qu’il n’y a pas de Roumains en situation irrégulière…
Selon une association de défense des droits des Roms, ces contrôles ne s’appuient sur aucune base juridique. Les policiers n’ont présenté aucune réquisition du procureur. Dans leur procès-verbal, on lira probablement qu’ils ont été invités à pénétrer sur le terrain par les occupants.
Et demain ?
La situation des roms de Vaulx-en-Velin est inquiétante à plus d’un titre. Tout a commencé par des menaces, puis des pierres et maintenant des cocktails Molotov. Où cela va-t-il s’arrêter ?
Aux menaces de mort et aux pressions des riverains s’ajoute maintenant le harcèlement policier. En pleine campagne électorale où un candidat président est prêt à tout pour récupérer les voix du Front National, on peut craindre le pire pour les familles roms. Sarkozy, dans son discours stigmatisant de Grenoble a clairement désigné les Roms comme boucs émissaires à une population toute entière, mais également à ses forces de police.
Les ravages de son discours et de sa politique se font très cruellement ressentir et les dérapages commencent à prendre des proportions incontrôlables. À force d’entendre que les Roms ne sont que des voleurs de poules, des délinquants incapables de s’intégrer, certains décident maintenant de les brûler.
Cette fois-ci, les cocktails Molotov se sont arrêtés dans le jardin et sur les toits. Que se passera-t-il quand les prochains atterriront dans la maison ? Personne ne pourra dire qu’il n’a pas été prévenu.
À Vaulx-en-Velin, comme dans de nombreux squats occupés par des Roms, la moitié des occupants sont des enfants. Le plus petit a 15 jours. Comment la France, « patrie des droits de l’Homme », si prompte à donner des leçons de démocratie à la terre entière, peut-elle infliger de telle conditions de vie à des enfants ?
C’est une honte.
Indymedia Paris, 17 mars 2012, vu sur le Jura Libertaire