LA DETTE, C’EST LE VOL
Face à cette vaste entreprise de fabrique du consentement, bricolée à droite comme à gauche, en France et dans toute l’Europe, proclamant qu’« austérité » et « remboursement de la dette » sont « nécessaires », rappelons quelques réalités dérangeantes. Asséner sans sourciller que payer une dette est un devoir impérieux revient à passer sous silence que, comme la propriété privée des moyens de production et de distribution, la dette n’est rien d’autre qu’un vol. Le même vol que celui qui consiste à empocher, à la place du travailleur salarié, la plus-value créée par le travail lui-même. Lorsqu’un prêteur accorde un capital, il sait que c’est par le travail de l’emprunteur qu’il pourra recouvrer les intérêts dans un premier temps, le capital en second lieu. Le principe de l’intérêt financier et du crédit, revient donc non seulement à accaparer la force de travail via le salariat et le dégagement de la plus-value, dans le seul but de l’accumulation capitaliste, mais aussi à renforcer le contrôle social. Quand on paye son logement, on réfléchit à deux fois avant de faire grève, d’être solidaire de ceux qui luttent. Pour les banques, les patrons, l’Etat et ses flics, endetter les gens c’est que du bonheur ! C’est notamment sur ce principe de base, consistant à diffuser et faire assumer aux dominé-e-s la charge de pérenniser leur servitude, qu’a pu se pérenniser la forme de domination et d’exploitation nommée capitalisme.
De l’extrême-gauche à l’extrême-droite, c’est l’unanimité pour opposer les méchants phynanciers à un capitalisme aménageable. Il ne s’agirait que d’une « dérive »… il suffirait de « taxer le capital ». Or l’évolution vers la financiarisation fut structurelle. La crise d’accumulation du capital des années 1970 provient du développement technique induit par la concurrence, et a conduit à la réduction de la part de l’investissement salarial. Or chez les capitalos seul le travail est réellement créateur de plus-value. L’activité économique, malgré les hausses de productivité infligées aux salarié-e-s, était plombée. Comment pérenniser l’accumulation capitaliste et investir ce gros tas de pognon accumulé ? Avec la complicité des Etats, l’économie s’est « financiarisée ». Le capital a trouvé de nouveaux débouchés. Via notamment l’interdiction d’emprunter aux banques centrales et l’obligation pour les Etats d’emprunter au secteur bancaire privé, garantissant des crédits, des dettes et des rentes énormes au capital ; via l’assouplissement des règles du crédit permettant de spéculer sur la plus-value future, avec des montages de produits financiers sensés assurer les pertes éventuelles. Seuls les Etats, disposant des moyens de coercition et d’extorsion des populations (loi, police, armée…), pouvaient donner ce nouveau souffle au capital, lui permettre de dégager de juteux bénéfices. Parallèlement à la répression des mouvements sociaux, les gouvernants ont donc mis en oeuvre ces « déréglementations », à gauche comme à droite, pour sauver le capitalisme et leur domination qui en est le corollaire. Depuis 2008, la « crise » inévitable de la spéculation a donné lieu à celle des marchés obligataires : la spéculation sur les dettes des Etats eux-mêmes, et les « plans d’austérité » qu’elles permettent, ne sont guère qu’une nouvelle mutation de la domination capitaliste… avec la complicité de toute la classe politique au pouvoir.
Concernant la dette prétendue « publique », contractée par l’Etat et ses déclinaisons locales que sont les régions et les départements, on cherche à nous faire croire que l’argent emprunté serait emprunté pour une bonne cause : assurer à chacun-e l’accès aux services publics qui garantissent l’« Etat-Providence ». C’est oublier que, si l’on prend l’exemple de la Sécu, ce n’est pas l’Etat qui met la main à la poche. Ce sont les salariés, qui payent pour eux et pour le patronat, dont les cotisations (on ne le rappellera jamais assez) proviennent du fric dégagé par l’extorsion de plus-value sur le travail… quand le patronat ne garde pas pour lui ce qu’il devrait théoriquement mettre au pot commun : il existe au bas mot une quarantaine de motifs d’exonération de cotisations patronales. Quant à savoir ce que fait l’Etat de tout le pognon qu’il nous siphonne, rappelons que la charge de la « dette » (c’est-à-dire le racket organisé au profit du capital) représente 96% des engagements financiers, et que la dette publique représente 37% des dépenses publiques. La « dette » n’est donc, comme les Etats qui l’organisent, que le gage d’une pérennisation d’un système généralisé de profit, d’exploitation et de domination.
La situation qui se dessine en cet automne 2011 révèle singulièrement la similitude des problèmes qui se posent au prolétariat, dans le monde entier : l’accumulation du capital et son lot de pillages, de guerres, de dévastations écologiques, concerne désormais largement les populations des pays dits « développés ». Comme celles du sud, écrasées depuis des décennies sous une dette délibérément imposée par les capitalistes et leurs institutions, avec la complicité des politiciens-laquais, dans l’indifférence générale. Sommes-nous dans un contexte prérévolutionnaire mondial ? Peut-être, à en juger la fébrilité des pouvoirs qui usent des élections et de la xénophobie pour créer des dérivatifs. Et qui prennent bien soin d’embringuer les bureaucraties syndicales réformistes comme supplétifs pour cautionner les règles d’or et autres austérités.
Qu’on ne compte pas sur les anarchistes pour bêler avec ceux qui ne remettent pas en cause le vol éhonté que la « dette » constitue. Qu’on ne compte pas sur les anarchistes pour souscrire à une déclaration de collaboration de classe comme celle qu’a pondue le 18 août 2011 l’intersyndicale nationale, qui appelant aux « journées-d’action », s’affirme soucieuse de « sauver l’Europe et de réduire les déficits publics »… Face à cette pitoyable soumission au Capital, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes ! La réappropriation de la décision politique, économique, sociale, ne peut venir que des populations elles-mêmes, seules à même de définir les activités qui leur sont nécessaires et de s’organiser pour les mettre en oeuvre. Pour en finir avec la destruction sociale que sont Capital et Etat, il faut construire la grève générale, expropriatrice et autogestionnaire, en solidarité avec les nombreuses luttes actuelles d’ici et d’ailleurs, qui en s’étendant, en résistant à la répression des Etats, réaffirment la capacité des travailleurs-euses et plus généralement des populations à autogérer leurs luttes. C’est en nous rencontrant, en fédérant nos luttes et nos alternatives, en nous organisant par nous-mêmes, sans médiation bureaucratique, que nous sèmerons les graines d’un nouveau monde, sur le désastre de celui-ci.
Groupe Pavillon Noir – Fédération Anarchiste 86