On a pu voir s’afficher hier place d’armes, sur la façade du Printemps, une soixantaine de portraits géants hissés et accrochés par une grue mobile… suscitant l’interrogation des passant-e-s. On aurait pu penser qu’il s’agissait d’un hommage aux personnes ayant bossé au Printemps, virées comme des malpropres il y a peu de temps ?…
Raté, il s’agit des « candidats » du mouvement des colibris. Le site de ce mouvement propose d’être « candidats à l’action« , et d’agir localement à travers des alternatives concrètes : « cantines bio, éco-lieux, création de ceintures maraîchères, AMAP, monnaie locale, plans de descente énergétique »… voilà qui a de quoi piquer la curiosité, notamment des anarchistes qui s’intéressent depuis longtemps à l’action directe, y compris à travers des alternatives autogérées en actes (potagers, squats, amap, scop, collectifs artistiques…)
A côté de cette perspective locale et à plus large échelle, le mouvement donne pourtant une perspective du politique nettement moins libertaire. Si des « actions locales », « impulsées par le bas » et « citoyennes » (mot fourre-tout pour le moins ambigü, gommant l’inégalité structurelle de la société capitaliste et étatique), sont recommandées, il s’agit aussi de « peser sur les grandes tendances économiques et politiques » en se réunissant pour élaborer un « programme » qui retienne les « propositions les plus abouties » (hum, qui les sélectionnera et sur quels critères ?) et, » en France et en Europe, en proposant des recommandations aux élus, qu’ils soient locaux, nationaux ou européens ». Un « grand sondage » est prévu en collaboration avec… l’IFOP !
Bref, il ne s’agit en réalité pas d’être « tous candidats », mais de réunir des propositions à soumettre aux élus qui nous gouvernent sans aucune légitimité, en décidant de tout à notre place, jouant du cirque électoral et du spectacle qui va avec (dont les colibris semblent d’ailleurs adopter tous les travers, avec leurs affiches géantes et leur recours à l’IFOP…).
Dans le système actuel de la démocratie dite « représentative », les personnes élues font ce qu’elles veulent. Quand bien même elles diraient « chouette, vos propositions sont super, je les fais miennes », elles ne sont pas tenus de tenir leurs promesses.
Ce serait pourtant le cas dans le cadre d’un mandat impératif (l’article XXVII de la constitution est très clair à ce sujet) et révocable, se limitant à appliquer techniquement les décisions des assemblées, vision politique quant à elle portée par le mouvement libertaire, qui porte par ailleurs l’idée du fédéralisme libertaire, c’est-à-dire l’autonomie des assemblées, leur association libre et le principe que rien ne peut être imposé d’en haut aux assemblées refusant de s’inscrire dans un projet spécifique.
Non seulement les colibris soutiennent le système « représentatif » étatiste, et donc autoritaire, aux antipodes d’une véritable démocratie directe ; mais de plus et ça va avec, pas une seule fois leur site n’évoque le capitalisme, consistant lui aussi en une dépossession généralisée quant aux décisions économiques. Comme dans tous les discours de la gauche, il ne s’agit que d’aménager le système, les colibris ayant pour spécificité de voguer sur le thème de la décroissance et de l’autonomie, sans tirer de ces concepts les conclusions politiques libertaires qu’ils induisent à plus large échelle.
Si l’on ajoute à cela que les colibris sont soutenus par Ecover, Weleda, la fondation Nicolas Hulot et autres nombreuses entreprises et associations faisant l’apologie du « développement durable » (d’où les moyens conséquents dont ils semblent disposer, pour pouvoir afficher des portraits géants sur la façade du Printemps), on comprendra mieux comment ce mouvement, rassemblant sans doute à sa base de nombreuses personnes sincères, n’est à l’échelle politique qu’un dispositif de plus pour canaliser les volontés de changement, pour les remettre dans l’ornière d’un système global de dépossession des décisions réelles.
Juanito, groupe Pavillon Noir (Fédération Anarchiste 86)