Le premier mai, faisons sa fête au travail !
« travail » : du latin tripalium, instrument de torture à trois pieux destiné à punir les esclaves
À la veille du deuxième tour, les deux candidats à notre gouvernance, défenseurs d’un modèle capitaliste et étatique de société qui nous accable, nous parlent de retour à la croissance – à condition de toujours plus de sacrifces, d’austérité et de confance aveugle. En cette période de confusion idéologique, ils nous appellent même à célébrer le « travail » le premier mai ! Il nous semble indispensable de rappeler brièvement quelques faits historiques.
Le salariat, c’est l’exploitation et la dépossession
Le capital se constitue historiquement par une dépossession armée des populations : guerres, expropriations de paysan.ne.s, esclavagisme, travail forcé dans les premiers bagnes industriels, génocide amérindien, colonialisme et néo-colonialisme… L’État est le médiateur principal de cette dépossession : par le concours de ses forces armées, par la création de monnaie permettant l’impôt et quantifant les capitaux, par la production de « lois » légitimant le racket des populations (principe de la propriété, privée ou d’État), par le cirque électoral consistant à susciter le consentement chez les populations au fait que l’État décide de tout à leur place.
En contexte de guerre économique, le capital doit s’investir et croître, sous peine d’être dévalué par l’inflation. Le seul moyen de cette reproduction est le recours au travail salarié. Le capital est investi dans une activité productive : moyens de production d’une part (terres, usines, services, technologie) et la main-d’oeuvre d’autre part. Les moyens de production ne dégagent aucun profit : c’est sur la rémunération variable de la main-d’oeuvre, dépendant du bon vouloir de l’employeur (privé ou étatique), qui décide de tout au nom de son titre de « propriété », que peut être extorquée un « profit », une « plus-value » sur le dos des travailleur.euse.s, permettant d’investir dans de nouveaux moyens de production.
Pour que le capital s’accroisse, ce taux d’extorsion doit s’accroître, et c’est ce que l’on nomme la « croissance ». L’institution salariale est donc fondée aussi bien sur le vol des travailleur.euse.s que sur leur absence de décision sur l’outil de travail.
Le salariat, fuite en avant dans la destruction sociale et écologique
Mais ce système d’exploitation bien huilée de l’homme par l’homme a ses contradictions :
– plus la part du capital grandit dans le partage des richesses, plus la part relative des salaires baisse et plus la pauvreté se développe, plombant la demande, d’où crise de surproduction.
– avec la concurrence, il y a course à la technologie (machines-outils, robotique, informatique), et donc réduction massive du nombre d’employé.e.s. La fin du travail des enfants (scolarité obligatoire) et la création d’emplois tertiaires n’ont pas endigué cette hémorragie. D’où crise du chômage, qui certes a permis de tirer les salaires vers le bas, mais a aussi engendré une baisse tendancielle du taux du profit car la plus-value n’est issue que du travail humain.
– la croissance de l’activité productive suppose le défrichement toujours plus large de ressources naturelles, menant à une raréfaction et un renchérissement des ressources… d’où crise écologique massive (mort des terres arables, pollution, déforestation, réchauffement climatique, …).
Pour pallier toutes ces contradictions, se traduisant par des « crises » toujours plus fortes où le capital ne trouve plus à s’investir, le capitalisme a historiquement recouru à l’impérialisme (travail forcé de populations extérieures, nouvelles ressources à moindre prix), à des guerres de masse (relance de l’industrie par l’armement, destruction de la main-d’oeuvre en surplus, marché de la reconstruction), à l’État-providence (qui prend à sa charge une part de l’entretien des salarié.e.s, ouvre des marchés juteux par des grands travaux stimulant par ailleurs pour un temps la consommation), à la promotion de nouveaux « besoins » par de grandes campagnes publicitaires (électro-ménager, voiture puis informatique ont relancé pour un temps l’économie), au crédit bancaire et aux produits fnanciers (qui ne sont qu’une spéculation sur la plus-value future), et enfn au capitalisme vert et au « développement durable » (« l’éco-citoyen.ne », de plus en plus fliqué.e dans sa productivité, est sommé.e de réduire encore plus ses besoins et de financer de grands plans de sauvegarde de la planète… gérés par les mêmes multinationales privées qui la détruisent).
Ces palliatifs ne sont qu’une fuite en avant dans l’accumulation de pouvoir et d’argent d’une part, la catastrophe sociale et écologique d’autre part.
De la lutte contre le salariat à la « fête du travail »
Impulsée à Chicago en 1886, principalement par des anarchistes, la journée du 1er mai pour la réduction du temps de travail a été le symbole de l’offensive des exploité.e.s et des dominé.e.s contre le salariat et l’État. Malgré la répression féroce de l’État et du patronat (licenciements, briseurs de grèves armés, fusillades, condamnations à mort d’anarchistes), cette journée de lutte s’est étendue au monde entier. Face aux luttes sociales, le pouvoir a répondu par le fascisme, qui a détourné le sens originel du 1er mai : le léninisme en fait une journée chômée en 1920. Le nazi Goebbels en fait une « fête nationale du travail » en 1933. Le collabo Pétain en fait une « fête du travail et de la concorde sociale » en 1941. Ce travestissement odieux est aujourd’hui repris par tous les régimes « démocratiques » : les bureaucraties syndicales réclament plus de travail et de croissance et négocient la destruction des droits sociaux chèrement acquis ; les partis appellent à la relance de la croissance et de l’industrie. Le président-candidat sortant appelle même à une « fête du vrai travail » (sic) !
Pour l’action directe
Pour abolir le capitalisme et l’État, il nous faut poursuivre la lutte résolue contre le travail salarié. Les vieux mots d’ordre anarchistes du syndicalisme des origines valent toujours : réduction des cadences et sabotage ; boycott des entreprises qui broient leurs salarié.e.s ; désobéissance aux consignes hiérarchiques ; grèves reconductibles et occupations, en vue de la réappropriation des lieux de production. Le syndicalisme combatif existe toujours, mais avec l’extension du chômage, de la précarité, de la « flexibilité », du flicage au travail et de la répression syndicale, ce mode de lutte est de plus en plus difficile à mettre en oeuvre.
C’est pourquoi il nous faut aussi lutter sur le front de l’autonomie dans notre vie quotidienne. De même que les ouvrier.ère.s du siècle dernier pouvaient compter sur leurs jardins et leurs savoir-faire pour engager des grèves longues, il nous faut aujourd’hui dépendre le moins possible du salariat, devoir le moins possible nous vendre comme du bétail. La réappropriation offensive de terres, de logements et de savoirs-faire et la défense contre la répression sont indispensables pour reconquérir une autonomie de vie et la confance en notre propre force, pour redonner un sens à l’activité humaine et en extirper l’idéologie mortifère de la servitude volontaire, du travail, du sacrifice et du rendement.
Contre l’atomisation sociale, voulue par le pouvoir politique et par le marché, il nous faut réinventer et tisser partout des liens, des relations solidaires et libres, des organisations horizontales, des réseaux d’échanges de biens, de pratiques et de savoirs échappant aux lois du marché et de la domination sociale.
Les valeurs du vieux monde s’effondrent, la catastrophe est en cours. Nous croyons qu’il est possible de ne pas nous effondrer avec lui. Partout, des collectifs se constituent, des complicités et des solidarités se tissent. Il ne tient qu’à nous de poursuivre et d’étendre la lutte, de traduire nos rêves et nos paroles en actes concrets. C’est ce à quoi nous vous invitons ce premier mai, comme chaque jour des temps à venir.
Groupe Pavillon Noir (Fédération anarchiste de la Vienne) – pavillon-noir@federation-anarchiste.org – fa86.noblogs.org
Des individu.e.s