Le gène de la baston

Le gène de la baston

- Tu te bats comme une gonzesse,

- Don’t be such a pussy [1]

- Non mais les filles c’est doux et gentil…

et tel­le­ment d’autres… il y a aussi ces injonc­tions :

- Ne sors pas seule le soir,

- T’as pris ta bombe au poivre ?

- T’es sûre que tu veux pas que je te rac­com­pa­gne ?

- Tu vas sortir habillée comme ça, c’est de la provoc’ quand même !

Alors oui je vais sortir habillée comme ça ce soir, oui je vais ren­trer seule et oui je sais me défen­dre.

Il sem­ble­rait que le fait d’avoir un ori­fice sup­plé­men­taire, des ovai­res et une paire de seins plutôt qu’une paire de couilles ren­dent les filles moins dis­po­sées à se défen­dre. Ainsi donc dès notre plus jeune âge nous appre­nons que contrai­re­ment à Samson la force se trouve dans la bite et les couilles. En tout cas c’est ce que ne ces­sent de nous répé­ter notre entou­rage proche, la famille, l’école, l’État, les grou­pes sociaux dans les­quels nous évoluons et pour par­faire ce dis­cours per­ma­nent rien de tel que la peur du viol, le meilleur moyen de coer­ci­tion contre le sexe dit faible. La société, au sens large, veut donc main­te­nir et main­tient les filles dans un sys­tème patriar­cal, qui les rend infé­rieu­res aux gar­çons, infé­rieu­res par le salaire, infé­rieu­res par le tra­vail (mais supé­rieu­res quand il s’agit du tra­vail dit ’à la maison’), infé­rieu­res vis à vis des retrai­tes, infé­rieu­res vis à vis de l’éducation (oui l’État et ses agents orien­tent sou­vent les filles vers les filiè­res dites lit­té­rai­res plutôt que scien­ti­fi­ques, oui il y a plus de gar­çons qui par­vien­dront à un master 2 voire une thèse que de filles) et sur­tout infé­rieu­res par la force phy­si­que.

Qui n’a pas entendu en pri­maire ’Ho mais elle c’est un garçon manqué’, parce qu’elle ne se lais­sait pas mar­cher sur les pieds et que jouer la prin­cesse dans la cour ne l’inté­res­sait pas. En réa­lité les filles, au même titre que les gar­çons, savent se défen­dre et se battre. Il n’y a pas dans le chro­mo­some Y un gène spé­ci­fi­que à la baston. Il y a seu­le­ment une société qui veut main­te­nir un sys­tème pyra­mi­dal de pri­vi­lè­ges et qui com­mence par celui du sexe pré­sumé. Alors pour sortir de ça, les beaux dis­cours ne suf­fi­sent pas, les livres qui nous disent que nous sommes tous et toutes égaux, les recher­ches scien­ti­fi­ques non plus, les soi­rées non mixtes où l’on s’énerve après ce sys­tème patriar­cal non plus, pour sortir de ça il y a aussi l’auto­dé­fense.

Présenté comme ça, on pour­rait penser que la pre­mière chose dans l’auto­dé­fense c’est la fight, pas néces­sai­re­ment. Notre auto­dé­fense est poly­mor­phe car nos agres­sions le sont aussi. Il y a l’auto­dé­fense ver­bale. Oui les bla­gues sexis­tes ne nous font pas rire, même si c’est un pote qui la raconte et nous fait un clin d’œil parce qu’on est la fémi­niste de ser­vice et qu’on va jouer les ’rabat joie’.’Ta blague est sexiste et non elle ne me fait pas rire’, pour­quoi conti­nuer à les subir alors qu’elles nous déva­lo­ri­sent ? Les agres­sions ver­ba­les sont mon­naie cou­rante, toutes ces phra­ses qui com­men­cent par ’vous les filles …’ , en réa­lité toutes les remar­ques qui nous limi­tent à notre seul sexe dési­gné. A toutes ces remar­ques, ces moments de condes­cen­dance, ces phra­ses pater­na­lis­tes soit disant bien­veillan­tes, nous nous devons de répon­dre. Chacune à sa façon, par l’humour, en disant ’non’, etc…

Notre auto­dé­fense est dans notre atti­tude phy­si­que. Récemment une étude a mis en évidence que la rue était ’mas­cu­line’, que nous la fuyions, l’évitions autant que pos­si­ble. Souvent en uti­li­sant cette rue, nous sommes recro­que­villées sur nous, la tête enfon­cée dans les épaules, regar­dant le sol plutôt qu’en face de nous, bref pas à l’aise. Mais la rue nous appar­tient autant qu’à l’autre moitié de l’huma­nité. Étrangement, moins on a l’air sûre de nous, plus on se fait emmer­der, plus les relous se mul­ti­plient. Le regard droit, la démar­che assu­rée (en talons ou en bas­kets) est là aussi un moyen d’auto­dé­fense, le mes­sage est clair, ’je suis dans la rue et j’ai pas envie de me faire emmer­der’.Malheureusement il arrive que cet ensem­ble de choses, nos mots, notre atti­tude, ne soient pas suf­fi­sants, il faut donc en venir aux mains (ou aux pieds). Pas besoin d’être cein­ture noire de karaté, d’avoir passé une année à se bour­rer de pro­téi­nes et pous­ser de la fonte pour savoir se défen­dre. Il existe des gestes sim­ples pour ripos­ter à l’autre (l’autre étant sou­vent un ou une par­te­naire de vie, un ou une membre de la famille, même s’il arrive que des inconnues s’en pren­nent à nous, les actes de vio­len­ces contre les femmes sont dans la majo­rité des cas liés à une per­sonne proche, amies/famil­les/patrons/ensei­gnants). Pour appren­dre un cer­tain nom­bres de ces gestes et aussi des mots et atti­tu­des que nous pou­vons adop­ter face à un com­por­te­ment intru­sif voire vio­lent il existe des stages d’auto­dé­fense fémi­niste.

Il est temps pour nous toutes de virer ce carcan patriar­cal et cela passe aussi par notre auto orga­ni­sa­tion et notre auto­dé­fense. Non nous ne sommes pas des peti­tes fleurs qui pous­sons le long du chemin et que d’aucuns peu­vent fouler au pied sans même y penser. Nous avons en nous toutes cette capa­cité d’empo­wer­ment (c’est à dire le ren­for­ce­ment de notre pou­voir d’action par la créa­tion de mou­ve­ments auto­no­mes et le tra­vail col­lec­tif de cons­cien­ti­sa­tion), il est temps pour nous d’en pren­dre cons­cience et d’agir en consé­quence.

SuperFéministe

Notes

[1]  pussy : mot désignant de façon argotique et vulgaire le sexe féminin, ici l’expression serait traduite par ’ne fais pas ta chochotte ’

Vu sur Rebellyon, 1er avril 2013