Une action du groupe de sciences-po autour du projet « Volar » a eu lieu hier à Poitiers, à l’occasion de la très institutionnelle « journée de la fille » [sic], contre le harcèlement de rue. Malgré les limites assez manifestes du discours en termes de perspectives politiques pour la lutte contre la domination masculine (en même temps c’est Sciences-po), l’initiative est à saluer. Sur le harcèlement sexiste et l’autodéfense, on lira avec intérêt ce petit livre en ligne.
Mais je vois déjà certains copains esquisser un petit sourire railleur, comme à chaque fois qu’on parle féminisme. Adresse à tous les « camarades » anticapitalistes, voire anti-autoritaires, qui jugent que la lutte contre la domination masculine est secondaire (bizarrement, toujours vous les mecs) : demandez-vous tout de même si les rapports dominants-dominés que vous dénoncez, qui imprègnent et formatent si profondément les mentalités, ne viennent pas aussi largement du fait que dès la naissance, l’humanité est arbitrairement divisée entre « garçons » et « filles », avec un rôle imposé, le genre, impactant tant de dimensions de nos vies qu’il déforme et dégrade en profondeur toutes nos perceptions depuis l’enfance.
Si les hommes et les femmes n’étaient pas formés du berceau à la tombe pour faire muter les femmes en « princesses » ou en potentiels objets sexuels sommés de formater leur corps de la tête aux pieds en marchandises (ce qui au fond revient à la même réification de la moitié de l’humanité), et les hommes en « chevaliers protecteurs » ou en durs guerriers sommés de formater leur corps en armures de conquête et en outils de compétition (ce qui au fond revient à la même appropriation de la vie des autres), l’édifice de domination sociale se manifestant sous la forme de l’Etat moderne et du capitalisme n’en serait-il pas profondément affecté ?
L’ouvrage Caliban et la sorcière, de Sylvia Federici, rappelle qu’avant même l’esclavage et les enclosures, la destruction sociale des femmes et la mise sous tutelle de leurs corps (par la chasse aux sorcières et la destruction du contrôle féminin de la grossesse, entre autres ) ont historiquement constitué un incontournable préalable, une première accumulation capitaliste fondamentale, politiquement orchestrée par l’Eglise et l’Etat. Cet assujettissement des femmes est indissociable du démantèlement des communaux (aussi appelé mouvement des enclosures) et d’un modèle étatiste de société fondé sur la figure patriarcale du roi moderne, puis de « l’élu ». Aujourd’hui encore, les chefs sont encore très majoritairement masculins, les rares élues femmes ne démontrant qu’une chose : une fois les valeurs de domination installées au forceps, rien n’empêche d’inclure les dominé.e.s dans l’appareil de domination. On peut mettre ce phénomène en parallèle avec le passage lent du suffrage censitaire au suffrage universel.
Si un antisexisme sans vision plus large du fonctionnement de la société autoritaire est condamné à l’échec, l’inverse est aussi vrai : sans lutte anti-patriarcale, anticapitalisme et anti-étatisme ne sont que baudruches inopérantes.
Jeanine, groupe anarchiste Pavillon Noir de Poitiers