Témoignage : survivre en environnement hostile

Survivre en environnement hostile

L’autre jour, je me suis retrouvée dans un squat. C’était pas la première fois. Mais c’est la première fois que j’ai pas réussi à contrôler le stresse qui m’a envahie. Alors, après quelques minutes, je me suis cassée. C’était trop dur de rester. Ce que je vais raconter est évidemment personnel, mais je pense que d’autres pourraient s’y retrouver. J’aimerai surtout provoquer des réactions sur ce sujet qui ne touche pas que moi (je crois) et éventuellement avoir des retours de votre part qui m’aideraient à avancer.

I. Le regard de moi (la femme-copine) sur moi-même.

Toute la difficulté consiste à vous expliquer comment je me perçois, en tant que femme. Comment cette perception que j’ai de moi découle de mon éducation et de l’image que les gens n’ont pas arrêté de me renvoyer à la gueule tout au long de mon existence.

Tout commence alors que je suis petite : mes parents veulent que mes cheveux soient propres et démêlés. Il faut que je fasse des sourires et que j’embrasse les inconnus qui viennent à la maison. Il faut que je porte des tailleurs au collège. Il faut que je présente bien. Il ne faut pas que je fasse trop de bruit, voire pas de bruit du tout. Il faut que je laisse les grands parler. Ma présence est tolérée à condition que je reste silencieuse et que j’écoute sagement. Je suis tolérée à condition que je ne mange pas trop de gâteaux apéritifs : une fille n’a pas le droit de s’empiffrer.

Ensuite, à l’adolescence, ce fut plus complexe. La solidarité féminine est inexistante : nous sommes toutes empêtrées dans nos complexes et, au lieu de nous entraider, nous nous montons les unes sur les autres pour réussir à nous en sortir. Dès lors, le seul regard positif que je peux trouver est celui des mecs. Regard compatissant, parfois. Regard concupiscent, toujours. Regard amical ? Jamais vraiment.  Des mecs m’invitent à venir manger avec eux. Des mecs m’invitent à des soirées qu’ils organisent. Et oh, évidemment que je sais pourquoi je suis invitée. Mais je suis sensée faire quoi ? Dire non ? Rester seule chez moi ? Si la seule vie sociale qui m’est possible est une vie sociale basée sur le désir sexuel, dois-je y renoncer ? Je n’ai pas envie de me retrouver totalement seule, entre les quatre murs de ma chambre, alors je joue le jeu.

C’est à travers ces expériences que je me construis : je n’existe socialement que parce que des garçons me désirent. Je n’ai pas de relations avec des filles parce que les filles ne supportent pas que des garçons me désirent (histoire de jalousie, back to square one).

Et le jour où j’ai un petit copain, que se passe t’il ? La réalité devient limpide : ma vie sociale n’était qu’une prison dont la porte devait éventuellement se refermer un jour. Puisque j’appartiens maintenant à un homme, chasse gardée, je deviens inexistante aux yeux des autres. Et puisque je ne suis plus disponiblement baisable, je n’ai plus de vie sociale en dehors de mon copain.

Dès lors, lorsqu’on a grandi avec toutes ces horreurs dans la vie, que l’on ne sait pas ce que c’est que des relations humaines saines, des relations humaines dans lesquelles on ne serait pas objet de désir mais simplement une personne intéressante, comment faire ? Comment se comporter lorsqu’on se retrouve au milieu d’inconnus ? Comment se comporter avec ses inconnus alors que le copain est à quelques mètres ?

II. Le regard des autres sur moi

C’est très simple : pour qu’un mec s’intéresse à moi, c’est soit que je lui plait, soit qu’il est l’ami d’un ami qui doit bien tuer le temps en soirée. Un mec qui me parle simplement pour le plaisir de me connaître ? Jamais arrivé.

Pour qu’une fille parle avec moi, c’est que nous nous rencontrons en soirée, et que nous devons tuer le temps. Cette fille a, la plupart du temps, un mec et sa vie à elle tourne déjà autour de son couple. Nous sommes toutes les deux prisonnières de choses qui nous dépassent et nous empêche de communiquer.

Alors, quand je me retrouve au milieu d’une dizaine de gens qui se connaissent déjà, que mon copain connaît, mais qui sont de parfaits inconnus pour moi, que puis-je faire ? Rien. Je ne peux rien faire. Je ne sais pas comment entamer la conversation, puisque la seule image que l’on m’a toujours renvoyée était celle d’une fille qui n’avait aucun intérêt en dehors du sexe.

A partir de là, ces inconnus doivent voir une fille en retrait, timide ou simplement hautaine, pas très curieuse ni engageante. Peut-être même qu’ils ne me voient pas, tellement je suis loin et effacée. Je pense que, pour eux, je suis inexistante.

III. Mon regard sur ces inconnus

Je n’ai pas d’autre intérêt que le désir que je peux provoquer chez autrui. Ce postulat résume à lui seul ma valeur sociale. Cette réalité socialement constatée est un bâillon qui m’a coupé la langue et rend impossible toute amitié. Je suis socialement handicapée, à cause de l’utilisation répétée que l’on a fait de moi et que j’ai acceptée pour pouvoir exister.

Je ne sais pas comment interagir avec ces gens. Je ne sais pas comment oublier le copain à mes côtés. Je ne sais pas ce que c’est une relation désintéressée, une simple amitié. Je suis dans l’incapacité de parler de moi puisque personne ne m’a jamais laissé entendre que j’avais quelque chose d’intéressant, autre que mon cul.

Alors, mon regard sur ces gens est très simple : c’est un regard glacé et distant. Un regard bloqué. Je ne sais pas quoi leur raconter. Ils sont trop nombreux, intimidants. Nous ne nous connaissons pas, et je ne peux pas leur parler de moi. Pour leur dire quoi de toute façon ? Leur dire que, en dehors du sexe, je n’ai aucun intérêt ?

Je les regarde, de loin. Ils ont l’air fermé. Ils ont l’air entre-eux. Si je me présentais à eux, c’est mon corps qu’ils verraient en premier. Ce même corps à travers lequel j’existe et à auquel se limite mon intérêt. Je n’ai pas envie qu’ils voient mon corps, je n’ai pas envie qu’ils me voient, je n’ai pas envie de prendre le risque qu’ils me résument une fois de plus à mon corps.

Et voila comment mon corps de femme est devenu une prison, dont même ma voix n’arrive plus à s’échapper.

A.

Vu sur Indymedia Paris, 7 mai 2013